(Afriscoop 03/03/2011)
(AfriSCOOP - Interview exclusive) — Nicolas Lawson n’a pas sa langue dans sa poche ; ce qui en fait sa principale caractéristique sur l’échiquier politique togolais. Fidèle à ses convictions et toujours égal à lui-même, le leader du Prr (Parti du renouveau et de la rédemption) commente et analyse le quotidien de ses compatriotes, depuis les grands bouleversements politiques intervenus au Togo après mars 2010.
AfriSCOOP : Qu’est-ce qui justifiait la « profession de foi » de votre parti, datée du 18 février 2011 ?
N. Lawson : Incontestablement, le Togo se porte mal. La déliquescence du régime est extrême et il entraîne la décomposition de notre société. Etrangement, ceux qui ont pris le responsable de l’Etat en otage sont atteints de cécité et d’une aphasie caractérisée. C’est face à ce péril public que notre parti a pris la responsabilité de tirer la sonnette d’alarme. Par ailleurs, la souffrance sociale dans le pays nous indigne, en considération des injustices sociales graves, de la corruption généralisée, de la gabegie, du copinage, du dédain du pouvoir à l’égard de l’opposition, de la misère ambiante et du chômage massif des jeunes gens.
Qu’est-ce qui fait en ce moment l’actualité du Prr ?
C’est avant tout le sort immédiat de la majorité de la population. Le coût trop élevé de la vie n’est plus abordable au plus grand nombre de notre peuple. Malheureusement, la politique économique du gouvernement est dévastatrice et sans espérance. Elle est soumise exclusivement aux directives des technostructures bureaucratiques supranationales sans dessein national. Ainsi, le pays est menacé à nouveau de convulsions violentes en vue de la quête de la justice sociale, de la dignité et du bien-être. Pour comble de malheur, l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat fait apparaître quelques polichinelles, qui font barrage, tentent de régenter la République à la place du Chef de l’Etat et nous entraînent inconsciemment vers le naufrage. C’est donc le redressement national qui nous préoccupe en ce moment.
Vous vous êtes montré favorable à la formation d’un gouvernement de « large ouverture » après la présidentielle du 04 mars dernier. Quel bilan faîtes-vous des rendements de l’attelage Ufc-Rpt qui a plutôt pris la place du gouvernement précité ?
Il faut une grande hypocrisie ou des intérêts particuliers pour ne pas constater le désordre et le gaspillage provenant d’une gestion défectueuse, indélicate et populicide. Comment comprendre qu’en ce moment difficile, le RPT fasse voter une loi pour supprimer les allocations que les travailleurs perçoivent en partant à la retraite ? Nous avons institué cette allocation pour des raisons humanitaires et pour favoriser une économie de la consommation au Togo. La loi votée en ce mois de février 2011 par l’Assemblée nationale va affecter douloureusement les retraités déjà violentés par d’autres besoins. Comment comprendre aussi qu’une même personne cumule les postes de Maire de Lomé, de Directeur Général du port de Lomé et d’officier supérieur de l’armée ? Par ailleurs, les conditions du PPTE et du DSRP aggravent les révoltantes inégalités dans le pays, ravalent davantage la masse populaire sous la condition humaine et accablent globalement notre peuple. Inégalité, injustice et oppression sont synonymes. Le gouvernement RPT-UFC contribue incontestablement à river les fers qui enchaînent notre peuple au lieu de les briser.
Vous avez pris acte de la victoire de Faure Gnassingbé lors de la présidentielle du 04 mars 2010. Le Rpt n’est-il pas, dans ce sens, libre de gouverner avec l’opposition de son choix, même si F. Gnassingbé a promis de former « un gouvernement de large ouverture » ?
Malgré notre sourde colère et notre amertume après l’élection présidentielle du 4 mars 2010 et pour ne pas plonger le pays dans une nouvelle instabilité après les tragédies de 2005, nous avons accepté l’intolérable. Mais l’accord RPT-UFC avait été conclu pour une durée de 6 (six) mois. Les résultats sont maintenant connus. Alors, il y a justice et nécessité de vouloir épargner à notre pays plus d’épreuves et plus de désastres. Vous ignorez sûrement que l’instinct de notre ambition nationale se confond toujours avec l’intérêt national du Togo. C’est maintenant le salut du pays de former un gouvernement plus ouvert mais plus restreint et plus compétent que celui formé par le RPT et l’UFC. Ce n’est pas juste mon souhait et ceux d’autres responsables politiques.
Pour mettre fin à la crise togolaise, vous préconisez l’élargissement du Comité de suivi Rpt-Ufc aux partis ayant participé à la dernière présidentielle, plus l’Anc. Au même moment, vous estimez qu’aucun dialogue ne va solutionner les maux du Togo. N’y a-t-il pas contradiction dans vos propos ?
Il n y a aucune contradiction dans cette vérité notoire. La propension à la dispersion en tendances verbeuses de notre classe politique et la supercherie du pouvoir m’avaient convaincu de ne plus désirer un 14è dialogue politique. Il existe déjà les instruments pouvant servir à baliser les chemins de l’avenir. Ce sont les 22 engagements et l’Accord politique global (APG).
D’ailleurs, à cause des manifestations du FRAC et de l’ANC qui sont républicaines et démocratiques, il n’y avait pas lieu de provoquer une nouvelle division dans l’opposition et de nouvelles tensions politiques et sociales dans le pays. En fait, j’avais raison car le RPT a fini par avouer que le Chef de l’Etat ne parlait pas de dialogue mais de débat. Les propositions du PRR sont tout simplement de bon sens et de salut public.
Parlons un peu social maintenant. « Lomé est en chantier » selon l’expression consacrée par l’exécutif togolais. Au Prr, quels sont les principaux manquements que vous avez décelés dans l’exécution de ces chantiers ?
Le PRR envisageait de mettre tout le pays en chantier pour la reconstruction nationale et la création de plus de 100.000 emplois productifs. Il fallait pour cela un plan de développement stratégique et un ordonnancement des travaux. Ce n’est pas le cas actuellement. L’emprunt obligataire de 47 milliards de FCFA ne suffira pas pour effectuer des travaux dignes de notre pays. De plus, l’opacité du budget national ne nous permet pas de savoir s’il y a une allocation de fonds pour des investissements dans les infrastructures routières. Nous sommes inquiets et désapprobateurs.
Face à l’étroitesse du parc routier de la capitale togolaise, urgeait-il d’ouvrir au même moment plusieurs chantiers ?
C’est le bazar. Ils voudraient révolter les Togolais qu’ils ne feraient pas autrement. Cette désorganisation est une atteinte à nos libertés et à notre bien-être. Vous constatez là l’une des manœuvres, les plus effrénées et les plus blâmables, qui déstabilise les sociétés et désoriente les peuples. Nous avons le cœur ulcéré en voyant tant de désordre et de gâchis. Nous espérons que le Chef de l’Etat se rendra vite compte du naufrage en vue pour procéder au redressement.
Quelles solutions faut-il trouver hic et nunc face à cette litanie de maux qui limitent l’exercice d’activités économiques, en ce moment, au Togo ?
Pour que le déclin s’arrête et que commence l’essor, il est impérieux de restaurer l’autorité de l’Etat et de ressusciter la confiance de la nation. Sûrement, c’est au Chef de l’Etat, en temps normal comme en période exceptionnelle, investi par la plus dure histoire d’une légitimité, qu’il revient de s’insurger contre la casse de la nation. Aucun collaborateur, ami(e) ou paltoquet soit-il, ne peut et n’a pas le droit de répondre du destin national et de nous en imposer. Il faut comprendre surtout qu’il n’y a pas une économie forte sans une politique juste et ambitieuse. L’entreprise de régénération de notre économie et de notre société ne peut se faire que sous la direction efficiente et remarquable d’un Premier Ministre, sous l’ardente égide du Chef de l’Etat. L’Etat doit être l’acteur principal soutenant le secteur privé. Il ne peut en être autrement dans une économie sous-développée.
Le Prr fait partie des formations qui prônent l’avènement rapide de l’ère de l’industrialisation massive au Togo, pour sortir le Togo et l’Afrique de la paupérisation. Quelle lecture faite-vous de la quasi absence des entreprises togolaises dans l’exécution des grands travaux en cours à Lomé ?
Non, le Togo ne doit pas être une nation industrielle car notre territoire est petit et nous ne pouvons pas supporter la pollution d’unités industrielles. Nous devons fonder la croissance de notre économie et notre développement sur un secteur bancaire florissant, le commerce de transit et de la réexportation, le tourisme, une agriculture biologique, les petites unités d’assemblage, le transport et la consommation. C’est un abus funeste de confier l’exécution des travaux à Lomé à des entreprises étrangères. C’est une volonté aveugle et humanicide à l’égard des Togolais. Notre avenir apparaît sombre. Les gouvernants préparent inconsciemment la révolte populaire comme le 7ème Conseil du RPT avait préparé le 5 octobre 1990. Nous sommes persuadés que les patriotes seront au rendez-vous de l’histoire.
Est-ce à dire qu’il n’existe pas des entreprises de Btp (Bâtiments et travaux publics) performantes au Togo ?
Les Togolais sont compétents et capables de réaliser les travaux de réfection des routes à Lomé. C’est tout simplement que les actes du gouvernement actuel sont contraires à la volonté, à la dignité, à la sûreté et aux intérêts du peuple togolais. Ce qui est sûr, c’est que tant qu’on ne leur ôtera pas la faculté anti-sociale de gêner, de vexer, de blesser et d’opprimer tous les autres, il n’y aura pas de progrès économique, ni de paix sociale ni de réconciliation nationale.
D’aucuns expliquent cette absence des entreprises de Btp du Togo par le manque de diplômés togolais performants dans ce domaine. Allusion au nombre des ingénieurs au Togo. Etes-vous de cet avis ?
Nous nous sentons outragé et avili par cette assertion. Nous voyons beaucoup de nos compatriotes travailler dans les pays voisins et ailleurs dans tous les secteurs d’activités de l’homme. Seuls des gens, qui n’aiment pas leur pays, peuvent privilégier des étrangers par rapport à leurs compatriotes. Cela ne se passe nulle part. Comment comptent-ils développer le Togo et faire cohabiter leurs enfants avec les autres concitoyens dans la paix et la concorde ?
Pour atténuer la pauvreté au Togo, vous appelez le gouvernement à procéder à une augmentation de « 30% des salaires et le paiement sans délai de la moitié de la dette intérieure du Togo ». En quoi cette exigence du Prr n’est pas une « nouvelle utopie » dont vous accusent souvent vos détracteurs ?
Une maison existe dans le rêve avant d’être construite. Comme avait dit Platon : « Le visible est l’ombre projetée de l’invisible ». Le Togo doit choisir les leviers de son développement économique et le type de société que nous voulons construire. C’est essentiellement une question de volonté, de responsabilité, d’imagination et d’actions. C’est un malheur pour notre peuple d’accepter que les travailleurs perdent 50% de leur pouvoir d’achat en 1994 et que depuis 15 ans, les dirigeants ne trouvent pas inacceptable de n’avoir pas restitué leur droit. Le coût actuel de la vie, la nécessité de faire croître l’économie nationale, l’exigence de motivation de nos travailleurs pour augmenter leur productivité, etc., fondent l’obligation de relever substantiellement les salaires actuels. 30% est un minimum. Je vous dis aussi : « Yes We Can ». Je me permets de vous accuser de ne pas dénoncer mes détracteurs qui veulent maintenir les Togolais dans une abjecte misère, dans l’indignité et dans la servilité.
A court et à moyen termes, M. Lawson, comment lutter durablement contre la corruption non punie qui sabote le développement du Togo ?
Il faut avant tout bien payer les travailleurs. Ensuite, les dirigeants doivent être exemplaires. Quand ils entretiennent l’injustice sociale, le mensonge, le népotisme et la fraude, ils ne peuvent pas combattre la corruption. Mais sachons que la corruption existe partout dans le monde. Mais elle est destructrice chez nous parce qu’elle est systématique et considérable.
Je veux faire itérativement valoir qu’il y aura moins de corruption par la légitimation du pouvoir d’Etat et la consécration de la volonté du peuple. Cependant, tant que nous ne vaincrons pas la misère, source perpétuelle des oppressions, la grande corruption prospèrera toujours chez nous. C’est l’ignorance qui tue.
Propos recueillis par Edem Gadegbeku, à Lomé © AfriSCOOP
jeudi 3 mars 2011 par Edem GADEGBEKU, © AfriSCOOP
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