(Afrik.com 08/06/2011)
Le peuple ivoirien vient de très loin. Il a passé avec courage, frayeur, et dans la douleur, des épreuves « initiatiques » pour accéder aux délicieuses et amères notions de Liberté et de Démocratie. Ce peuple, la peur chevillée au corps, vient de traverser les entrailles les plus redoutables de « l’enfer », en affrontant avec intrépidité les forces destructrices du mal, générées par les avidités obsessionnelles et néfastes de ses représentants politiques, assoiffés de pouvoir et prêts à tout pour le conquérir, en faisant fi de nombreuses vies humaines.
Depuis la mort du « Père » le 7 décembre 1993, orphelin et livré à lui-même, le peuple ivoirien a dû affronter avec violence et sans préparation psychologique, toutes les incertitudes et menaces en tout genre que lui imposait le vide laissé par son « père » protecteur. Dans l’épreuve et le chagrin du choc causé par cette disparition, ce peuple ivoirien tant protégé et sécurisé par la toute bienveillance du « Vieux », a découvert avec brutalité et une cruauté sans nom, l’univers impitoyable de la politique. Avant la mort du « Père », l’espace politique était vécu par les uns comme une véritable source de bien-être permettant une vie aisée et sans soucis. La vie était belle, dorée et ceci presque de manière naturelle. Pour les autres, ce milieu politique représentait de nombreux rêves et désirs de réussite. Ces deux mondes se rejoignaient malgré tout, dans le confort et la paix sociale qu’offrait cet univers politique, fait par quelques acteurs qui régnaient en véritables barons et empêchaient toute intrusion malencontreuse. Les ivoiriens ne s’intéressaient pas vraiment à ce monde dont les codes et usages leurs échappaient. Beaucoup d’entre eux ne savaient pas réellement à quoi servaient les différentes institutions du pays. La connaissance de la constitution ainsi que les prérogatives du chef d’état régit par ce texte fondamental leur échappait. Les différents enjeux économiques, géopolitiques, diplomatiques ou autres étaient très loin de leurs préoccupations quotidiennes. Le « Vieux » était là, il veillait sur eux, il les protégeait et leur garantissait la paix sociale, ainsi qu’un pouvoir d’achat supérieur à tous leurs voisins dans la sous-région et même au-delà. C’était l’essentiel pour beaucoup d’entre nous. Les bières pouvaient alors couler à flot dans les maquis toujours bondés, quelle que soit la situation économique du pays. Le « Vieux » était là, et cela suffisait à nous sécuriser psychologiquement. Pendant que le peuple ivoirien découvrait médusé aux informations, les coups d’état à répétition dans les autres pays africains, la stabilité sociale de leur pays incarné par ce père aujourd’hui regretté, le rassurait. Les images de famines, de guerres civiles et de pauvretés sur le continent qui défilaient en boucle à la télévision et faisaient les unes de Fraternité-Matin et de la Radio nationale, rappelaient chaque jour au peuple ivoirien la « chance » qu’il avait d’avoir un « Père » qui veillait sur lui, en dépit des nombreux reproches ou critiques qu’on pouvait lui faire.
Le temps des Grands prédateurs
La tragédie grecque n’aurait pas fait mieux. A peine la mort du « Père » annoncée, les hostilités des « fils aînés » pour sa succession se sont manifestées de manière indécente et abjecte. L’absence du « Père » créée par cette disparition a fini par tourner en véritable psychodrame. Le peuple ivoirien, bouleversé par son chagrin et paralysé par cette douleur, observait de manière déconcertée ces « frères ennemis » qui s’embrassaient autour du cercueil du « Vieux », les larmes sur les joues, mais avec des pensées de meurtre dans l’esprit. Le peuple ivoirien venait de faire connaissance avec les réalités impitoyables de l’univers feutré du monde politique. Le temps des grands prédateurs était arrivé et annonçait de fait des jours sombres et funestes. La suite est hélas connue. Nos aînés, ces prédateurs sans foi ni loi, se sont vite empressés d’enterrer la dépouille du « Vieux », sans oublier d’y mettre tout son passif politique qu’ils ont liquidé comme des « enfants gâtés » qui n’avaient aucune conscience de la valeur de l’héritage qui leur était transmis. Le meutre symbolique du « Père » venait alors d’avoir lieu. Froidement, inconsciemment mais de manière déterminée, les notions de « Paix », d’« Union » et de « Fraternité » entre le peuple ivoirien étaient de fait ensevelies avec la dépouille du « Vieux ». Les psychologues nous diraient, « il faut tuer le père pour exister soi-même et se débarasser du poids que représente un tel héritage », difficile à assumer lorsqu’on n’est pas préparé pour le perpétrer.
La maturité du peuple ivoirien après ces années de chaos et perdition
Après avoir affronté, défié et même vaincu les forces du mal au prix de vies humaines, le peuple ivoirien est aujourd’hui mûr pour veiller et conduire lui-même sa destinée selon ses aspirations légitimes. Après avoir bravé la peur et les menaces de mort, traversé les entrailles effroyables et traumatogènes des profondeurs d’un monde qui lui était jusque là encore inconnu, le peuple ivoirien s’est de fait immunisé de ces atrocités. Ces épreuves l’ont aguerri et lui ont forgé une solide conscience politique et citioyenne. Désormais, les notions de libertés individuelles et collectives, de démocratie, de suffrages universels, de responsabilité et de sacrifice auront un autre sens à ses yeux. Désormais, les ivoiriens veilleront eux-mêmes sur leurs intérets, à leur avenir, mais surtout à cette notion de paix et de fraternité tant prônée par le « Vieux ». Désormais, conscient de sa force, du pouvoir de son vote et de la détermination de ses engagements politiques, associatifs ou syndicaux, le peuple ivoirien sait qu’il est un acteur incontournable et décisif de cet espace politique qu’il a tant ignoré. Il sait désormais que c’est lui qui confie le pouvoir au chef de l’Etat, comme à tous les autres élus de la nation, pour une durée déterminée. De ce fait, il a le pouvoir de le lui retirer à tout moment dans le respect des règles démocratiques fixées par notre constition et même demander des comptes. La crise post-électorale initiée par le désaccord entre la CEI et le Conseil Constitutionnel va conduire de facto les ivoiriens à s’intéresser davantage à ses institutions et leurs rôles dans la vie quotidienne. La révision constitutionnelle prévue par le président ADO, les futures échéances électorales, sont autant d’occasions qui permettront à chaque ivoirien de faire valoir le pouvoir qu’il détient de par la souveraineté que lui confère la constition. A lui également désormais de prendre ses responsabilités et de s’affirmer en tant que détenteur du pouvoir souverain, au-dessus du chef de l’Etat, de la constitution et de toutes autres institutions.
Une tribune de Macaire Dagry, chroniqueur politique au quotidien ivoirien Fraternité-Matin
mercredi 8 juin 2011 / par Macaire Dagry, pour l'autre afrik /
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