(Le Figaro 06/06/2011)
Le vice-premier ministre russe dénonce l'entrée en scène, ce week-end, des hélicoptères de combat français et britanniques.
En mars dernier, Moscou avait soutenu du bout des doigts l'intervention militaire lancée contre la Libye par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. La Russie s'était abstenue d'opposer son veto à la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, autorisant des frappes militaires. Mais visiblement, la pilule libyenne est restée en travers de la gorge du pouvoir russe. À l'occasion du dixième sommet du Shangri-La sur la sécurité en Asie, organisé à Singapour par l'Institut international pour les études stratégiques (IISS), le vice-premier ministre Sergueï Ivanov a vivement critiqué l'intervention des alliés.
Une phase nouvelle
«Nous avions soutenu la résolution dont l'objectif était de protéger les populations civiles. Mais nous ne sommes pas d'accord avec la manière dont la zone d'exclusion aérienne est imposée, elle ne respecte pas le cadre de la résolution», a clairement affirmé Sergueï Ivanov. Le vice-premier ministre a dénoncé les bombardements aériens menés par la France et la Grande-Bretagne. Il s'est clairement insurgé contre l'entrée en action, il y a deux jours, des hélicoptères de combat envoyés par Londres et Paris. Une phase nouvelle de la guerre, destinée à accélérer la chute du régime libyen en ciblant des «cibles d'opportunité», des chars et des convois de combattants mouvants, difficiles à détruire par les bombardiers volant à haute altitude. Mais qui, dans l'esprit du responsable russe, constitue «la dernière étape avant une opération terrestre». «Nous estimons que la communauté internationale a clairement pris partie dans ce conflit», a-t-il regretté, devant un parterre essentiellement constitué de délégués asiatiques.
À Singapour, le ministre britannique de la Défense Liam Fox a justifié l'envoi d'hélicoptères en Libye en affirmant qu'il fallait utiliser «tous les moyens qui sont à notre disposition pour maintenir la pression» contre le régime. Il s'est dit «fier» que la France et la Grande-Bretagne aient produit suffisamment d'«énergie» pour «éviter une catastrophe à Benghazi». Tout l'opposé d'Ivanov, qui, soulignant qu'il y a dans le monde des dizaines de conflits larvés ou déclarés, a remis en cause les principes mêmes de l'intervention destinée à éviter une répression massive des troupes de Kadhafi contre les opposants. «Devons-nous intervenir dans chaque conflit, au nom de principes humanitaires? Je ne suis pas sûr.»
Le vice-premier ministre s'est également inquiété de la disparition des armes stockées dans les entrepôts libyens, qui n'ont pas tous été détruits par les avions de l'Otan. «Certaines étaient de fabrication soviétique. Où sont passées ces armes? Par qui vont-elles être utilisées? Contre quelles populations civiles vont-elles se retourner? Il ne faudra pas s'étonner si un jour un avion ou des hélicoptères» se font abattre dans le ciel libyen, a-t-il dit, non sans cynisme.
Tensions diplomatiques
Le haut responsable russe, qui s'exprimait à un sommet auquel participaient aussi le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, et le Britannique Liam Fox, au moment où son homologue des Affaires étrangères britannique, Wiliam Hague, effectuait une visite à Benghazi, s'est montré, sur le sujet libyen, beaucoup plus dur que le président Dmitri Medvedev. Au G8 de Deauville, la face «douce» du régime russe avait en effet affirmé que le colonel Kadhafi avait «perdu sa légitimité» et qu'il devait partir. La Russie avait aussi apposé sa signature sur la déclaration finale du G8, qui évoquait ouvertement le nécessaire départ du leader libyen. Moscou aurait même été approché par Paris et Washington pour jouer un rôle de médiateur dans la crise libyenne.
Si l'intervention militaire devait se prolonger, il y a fort à parier que les alliés, en plus des difficultés rencontrées sur le terrain, auront à gérer de nouvelles tensions diplomatiques avec la Russie.
Par Isabelle Lasserre
06/06/2011
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