(Le Parisien 19/08/2010)
Au lendemain de la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance, le président gabonais parle des relations de son pays avec la France.
Le Gabon vient de fêter avec faste le cinquantenaire de son indépendance, le 17 août 1960 : un carnaval, un grand défilé militaire et une soirée populaire devant le palais présidentiel, sur le bord de mer. Elu le 30 août 2009, le président gabonais, Ali Bongo, reçoit « le Parisien » et « Aujourd’hui en France » et se démarque habilement de son père, Omar Bongo, qui s’est éteint l’an passé après plus de quarante et un ans d’un règne sans partage.
Peut-on faire un premier bilan politique et économique de votre action à la tête du pays?
ALI BONGO. Pour nous, le bilan est largement positif. Sur le plan politique, notre pays a traversé une période de transition qui a démontré la solidité des institutions et s’est soldée par une élection bien organisée. Nous avons enregistré la vigueur du Parti démocratique gabonais, qui n’a pas éclaté, et avons vu la création de formations politiques d’opposition, ce qui est bon signe pour la démocratie et les législatives de 2011. Sans triomphalisme, nous nous préparons pour les gagner. Sur le plan économique, le Gabon est ouvert à tous sans exclusive pour le business. Nous disons à nos partenaires : venez gagner de l’argent au Gabon et aidez-nous à nous développer.
Votre ambition est de faire du Gabon un « pays émergent », mais qu’est-ce qui a vraiment changé dans le pays depuis un an?
Je ne veux pas de coup de théâtre ni d’effets d’annonce, mais des changements en profondeur. Les Gabonais ont bien compris que pour régler les problèmes sociaux importants, il nous fallait générer plus de revenus pour avoir plus d’argent à redistribuer. Nous avons consacré plus de 40% du budget pour l’investissement, pour relancer la machine économique et accroître le taux de croissance, créer des emplois et en recueillir les fruits. Il nous fallait avoir une approche différente au niveau de la gouvernance et donc réduire d’abord nos dépenses et lutter contre la corruption.
Comment lutter efficacement contre la corruption?
Pour lutter contre la corruption et les comportements déviants d’un autre âge, j’attendais un certain nombre de rapports, dont celui de la Cour des comptes qui avait lancé de multiples audits. Ces rapports n’ont épargné personne. La présidence a été épinglée aussi. Il s’agit pour nous de changer les choses de manière durable, de changer les habitudes et les comportements et de ne pas nous limiter à des opérations coups de poing. Nous avons aujourd’hui une meilleure idée de la manière dont certaines choses ont été faites et dont nous ne voulons plus qu’elles se fassent.
Vous vous faites ainsi pas mal d’ennemis…
Mais j’en aurais encore plus si je ne fais rien!
L’héritage de votre père ne vous semble-t-il pas trop lourd à assumer?
Je n’irai pas jusqu’à dire : « Lui, c’est lui. Moi, c’est moi! » (NDLR : formule utilisée en 1984 par Laurent Fabius à propos de François Mitterrand.) Ma filiation m’interdit cette formule, mais je dirais que nous avons des différences de style. Le président Omar Bongo Odinba préparait beaucoup de réformes. En 2007, en fêtant ses quarante ans de pouvoir, il a fait un discours très courageux dans lequel il a indiqué ce qui avait été bien et a critiqué ce qui n’avait pas été bien fait. C’était un homme parfaitement conscient et ces réformes étaient attendues. Il fallait commencer à les faire. Ça m’est tombé dessus et je les ai faites.
Quelles sont vos relations avec Nicolas Sarkozy qui, lui aussi, se voulait l’homme de la rupture?
Elles sont très bonnes. Nous nous comprenons. Je comprends ce qu’il fait et il comprend ce que je fais. Il a donc engagé la France à nos côtés dans notre volonté de réformes. C’est pourquoi nous avons les meilleurs rapports avec lui comme avec la République française. Mais avec la France, ce ne sont pas des relations exclusives car cela n’existe plus, mais des relations privilégiées et décomplexées.
Nicolas Sarkozy voulait aussi tourner la page de la Françafrique…
Lui comme moi, nous ignorons ce qu’est la Françafrique. Nous n’étions pas là quand elle a été conçue. Cette Françafrique-là est bel et bien enterrée. Nous évoluons avec notre temps sans totalement remettre en cause ce qui est le plus important, c’est-à-dire le partenariat entre nos deux pays et l’amitié entre nos peuples. Le passé est derrière nous. Il y a des choses qui ont été bien faites et d’autres moins bien, mais là aussi il ne faut pas jeter la pierre sur tout. La faute du colonisateur, c’est fini. Nous ne blâmons personne. Il faut que les Gabonais prennent leur destin en main.
RéagirPropos recueillis par Bruno FANUCCHI
19.08.2010, Le Parisien
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