lundi 10 mai 2010

Comores - La Cour constitutionnelle met fin aux chantiers de Ahmed Sambi

(Le Pays 10/05/2010)
Le fait est assez rare en Afrique pour être souligné et salué : des magistrats ont osé s’assumer. En effet, la Cour constitutionnelle des Comores, la plus haute juridiction du pays, a invalidé l’article d’une loi du 1er mars 2010, qui prolongeait de 18 mois le mandat du président Ahmed Abdallah Sambi. Il en résulte qu’une période intérimaire s’ouvre à compter du 26 mai 2010 à 00 heure. La Cour répond donc favorablement au recours d’un député de l’opposition, Djabir Abdou, originaire de Mohéli.
Par sa décision, la Cour constitutionnelle prend ainsi à contre-pied le Parlement comorien complaisant. Les mesures prises par les députés, ayant été qualifiées d’« anticonstitutionnelles », ont été purement et simplement « annulées ». La haute juridiction comorienne va plus loin. Durant la transition, le président de l’Union et les vice-présidents exercent leurs pouvoirs, dans une démarche consensuelle, jusqu’à l’investiture du nouveau président de l’Union et des gouverneurs élus. En aucun cas, il ne saurait être utilisé « les dispositions constitutionnelles et légales relatives à la dissolution de l’Assemblée de l’Union, au changement du gouvernement et de la composition actuelle de la Cour constitutionnelle, et au recours aux mesures exceptionnelles sauf en cas d’interruption du fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles ».
On s’en souvient, Ahmed Abdallah Sambi avait dû recourir à l’Union africaine (UA) pour reprendre les rênes de l’Etat suite au coup de force opéré par le colonel rebelle Mohamed Bacar d’Anjouan. Ce dernier, acculé par les forces interafricaines, avait dû s’enfuir à Mayotte. Conduit par les autorités françaises à la Réunion, il y a demandé l’asile politique, demande rejetée par la suite. Faudra-t-il que l’UA se décide à aller déposer Ahmed Abdallah Sambi à son tour ?
L’Union des Comores, comme on l’appelle depuis 2002, est une République, composée des îles autonomes de Mwali (Mohéli), Maoré (Mayotte), Ndzuwani (Anjouan), N’gazidja (Grande-Comore). C’est un archipel de l’océan Indien situé à 400 km au nord-ouest de l’île de Madagascar et à 300 km des côtes africaines, à l’entrée du canal de Mozambique. Les îles sont distantes de 30 à 40 km les unes des autres. Depuis 1975, Mayotte est toujours revendiquée par les gouvernements successifs de l’État comorien unitaire ou fédéral. Car l’île reste toujours rattachée à la République française, ses électeurs ayant refusé l’indépendance après trois référendums. Pourtant, les assemblées générales de l’ONU et de l’UA se sont prononcées pour le rattachement de Mayotte à l’Union des Comores. L’État comorien inclue l’île de Mayotte à sa souveraineté en accord avec la résolution 3385 de l’ONU prise à l’unanimité le 12 novembre 1975. C’est ce qui explique le fait que cet État affirme que l’Assemblée générale des Nations unies rejette « toutes autres consultations qui pourraient être organisées ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France ». Après des années de trouble, et sous l’égide de l’UA, les Comoriens avaient trouvé une voie consensuelle de résolution de ces crises sempiternelles ayant toujours menacé l’unité de la fédération.
L’Union des Comores est donc l’aboutissement d’un processus de réconciliation nationale. En effet, le 23 décembre 2001, par référendum et après d’âpres négociations, est intervenue la signature des accords de Fomboni de 2000/2001. Les trois îles ont alors formé à nouveau une entité avec une nouvelle Constitution sous l’égide de l’UA. Des élections ont ensuite été organisées en 2006 et ont été remportées par Ahmed Abdallah Sambi. Ce religieux sunnite surnommé l’« Ayatollah », a fini par être gagné par la boulimie du pouvoir. Mais il va devoir apprendre à respecter les lois républicaines. Tirant leçon du passé, les géniteurs des textes consensuels avaient pris soin de délester le chef de l’Etat de certaines prérogatives. Par exemple, il ne peut prolonger indéfiniment son mandat. Le chef de l’Etat actuel se trouve donc dans l’obligation de s’en aller après les trois ans prévus par la Constitution.
Le président Sambi a voulu violer les textes. Il a sollicité et obtenu l’appui des députés qui lui sont favorables. Le Parlement a choisi de suivre le prince dans ses errements. C’était sans compter avec la droiture et la rigueur des magistrats de la Cour constitutionnelle. Encore une fois, des acteurs politiques africains se sont illustrés négativement. Plus grave, des élus du peuple ont trahi sa cause et sont allés à contre-courant de l’histoire. Heureusement, le régime comorien n’est pas un régime présidentiel fort. Il ne peut démettre le président de la Cour constitutionnelle.
Le régime politique en vigueur est multipartiste. Un président, chef de l’exécutif, est à la tête de l’Union. La présidence est tournante. Chaque île bénéficie d’une très large autonomie et possède son président et son conseil. Mais si les Îles Comores se montrent aujourd’hui à la hauteur de l’histoire, c’est avant tout et surtout grâce à la bravoure de quelques magistrats responsables qui auront donc sauvé le pays de la dictature qui s’annonçait. De la part d’un chef d’Etat installé par l’UA au prix de mille sacrifices, l’acte ne l’aura vraiment pas grandi et le cas présent peut être considéré comme un test, voire un vrai défi. Quelle reconnaissance que de se refuser à partir, une fois son mandat terminé ! Il faut souhaiter que la Constitution comorienne inspire davantage les autres pays africains. Il faut tourner la page de ces monarques absolutistes qui ont pris goût à chosifier les Constitutions, dépersonnaliser les magistrats et vider la vie politique de son contenu autant que de son charme.
La justice en Afrique n’est pas exempte de reproches. Toutefois, il existe aussi des magistrats soucieux du respect des principes républicains. Grâce à eux, la démocratie avance et peu à peu les frontières de l’impunité s’écroulent. L’espoir est permis. La preuve en est que Ahmed Abdallah avait soutenu que “La loi du congrès du 1er mars 2010 est conforme à la Constitution. Il n’y a personne sur cette terre qui peut le contester”.
En déclarant cela, devant un parterre de notables, le président Sambi ne se doutait certainement pas que la détermination de la Cour constitutionnelle comorienne allait l’empêcher de poursuivre ses chantiers comme l’ex-président Tandja du Niger. Et bien, il l’apprend à ses dépens. Reste à savoir si le président Sambi va accepter de se conformer à ces directives. En dehors de ses thuriféraires, de quels atouts dispose-t-il pour s’y objecter ?

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