(Xinhuanet 02/06/2011)
MOSCOU/LE CAIRE -- Le président russe Dmitri Medvedev, précédemment opposé aux frappes aériennes de l'OTAN contre les forces du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, a étonnamment durci sa position lors du sommet du G8, tenu les 26 et 27 mai dans la station balnéaire française de Deauville, en se joignant à l'Occident pour réclamer le départ de M. Kadhafi.
Ce revirement diplomatique, qui peut s'expliquer par la volonté de protéger ses propres intérêts en Libye, serait-il capable de faire la différence dans ce pays du Moyen-Orient ? Voilà la question qui se pose.
LES MOTIFS DERRIERE LE CHANGEMENT DE CAP
Depuis le début de l'insurrection en Libye, les décideurs de Moscou ne manquent pas d'arrière-pensées et évaluent les hypothèses : possibilité de démission de M. Kadhafi, survie des intérêts russes sur le terrain en cas d'avènement de l'opposition... Et l'enlisement des combats sur le terrain a brouillé la vision de Moscou.
Jugeant qu'il était trop tôt pour prendre parti, la Russie avait jusqu'ici opté pour une voie médiane en condamnant à la fois les frappes aériennes de l'OTAN et les actes de l'armée de M. Kadhafi contre les civils.
"La position russe sur la question libyenne était fondée sur les bases communes du BRICS que sont la non implication dans le conflit et l'équilibre global entre les trois parties : le gouvernement libyen, les forces d'opposition et les puissances occidentales", a déclaré Fedor Loukianov, rédacteur en chef de la revue Russia in Global Affairs.
Pourtant, le temps passe, et la balance penche peu à peu. Les appels répétés de l'Occident visant à provoquer le départ de M. Kadhafi et l'intensification des frappes aériennes de l'OTAN contre Tripoli ont certainement pesé dans la prise de position de Moscou.
Said Lawendy, un expert en relations internationales du Centre des études politiques et stratégiques Al Ahram, a déclaré à Xinhua que l'OTAN ne mettrait pas fin à son ingérence tant que le régime de Kadhafi serait toujours en place.
Un autre facteur clé réside dans la nécessité de protéger ses intérêts en Libye et de rester un acteur sur le terrain après le conflit.
La Russie, qui considère la Libye comme un partenaire important dans la région, y a investi des milliards de dollars dans nombre de domaines, dont l'exploration pétrolière, la construction ferroviaire et les ventes d'armes.
D'ores et déjà, le chaos en Libye nuit gravement à la Russie. Selon un récent reportage du quotidien russe RBC, la guerre en Libye pourrait porter préjudice pour de nombreuses années aux investissements russes injectés dans le pétrole et le gaz dans le pays .
Tatneft, une compagnie pétrolière russe, a beaucoup investi en Libye au cours des six dernières années, tandis que Gazprom, le géant du gaz russe, a dépensé environ 163 milliards de dollars en février pour l'achat de parts dans le projet sur le champ gazo-pétrolier Elephant en Libye. Les deux sociétés ont dû suspendre leurs opérations et évacuer leurs personnels en Libye en raison du conflit dans le pays.
Alors que les raids aériens de l'OTAN prennent de plus en plus d'ampleur, la Russie ne peut plus se permettre de rester simple spectatrice.
Selon Meisant al-Janabi, un professeur de l'Université de l'amitié des peuples, le Kremlin cherche à éviter que le futur de la Libye ne soit exclusivement dominé par l'Occident, et a commencé à prendre des mesures pour éviter ce risque.
De surcroît, des promesses et des offres faites par certains pays occidentaux lors du sommet du G8 ont également contribué à la nouvelle orientation de Moscou.
En échange du soutien de Moscou sur la question libyenne, l'Occident a offert des contreparties : la promesse a été faite de faciliter l'entrée de la Russie dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'ici la fin de l'année, et un accord a été conclu entre M. Medvedev et son homologue français Nicolas Sarkozy sur l'acquisition par la Russie de quatre navires d'assaut amphibies de type Mistral de fabrication française.
"Ce n'est pas un secret que chaque pays ancre sa politique à ses propres intérêts [...] M. Medvedev n'a donc rien fait d'extraordinaire. Il a juste montré que la Russie avait calculé ses possibles avantages et pertes", a indiqué le professeur al-Janabi.
UNE INFLUENCE LIMITEE
Exigeant le départ de M. Kadhafi, la Russie cherche pourtant à servir de médiateur dans la crise libyenne, un rôle qu'elle avait dans un premier temps refusé.
Pour commencer, Moscou a choisi d'envoyer un émissaire à Benghazi, bastion des rebelles libyens, et non à Tripoli, où la situation reste "plus compliquée".
A la veille de son départ pour Benghazi, Mikhaïl Margelov, président de la Commission des relations étrangères du Conseil de la Fédération, a déclaré vendredi que sa mission à Benghazi aurait pour objectif de faire la lumière sur la représentativité des rebelles ainsi que leurs plans pour l'avenir de la Libye.
Pourtant, même si Moscou maintient à la fois des contacts avec Tripoli et les rebelles, l'influence de Moscou en Libye s'avère, à en croire certains analystes, limitée, car la possibilité de voir partir M. Kadhafi sous la pression russe serait minime.
Evgueni Satanovski, directeur de l'Institut des études du Moyen-Orient à Moscou, doute que M. Kadhafi accepte de quitter le pouvoir. Selon lui, M. Kadhafi "se battra jusqu'au bout avec des conséquences imprévisibles".
L'envoyé russe Margelov a lui aussi reconnu qu'il serait difficile d'obtenir une avancée, estimant qu'il serait impossible de convaincre M. Kadhafi de quitter le pouvoir à travers le dialogue.
Peu après le sommet du G8, le vice-ministre libyen des Affaires étrangères, Khaled Kaim, a minimisé les effets des prises de position lors du sommet du G8, affirmant que Tripoli ne soutenait que les propositions de l'Union africaine (UA). "Toute décision prise sur l'avenir politique de la Libye n'appartient à personne d'autre qu'aux Libyens", a-t-il souligné.
La dernière déclaration du gouvernement libyen a souligné l'intransigeance du régime.
Mardi, le porte-parole du gouvernement libyen Moussa Ibrahim a démenti que M. Kadhafi ait abordé une quelconque "stratégie de sortie" avec le président sud-africain Jacob Zuma, qui vient de conclure une mission de médiation à Tripoli.
D'autre part, l'efficacité de la Russie en tant que médiateur est remise en cause par les rebelles libyens.
Le porte-parole de l'opposition et vice-président du Conseil national de transition (CNT, instance dirigeante de la rébellion), Abdel-Hafidh Ghoga, a déploré le caractère tardif de la prise de position de Moscou. "Il est trop tard, et ce n'est pas une grosse affaire", a-t-il dit devant un rassemblement à Benghazi.
Par Zheng Haoning, Igor Serebryany, Feng Kang
Publié le 2011-06-02 10:57:13
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