mercredi 8 juin 2011

Afrique du Sud - Trevor Manuel, le non-candidat de l’Afrique à la succession de DSK

Ancien ministre des Finances sud-africain, freedom fighter pendant l'apartheid, métis placardisé; Trevor Manuel, ambitieux et respecté, ne s'est pas encore déclaré à la succession de DSK au FMI.

Vue d’Afrique du Sud, la succession de Dominique Strauss-Kahn «DSK» à la tête du Fonds monétaire international (FMI) représente un enjeu majeur. Membre du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde et Chine) depuis janvier, l’Afrique du Sud émergente dénonce officiellement le soutien du G8 à la candidate française Christine Lagarde. Pretoria mène campagne pour son propre candidat: l’ancien ministre des Finances Trevor Manuel. Ce dernier ne s’est pas déclaré et manque cruellement de soutiens.

Une succession polémique
Pravin Gordhan, le ministre actuel des Finances, a vivement contesté fin mai 2011 la décision du G8 de soutenir son homologue française Christine Lagarde pour la succession de DSK:
«Au sein du G20, il y a des pays qui se sont mis d’accord pour un processus qui serait très différent du mode de sélection historique, un processus basé sur la transparence, l’ouverture et le mérite, et qui ignorerait les nationalités.»
Les Brics se sont mis d’accord en avril dernier, lors d’un sommet en Chine, sur une position de principe: défendre un candidat issu de leurs rangs pour prendre la direction du FMI, quitte à chambouler la tradition en ce début de XXIe siècle.
Mais de là à se rallier derrière un seul nom, comme le souhaiterait l’Afrique du Sud, il y a un pas qui ne semble pas près d’être franchi… D’autant moins que le seul candidat du Sud à s’être pour l’instant déclaré, Agustin Carstens, ne vient pas des Brics, mais du Mexique, où il occupe les fonctions de gouverneur de la Banque centrale.
Depuis leur création en 1944 pour reconstruire les pays ravagés par la Seconde Guerre mondiale, les institutions de Bretton-Woods sont dirigées par un Européen au FMI et un Américain à la Banque mondiale. La donne géopolitique et économique a bien changé depuis: le FMI est le premier à reconnaître que les pays émergents vont représenter 61% de la croissance mondiale en 2014. L’Inde et la Chine demandent des réformes, mais ne semblent pas décidées à entrer dans une campagne de soutien en faveur d’un candidat unique venu des pays émergents, comme le voudrait l’Afrique du Sud.
«Il est temps de mettre l’accent sur les programmes des candidats», a insisté Gordhan le 8 juin, ne s’avouant pas vaincu et déclarant que des consultations étaient toujours en cours au sein des Brics.
«Le FMI doit commencer à réfléchir sur ces processus de prise de décision, sur son travail de recherche, sur le genre de conseils qu’il donne et sur la manière dont il doit surmonter certains de ses propres héritages, notamment dans ses relations avec les pays les plus pauvres et en développement», a plaidé le ministre sud-africain.
Trevor Manuel, métis au placard
Dommage pour Trevor Manuel, 55 ans, pour qui la chute de DSK aurait pu représenter une belle aubaine. Ancien ministre des Finances sud-africain (1996-2009) dans les gouvernements de Nelson Mandela, Thabo Mbeki et Kgalema Motlanthe, Manuel s’est bâti une réputation de ministre le plus compétent d’Afrique. Cet homme influent et respecté ne cache pas se préparer depuis des années à un destin international.
Il a notamment présidé le conseil d’administration du FMI en 2000, et son Comité pour le développement de 2001 à 2005, avant d’être nommé envoyé spécial des Nations unies pour le financement du développement en 2008 — plaidant avec succès pour une rallonge de 750 milliards de dollars (513 milliards d’euros) au FMI.
L’architecte de la transformation économique de l’Afrique du Sud (25% de l’économie africaine) et de son décollage dans les années 2000-2001 vise les plus hautes fonctions de la finance mondiale.
Démissionnaire au moment de l’éviction de Thabo Mbeki fin 2008, il a rempilé pour rassurer les marchés lors du gouvernement de transition mené par Kgalema Motlanthe. Depuis l’élection de Jacob Zuma à la présidence, Trevor Manuel ronge son frein dans un placard doré, au poste de ministre du Plan national, chargé de définir des stratégies politiques.
Ce métis du Cap, fils de fonctionnaire qui portait des t-shirts à l’effigie du Che et qui a tâté des brutalités policières pendant la lutte contre l’apartheid, est considéré chez lui comme un mastodonte politique, même s’il n’est pas forcément très populaire en raison de ses orientations libérales. Beaucoup se souviennent d’une de ses petites phrases sur les pauvres: il avait refusé de distribuer des tickets de rationnement en 2008 aux plus nécessiteux, expliquant qu’il n’y aurait pas moyen de contrôler l’usage qui en serait fait, «pour la nourriture uniquement, et pas pour acheter de l’alcool ou autre chose».
Son nom a même été évoqué pour le poste de vice-président du Congrès national africain (ANC, le parti au pouvoir) en 2008, la voie royale pour devenir un jour président. Des fonctions auxquelles il ne peut cependant aspirer, en raison de son appartenance au groupe métis, minoritaire (9% de la population). Sur le plan symbolique, seulement vingt ans après la fin de l’apartheid, il reste important que ce soit la majorité noire (79% de la population) qui gouverne en Afrique du Sud.
Au sortir de l’apartheid, Trevor Manuel fut le premier ministre des Finances non-blanc de l’Afrique du Sud. Imprégné de marxisme-léninisme, il a d’abord fait peur aux investisseurs, puis les a rassurés en pratiquant une politique néolibérale axée sur la croissance. Il a su mettre des limites au secteur privé, toujours détenu par des intérêts blancs, en empêchant notamment les grands groupes de quitter le pays pour se coter à la Bourse de Londres après 1999, dans le sillage de l’empire minier Anglo American. Il a aussi résisté, sur sa gauche, aux pressions des syndicats noirs, qui réclament toujours en vain la mise en place d’une politique sociale à la hauteur des défis posés au pays.
Garde-fou de la démocratie sud-africaine
Marié depuis 2008 à Maria Ramos, femme d’influence (ancienne directrice générale du Trésor public puis de la société de transports publics Transnet, et depuis 2009 présidente-directrice générale d’Absa, l’une des plus grandes banques du pays), Trevor Manuel s’est distingué par une certaine arrogance ces dernières années, poursuivant notamment en justice ses critiques, parmi les journalistes.
Une polémique cinglante l’a opposé en mars dernier à Jimmy Manyi, le porte-parole du gouvernement. Dans une lettre ouverte, Manuel a accusé ce dernier de racisme et l’a comparé à Hendrik Verwoerd, ancien Premier ministre du régime d’apartheid. Le tort de Jimmy Manyi? Avoir déclaré qu’il y avait un «surplus» de métis dans la région du Cap défavorable aux noirs, dans le contexte d’une politique nationale de promotion des salariés non-blancs au sein des entreprises, et que ce «problème» devait être résolu en déplaçant des populations métisses vers d’autres provinces —comme au temps de l’apartheid.
Avec Nelson Mandela et Desmond Tutu, Trevor Manuel s’est ainsi positionné dans le rôle peu confortable de garde-fou de la démocratie sud-africaine, face aux dérapages incontrôlés de la nouvelle garde au sein de l’ANC. Des jeunes élites noires au ton revanchard, et qui dévient parfois de l’idéal multiracial pour lequel se sont battus leurs aînés.
Soutenu chez lui par une seule organisation du secteur privé, Business Unity South Africa (Busa), conscient de ses faibles chances au FMI, Trevor Manuel ne s’est pas encore déclaré pour le poste, alors que les candidatures seront closes le 10 juin. Jacob Zuma aimerait sans doute éloigner Trevor Manuel de la politique sud-africaine et le voir occupé à Washington plutôt qu’irrité à Pretoria. Mais l’ancien freedom fighter (combattant de la liberté) sait pertinemment qu’un directeur général africain à la tête du FMI représente une révolution, et qu’elle n’est pas pour demain.

Sabine Cessou

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