(L'Humanite 03/06/2011)
Le changement de gouvernement ne semble pas avoir apaisé le climat au Burkina Faso. Sur fond de contestation du régime, le pays reste en proie à des mutineries dans l’armée, à des mouvements sociaux et à des révoltes étudiantes.
Pas de retour à l’ordre dans les casernes burkinabées. Dimanche soir, des soldats tirant en l’air sont de nouveau descendus dans les rues de Tenkodogo (centre est), Kaya (centre nord) et Dori (à 265 km au nord de Ouagadougou), pour réclamer le versement d’indemnités. Trois personnes ont été touchées par des balles perdues à Dori, où la résidence du gouverneur aurait été pillée, selon un habitant cité par l’agence Reuters.
Depuis le mois de février, des mouvements de colère des militaires, parfois accompagnés de violences et de pillages, secouent le pays. Jusqu’à faire vaciller le régime lorsque, le 14 avril, les jeunes recrues de la garde présidentielle se sont mutinées à leur tour, contraignant Blaise Compaoré à fuir le palais présidentiel pour trouver refuge, durant quelques heures, dans son village natal de Ziniaré. Ces mutineries ont emporté le gouvernement de Tertius Zongo.
Climat délétère dans les casernes
Son successeur, Luc Adolphe Tiao, ancien ambassadeur du Burkina Faso en France, a bien tenté de remettre de l’ordre dans la chaîne de commandement de l’armée. Sans parvenir à dissiper le climat délétère qui règne dans les casernes. «En apparence, ces mouvements de protestations des militaires semblent dépolitisés et anarchiques. Mais les soldats ont des revendications, décrypte Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara. Ils reprochent par exemple à leur hiérarchie le détournement des primes des militaires ayant participé à des opérations de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU. » Mais la colère des sans-grade de l’armée n’est pas la seule source d’inquiétude pour le régime de Ouagadougou, confronté depuis le début de l’année à une révolte étudiante et à des mouvements sociaux dans tous les secteurs. Vie chère, chômage de masse, explosion des inégalités, spectacle de la corruption attisent la colère, dans un pays placé au 161e rang mondial (sur 169) pour l’indice de développement humain. Et le contrecoup économique de la crise ivoirienne n’a rien arrangé.
Un profond malaise démocratique
Le 23 mai dernier, plusieurs milliers d’étudiants défilaient dans les rues de Ouagadougou, au coude à coude avec les enseignants en grève pour des hausses de salaires. Le lendemain, plusieurs manifestants étaient blessés lors de violents heurts avec la police à Ouahigouya (180 km au nord de Ouagadougou), tandis que des élèves incendiaient le siège du parti présidentiel et la résidence de Blaise Compaoré à Gaoua (à 395 km à l’ouest de la capitale). Si la contestation prend un tour si violent, c’est qu’un profond malaise démocratique mine le pays. «Blaise Compaoré se comporte comme un grand timonier. Depuis un quart de siècle, les mêmes sont aux commandes. La jeunesse ne se sent pas représentée, elle est frustrée, exaspérée», résume Smockey, un rappeur apprécié de la jeunesse burkinabée. Avant de prédire : «Ce régime est à bout de souffle. C’est la fin. Malgré le changement de gouvernement, on sent une ambiance de fin de règne.» Malgré les promesses de «réformes» politiques, en effet, tous les ingrédients d’une crise de régime demeurent.
Le CDP accuse l’opposition de visées « putschistes »
Début mai, en réaction à un meeting lors duquel trente-quatre partis d’opposition ont demandé le départ de Blaise Compaoré, son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), a accusé l’opposition de visées « putschistes ». Le président du CDP, Roch Marc Christian Kaboré, président de l’Assemblée nationale, appellait alors « tous les militantes et militants de la cause démocratique » à « faire échec à de telles conceptions qui font le lit de la régression démocratique ». Visé par la vague de contestation qui secoue le pays depuis fin février, le CDP dispose de 74 sièges sur 111 à l’Assemblée nationale. Il dirige plus de 80 % des 351 communes et contrôle la totalité des treize conseils régionaux du pays. « Le pouvoir est usé, les fondamentaux de la démocratie se sont effondrés, sans parler de la deliquessence de l’État, qui n’a plus d’autorité », analyse Me Benewende Sankara. Pour cette figure de l’opposition, « la transition et l’alternance démocratique sont des impératifs ».
Rosa Moussaoui
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