mercredi 15 juin 2011

R.D.C. - Loi électorale : le pouvoir recalé

(La Libre 15/06/2011)

Les élus congolais rejettent les réformes proposées par le gouvernement.
Après les députés, fin mai, les sénateurs congolais ont adopté lundi soir une nouvelle loi électorale. Toutefois, les textes votés rejettent les modifications importantes proposées par le gouvernement dans son projet de loi.
Les deux assemblées ayant voté deux textes un peu différents (par 363 voix et 2 abstentions à l’Assemblée; par 76 voix et 5 abstentions au Sénat), une commission paritaire devait les harmoniser mardi pour adoption définitive dans la soirée : c’est ce mercredi 15 juin, en effet, que se termine la session ordinaire. Si, par extraordinaire, ce ne pouvait être fait dans les temps, c’est la version de l’Assemblée nationale qui prévaudrait; celle-ci est en effet élue au suffrage universel direct, tandis que les sénateurs sont élus indirectement, par les assemblées provinciales.
Les deux assemblées ont rejeté les principales modifications à la loi électorale de 2006 souhaitées par le gouvernement.
Il s’agit d’abord de l’instauration d’un scrutin "mixte", entamant sérieusement le principe du vote à la proportionnelle au plus fort reste. Ce dernier, selon le projet gouvernemental, n’aurait plus été d’application que là où il y avait plusieurs sièges à pourvoir et où aucun parti n’emporterait la majorité absolue des voix; partout ailleurs, le parti dépassant 50 % aurait "emporté la totalité des sièges". Nombre d’élus ont été sensibles au besoin de ce pays jeune et qui naît à la démocratie, de garder le système instauré en 2006, dans lequel les électeurs se sentent représentés et n’ont pas l’impression qu’on n’a pas tenu compte de leur vote : il importe de refléter la diversité ethnique du Congo et de permettre la participation des minorités à sa gestion, afin d’en renforcer la cohésion.
Si cette disposition n’avait pas été rejetée par les deux chambres, elle aurait renforcé la rivalité entre pouvoir et opposition puisqu’il y aurait eu des régions dont tous les sièges seraient à l’un et d’autres où tous seraient à l’autre. La situation résultante aurait été particulièrement explosive alors que le président Kabila a réussi à faire adopter en janvier dernier, "de manière précipitée et expéditive", selon la Conférence épiscopale congolaise - qui craignait une évolution vers "l’instauration d’une nouvelle dictature" - une modification de la Constitution portant de deux à un seul tour l’élection présidentielle prévue pour novembre prochain. En raison de l’incapacité notoire de l’opposition à s’entendre sur un seul candidat, cette nouvelle disposition facilite grandement la réélection du Président sortant.
Le refus de cette modification a été enregistré aussi bien au sein de la majorité présidentielle que de l’opposition, ce qui avait poussé le journal "Le Potentiel" à titrer en mai dernier sur "l’implosion des alliances politiques". Les élus kabilistes ont en effet défendu leur intérêt à être réélus plutôt que le désir du chef de l’Etat de favoriser les grands partis. "On a l’impression que le mode (de vote) proposé n’est pas aussi compréhensible que les raisons pour lesquelles on l’a choisi", écrivait ainsi le 11 mai dernier le journal pro-gouvernemental "L’Avenir". "Tout le monde est d’avis que ce mode hybride de scrutin aura pour conséquence l’élimination de petites formations politiques sans qu’on dise en quoi les élus de ces petits partis politiques ont constitué un problème [ ] On cherche à tout avoir en cherchant comment exclure les autres". Petits partis et indépendants sont souvent vus comme des "électrons libres", accusés de monnayer leur vote au gré des circonstances, sans appartenir fermement à la majorité ou à l’opposition.
Double refus également du projet gouvernemental de créer, là où il n’existait pas, un seuil d’éligibilité (droit de siéger à l’Assemblée nationale) de 10 % des voix minimum, projet tendant lui aussi à éliminer les petites formations. Plusieurs élus ont souligné que dans un pays comptant plus de 300 partis politiques, il y avait un risque qu’aucun ne totalise ces 10 % de voix dans certaines circonscriptions.
Double refus encore du projet gouvernemental de faire passer de 4 à 24 le nombre de circonscriptions électorales de Kinshasa, qui aurait eu pour effet, lui aussi, de favoriser les grandes formations. Les élus ont jugé que cela établirait une différence injuste entre le candidat à Kinshasa - qui pourrait parcourir plusieurs circonscriptions en un jour - et celui de province, ralenti par la taille des circonscriptions et par le mauvais état des routes.
Après ces longs débats, la nouvelle loi électorale resterait, pour l’essentiel, celle de 2006, les nouveautés étant surtout destinées à la mettre en conformité avec la réforme constitutionnelle établissant une élection présidentielle à un seul tour.

Marie-France Cros
Mis en ligne le 15/06/2011
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