Mercredi, 08 Juin 2011 14:45 James Mouangué Kobila ..Note d’actualité constitutionnelle sur le débat relatif à la rééligibilité de l’actuel chef de l’Etat camerounais .Ayant suivi le journal télévisé de la Crtv du 26 mai 2011 à 20h 30 et lu l’édition de Cameroon Tribune du lendemain, j’ai compris, à travers l’intervention de Monsieur le Professeur Narcisse Mouelle Kombi, qu’un important débat était en cours au sujet de la rééligibilité du Président de la République, en raison des allégations de certains enseignants du Supérieur qui prétendent que la révision constitutionnelle promulguée le 14 avril 2008 qui rend le Président de la République indéfiniment rééligible ne serait pas applicable à l’actuel titulaire du poste, dès lors qu’il a été élu sous l’empire de l’ancienne formulation de l’alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution qui limitait la rééligibilité du Président de la République.
Il s’agit en fait de l’exhumation d’un débat mort-né lors de la révision constitutionnelle de 2008, au cours de laquelle le député RDPC Roger Nkodo Dang avait estimé, à tort, que « [s]’il n’est pas explicité que la nouvelle disposition de l’article 6 alinéa 2 bénéficie au Président de la république en fonction, il faudrait retenir qu’il en est exclu du bénéfice » (voir Amendement au projet de loi portant révision de la Constitution de 1996 transmis au président de l’Assemblée nationale le 7 avril 2008, p. 1). Les instigateurs de ce débat veulent en réalité faire échec à la souveraineté du suffrage et à affaiblir le lien entre l’élu et le peuple suivant l’argumentation élaborée par le Comité Balladur qui a suivi en ce point celle du Comité Vedel[1].
Cette note s’inscrit dans la démarche juridique qui est descriptive, en ce sens qu’elle vise à « exposer, comprendre ou expliquer ce qui est, sans chercher à déterminer ce qui devrait être »[2].
Aux quatre arguments déjà invoqués à la télévision d’Etat et dans le quotidien gouvernemental sans toujours être nommés : i) l’argument textuel (la lex lata) qui s’appuie sur la lettre du nouvel alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution ; ii) l’argument tiré de l’abrogation de la limitation du nombre de mandats – une abrogation tacite, mais indiscutable en vertu du principe juridique lex posterior priori derogant (la loi postérieure l’emporte sur la loi antérieure) ; iii) l’interprétation psychologique (l’intention du constituant d’avril 2088 qui était bien de rendre l’actuel président rééligible) et iv) l’argument tiré de l’incidence du temps dans la détermination de la règle applicable ; je voudrais verser ma contribution à ce débat dans le sens de l’argumentation du Directeur de l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) en les resituant dans la méthodologie fondamentale du droit (1) et y ajouter des arguments de fond qui militent également en faveur de l’éligibilité du Chef de l’Etat (2).
1- Les arguments de méthodologie fondamentale du droit
La rééligibilité de l’actuel chef de l’Etat se fonde sur trois arguments de méthodologie juridique : l’interprétation psychologique de la révision constitutionnelle de 2008, le principe suivant lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et l’absence de clause de survie de l’ancienne formulation de l’alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution.
a) L’interprétation psychologique (fondée sur l’intention du Constituant de 2008) : il est indiscutable que l’intention du constituant camerounais du 14 avril 2008, sa ratio legis, était de rendre la rééligibilité de l’actuel président possible. Il s’agissait en effet de permettre au président Paul BIYA, de se porter candidat, s’il le désire, à la magistrature suprême[3] et c’est bien ce que les adversaires du projet de révision combattaient férocement, avec les arguments plus fallacieux les uns que les autres[4].
b) C’est un principe juridique bien établi que, sauf énonciations expresses contraires, la loi ne dispose que pour l’avenir[5] : l’alinéa 2 de l’article 6 de la Constitution régit l’éligibilité du Président de la République ; or, l’éligibilité d’un Chef d’Etat s’apprécie au moment où il fait acte de candidature ; dès lors que l’éligibilité de l’actuel président a été appréciée lors de la présidentielle du mois d’octobre 2004 la prochaine appréciation de son éligibilité est attendue lors du dépôt des candidatures en vue de la présidentielle de 2011.
Dans ces conditions, prétendre que la modification des conditions de la rééligibilité du Chef de l’Etat, adoptée en 2008 peut avoir un effet rétroactif reviendrait à soutenir que les nouvelles conditions d’éligibilité du Président de la République, adoptées en avril 2008, devraient s’appliquer à l’élection présidentielle qui s’est déroulée… au mois d’octobre 2004, ce qui serait évidemment absurde et ridicule, tant il est clair que les nouvelles conditions d’éligibilité seront appliquées lors de l’examen des candidatures et lors du contentieux relatif à l’élection présidentielle de 2011.
Les nouvelles dispositions constitutionnelles qui rendent le Chef de l’Etat indéfiniment rééligible s’appliquent naturellement – aussi bien en logique tout court qu’en logique déontique (ou logique des normes) – dès la prochaine élection présidentielle. La loi n’ayant pas d’effet rétroactif, c’est à l’aune de ces nouvelles énonciations que sera apprécié le dossier de candidature de Monsieur Paul BIYA, s’il décide de se porter candidat à la prochaine élection présidentielle.
c) La révision constitutionnelle du 14 avril 2008 ne contient aucune clause de survie[6] de l’ancien alinéa 2 de l’article 6. Une telle clause prévoirait par exemple que l’amendement adopté ne s’applique pas au président en fonction. Or, aucune mention de ce genre ne figure dans la Constitution, telle que révisée en avril 2008.
2- Les arguments de fond
Deux arguments de fond peuvent être invoqués au soutien de la thèse de la rééligibilité de l’actuel président : un principe fondamental du droit électoral et l’argument de droit comparé.
a) L’argument tiré des principes du droit électoral
Il se trouve qu’en droit électoral, « l’inéligibilité s’analyse comme une limitation à l’exercice d’une liberté électorale. Il en résulte […] qu’une inéligibilité ne se présume pas et qu’elle doit être prévue par un texte »[7]. Or, dans sa rédaction issue de la révision constitutionnelle du 14 avril 2008, la Constitution camerounaise n’énonce guère que l’actuel président est inéligible, en raison de ce qu’il aurait déjà exercé plus d’un mandat à la tête de l’Etat. Il en découle que l’inéligibilité de l’actuel président n’est expressément prévue par aucun texte. C’est donc à tort, vainement et en violation d’un principe fondamental du droit électoral que certains universitaires tentent de présumer l’inéligibilité de l’actuel président dans le cadre de la présidentielle de 2011 au moyen de raisonnements spécieux.
b) L’argument de droit constitutionnel électoral comparé
Dans la vingtaine d’Etats d’Amérique latine et d’Afrique où la levée de la limitation du nombre de mandat présidentiels a été récemment adoptée, la rééligibilité d’aucun Chef d’Etat en fonction n’a jamais été contestée.
Ce fut le cas dans les huit Etats d’Amérique latine – où la démocratie est réputée consolidée – qui ont procédé à la levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels entre 1993 et 2009 (Cf. la page Internet jointe en annexe), la levée de la limitation du nombre de mandats a en effet toujours eu pour finalité de permettre au Président en fonction de se représenter, et le Président en fonction s’est presque toujours représenté avec succès, voire avec des succès répétés. Il s’agit du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur, de la Colombie, de la République dominicaine, du Brésil, de l’Argentine et du Pérou.
Il en est de même des 10 autres Etats africains francophones où la limitation du nombre de mandats présidentiels a été levée : l’Algérie, le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée Conakry, Madagascar, la Mauritanie, la Namibie, le Tchad, le Togo et la Tunisie.
Douala, mai 2011
Références bibliographiques
[1] Cf. Ariane VIDAL-NAQUET, « Un président de la République plus ‘‘encadré’’ », La semaine juridique, édition générale n° 31-35, 30 juillet 2008, pp. 28-34 (spéc. p. 31).
[2] Voir Olivier CORTEN, Méthodologie du droit international public, Editions de l’Université de Bruxelles, coll. « UB lire références », 2009, p. 34.
[3] Cf. notamment le Projet de loi n° 819/PJL/AN modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, Assemblée nationale, 8ème législature, année législative 2008, 1ère session ordinaire (mars 2008), document n° 007/AN/8 ; Rapport présenté au nom de la Commission des Lois constitutionnelles, des Droits de l’homme et des libertés, de la justice et du règlement, de l’Administration par l’honorable ETONG Hilarion, Député, sur le Projet de loi n° 819/PJL/AN modifiant et complétant certaines dispositions de la Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 2 juin 1972, Assemblée Nationale, 8ème législature, année législative 2008, 1ère session ordinaire (mars 2008), document n° 22/R/AN/8 et l’intervention de l’Honorable Etienne Charles Lekene Donfack devant le Groupe parlementaire du RDPC le 6 avril 2008 sur le Projet de loi portant révision de la Constitution du 18 janvier 1996.
[4] Cf. les Procès-verbaux de la séance plénière d’adoption de la révision constitutionnelle du 10 avril 2008 n° 29/6 et n° 35 AI/2 ainsi que les amendements proposés par les Honorables Jean-Jacques EKINDI le 6 avril 2008 enregistré sous le n° 931 ; Amadou Adji enregistré sous le n° 935 ; MBAH-NDAM, amendement n° 2 du 7 avril 2008 enregistré sous le n° 938 et Tomaïno Ndam Njoya Hermine Patricia ; cf. également les journaux locaux de la période de décembre 2007 à avril 2008.
[5] cf. Paul DELNOY, Eléments de méthodologie juridique. 1 Méthodologie de l’interprétation juridique. 2 Méthodologie de l’application du droit, 3ème éd., Bruxelles, Larcier, coll. « de la Faculté de droit de l’Université de Liège », 2008, pp. 306-309. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation belge, cet auteur écrit ainsi que « c’est par la loi nouvelle que sont régis les comportements adoptés, les faits survenus, les situations juridiques nées après son entrée en vigueur […] la justification de ce principe tient en ce que, si le législateur a adopté une nouvelle loi ou a modifié l’ancienne, c’est parce qu’il a estimé que, de la sorte, serait améliorée l’organisation de la société » ; et il insiste : « c’est la loi nouvelle qui régit les événements qui surviennent, les faits qui se produisent et les comportements qui sont adoptés après son entrée en vigueur » (p. 309). Il s’en déduit que c’est à la lumière de la nouvelle lecture de la Constitution issue de la révision de 2008 que sera appréciée l’éligibilité de l’actuel président dans le cadre de l’élection présidentielle de 2011, ce qui signifie que sa rééligibilité ne fait pas l’ombre d’un doute.
[6] Cf. Paul DELNOY, op. cit., p. 314. La clause de survie correspond à la situation dans laquelle « le législateur décide que, nonobstant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi ancienne restera d’application sur certains points et durant un certain temps » (ibid.), ce qui n’est manifestement pas le cas avec la révision constitutionnelle de 2008.
[7] Voir Louis Favoreu / Loïc Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 15ème éd., avec la collaboration de Richard Ghevontian / André Roux / Patrick Gaïa / Ferdinand Mélin-Soucramanien, Paris, Dalloz, 2009, p. 206 in fine.
Par James Mouangue Kobila*
* Professeur agrégé des Facultés de Droit
(Concours international du CAMES)
Chef du Département de Droit Public
Université de Douala
quotidien.mutations-multimedia.com
le Professeur Narcisse Mouelle Kombi a suffisamment démontré que la rétroactivité de la Loi est implicite. C’est est un principe simple de droit, alors, Paul Biya est bel et bien un présidentiable crédible tant la révision de 2008 abroge les dispositions antérieures.
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