jeudi 9 juin 2011

Sénégal, Tchad - AFFAIRE HISSENE HABRE: à quel jeu joue le Sénégal ?

(Le Pays 09/06/2011)

Le processus menant au jugement de l’ancien chef de l’Etat tchadien Hissène Habré, réfugié au Sénégal depuis son renversement en 1990, est un chemin parsemé d’embûches. La voie est très rarement dégagée et chaque fois que l’on s’approche du but ultime, à savoir le procès, un obstacle se dresse brusquement. Et jusque-là, c’est le Sénégal chargé de juger le dictateur déchu à qui il a offert le gîte et le couvert, qui s’attèle à mettre des bâtons dans les roues de la procédure.
Après avoir exigé des milliards de F CFA pour organiser le procès, le pays de la Téranga vient d’interrompre de façon unilatérale et inexpliquée les discussions avec les experts de l’Union africaine (UA) sur l’affaire Hissène Habré. Avec cette énième pirouette, on se demande finalement ce que le Sénégal veut dans cette affaire. Le pays de Abdoulaye Wade ne voudrait pas juger l’hôte devenu encombrant, qu’il ne se x serait pas pris autrement. D’ailleurs, c’est ce que l’on soupçonnait avec la surenchère financière à laquelle Dakar s’est livré dans l’affaire avec un discours du genre « vous voulez que l’on juge Habré, alors mettez le prix qu’il faut ». Le pays comptait sûrement de cette façon, décourager les victimes et les ayants droit. Mais c’est sans compter avec la détermination de ces derniers et de celle de l’Union européenne qui a pu négocier le montant exigé par Dakar à la baisse.
Cet obstacle levé, il n’y avait plus rien qui pouvait entraver la tenue du procès. Apparemment, on s’était vite réjoui, le Sénégal n’avait pas dit son dernier mot. Et celui-ci est venu sous la forme d’une suspension sans motif, des discussions avec les experts de l’UA qui, pour une des rares fois, ne peut pas être accusée d’immobilisme. Peut-être que l’organisation devrait tout mettre en œuvre pour que le Sénégal, à qui il a confié le dossier, juge effectivement l’ex-dictateur. Elle doit exercer son autorité contre un Etat qui, visiblement, use de subterfuges pour ne pas exécuter une mission à lui confiée. A quel jeu joue donc le Sénégal dans une affaire aussi sérieuse ?
C’est à se demander si le pays n’a pas accepté de prendre en charge le dossier, juste pour éviter que la justice internationale ne le fasse. Un tir de barrage pour mieux protéger Habré qui s’est « sénégalisé » en se mariant à une Sénégalaise et qui est aussi devenu membre d’une des nombreuses et influentes confréries de son pays d’accueil. Au regard de cette donne, les autorités sénégalaises se hâtent lentement pour juger un exilé devenu un compatriote. Si cela peut être humainement compréhensible, il ne saurait être un argument massu pour soustraire une personne à la justice pour qu’elle ne réponde à jamais de crimes graves qui lui sont reprochés.
Ce serait tout simplement un déni de justice à l’endroit de ceux qui l’accusent sur la base de faits bien précis. C’est une attitude qui risque de donner raison à tous ceux qui ne croient pas un seul instant que la justice africaine pourrait juger un jour un ancien chef d’Etat quels que soient les crimes commis. Et dans le cas Habré, il y en a qui pensent que les Africains ont pris le dossier en main pour mieux l’étouffer.
Or, si la justice internationale veut s’en mêler, on en trouverait qui crieraient à l’ingérence, à la partialité, au néo-colonialisme. Mais que faire face à un déni de justice flagrant ? Se départir du dilatoire et prendre à bras-le-corps l’affaire pour qu’on en finisse une bonne fois pour toutes, soulagerait bien tout le monde. Et ce serait tout à l’honneur du régime actuel de franchir ce pas.

Séni DABO
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