mercredi 2 mars 2011

Libye - À Tripoli, dans le théâtre d'ombres du clan Kadhafi

(Le Figaro 02/03/2011)
Seïf al-Islam Kadhafi, que l'envoyée spéciale du Figaro a rencontré, estime que le régime dirigé par son père est «victime d'une campagne de propagande des médias étrangers».
Il a choisi le canapé vert, juste au-dessous d'un portrait géant du colonel Kadhafi. Les bras croisés sur un pull en laine, Seïf al-Islam («le glaive de l'islam») affiche, devant ses visiteurs, une détermination sans faille. «La situation est excellente, jugez-en par vous-même!» insiste, dans un anglais parfait, le fils le plus en vue du Guide libyen, en balayant d'un revers de la main toute idée de déliquescence du régime. «Dans deux jours, tout sera rentré dans l'ordre », promet-il, un sourire nerveux aux lèvres.
Les vitres épaisses de ce bâtiment blanc du centre-ville, où il reçoit ses hôtes à la nuit tombée, ne laissent transparaître aucun signe d'instabilité. Dehors, le silence flotte sur Tripoli, à l'exception de la fameuse place Verte, où une bande de gais lurons, l'haleine gonflée d'alcool, chantonnent inlassablement quelques refrains à la gloire de leur «aimable Guide» en lui souhaitant «longue vie». Dans ce théâtre d'ombres, les nouvelles qui proviennent des villes alentour - Zuwara, Zawiya, Misourata - sont totalement occultées. Là-bas, l'insurrection se poursuit pourtant, en s'inspirant de la rébellion de l'est du pays, désormais sous le contrôle de l'opposition.
«C'est vrai que c'est un peu le bazar dans l'Est», admet celui qu'on surnomme le «Businessman de la diplomatie», tout en prédisant un «rapide retour au calme». Le visage soudainement plus sévère, il reconnaît que «quelques centaines de personnes y sont mortes». «Au début des accrochages, essentiellement cantonnés à Benghazi et El Beida, les policiers ont paniqué et ils ont tué des dizaines de manifestants qui s'attaquaient aux postes de police», concède Seïf al-Islam. Mais pour le reste, il nie tout en bloc: les frappes aériennes sur la population, les exactions considérées par les Nations unies comme des «crimes contre l'humanité». «Nous sommes victimes d'une campagne de propagande des médias étrangers! Pire: c'est la première fois dans l'histoire de la diplomatie contemporaine que le Conseil de sécurité prononce une résolution en s'appuyant sur des reportages mensongers», s'emporte-t-il.
Golden boy
Une des raisons, sans doute, pour lesquelles son bureau a récemment fait délivrer des visas à quelques dizaines de journalistes étrangers. «Soyez les bienvenus en Libye. Ouvrez les yeux, montrez-moi les bombes, montrez-moi les blessés! Promenez-vous librement à travers Tripoli!» insiste-t-il à l'attention des reporters - dont les déplacements restent néanmoins limités et encadrés, «dans l'intérêt de leur propre sécurité».
Quid des opposants qui, toujours dans l'est du pays, disent avoir formé un gouvernement intérimaire? «Ces gens-là ne sont pas crédibles. Ce sont des opportunistes. Hier, ils étaient avec nous. Aujourd'hui, ils retournent leur veste. Les Américains sont naïfs de vouloir entamer un dialogue avec eux», répond Seïf al-Islam. Il appelle de ses vœux un retour à la normale, afin «de lancer au plus vite un vaste plan de réformes», dont l'amorce, dit-il, «était justement prévue pour le 2 mars». Au programme: l'élaboration d'une Constitution, un nouveau Code pénal et une libéralisation de la presse. Mais n'est-il pas déjà trop tard, face à une contestation qui s'amplifie? «Des milliers de personnes m'appellent régulièrement en me suppliant de restaurer l'ordre. Ce sont des gens simples, des fermiers, des hommes modestes qui rêvent de sécurité, qui veulent que leurs enfants puissent aller à l'école sans le moindre danger», dit-il, accusant les manifestants de semer la «terreur». Les «victimes innocentes» du chaos ont ainsi reçu une enveloppe d'environ 400 dollars, pour, dit-il, «compenser l'augmentation du coût de la vie provoquée par les troubles».
Fin communicateur
Architecte de formation, passé par les bancs de la London School of Economics, Seïf al-Islam, 38 ans, s'est souvent distingué comme l'homme du changement. Quand il sort de l'ombre, il y a dix ans, il s'impose rapidement comme un incontournable médiateur auprès d'une communauté internationale refroidie par le soutien de la Libye aux terroristes islamistes. Nommé par son père à la tête de la Fondation Kadhafi, ce golden boy au crâne rasé mène alors, sous couvert de cette organisation, une politique de réconciliation et d'ouverture sur l'extérieur. C'est à son initiative que des indemnités sont ainsi versées aux victimes des attentats de Lockerbie (1988) et de l'avion français de l'UTA (1989), dans lequel des Libyens sont impliqués. Début 2009, il osa même évoquer en public certaines insuffisances «dans le mécanisme d'application du pouvoir du peuple et de la démocratie» en Libye.
C'est donc lui qui, au cœur de la crise la plus profonde des quarante et un ans de règne de son père, se retrouve actuellement à la tête d'une opération de charme à l'attention des Occidentaux. Mais ce fin communicateur peut-il faire oublier les déclarations délirantes de son père, qui continuait d'affirmer mardi, dans une interview aux chaînes américaine ABC et britannique BBC: «Mon peuple m'aime. ( Les Libyens) mourraient pour me protéger.» Lui-même ne promettait-il pas, le 20 février à la télévision libyenne, des «rivières de sang» et une bataille «jusqu'à la dernière balle»?
Son crédit international envolé, Seïf al-Islam n'a qu'un mot à la bouche: «le retour au calme». «Mon père se porte bien, et je n'ai aucune ambition de devenir le président de la Libye», martèle-t-il.
Par Delphine Minoui
Les pro-Kadhafi regagnent du terrain à l'Est
MINUTE PAR MINUTE - Les forces de sécurité fidèles au Guide ont repris le contrôle de Marsa el Brega et marchent vers la ville voisine d'Adjabia. Washington rapproche un navire de guerre des côtes libyennes.
10h30 : Deux navires de guerre américains dans le canal de Suez. Deux bâtiments américains, le porte-hélicoptères USS Kearsarge et l'USS Ponce , traversent le Canal de Suez pour rejoindre la Méditerranée et se positionner au large de la Libye, ont indiqué les autorités du canal. Les navires ont pénétré dans le canal à 7 heures du matin, heure de Paris. Douze à quatorze heures sont nécessaires pour le traverser.
10h25 : Environ 1,5 million «d'immigrés clandestins» en Libye tentent de sortir du pays à l'ouest via la frontière tunisienne ou à l'est via la frontière egyptienne. Ils pourraient aussi se diriger vers l'Italie, juge le ministre italien de l'Intérieur Roberto Maroni. Pour ce membre du parti populiste de la Ligue du Nord, «les contrôles de police sur les côtes libyennes sont désormais inexistants».
10h20. Les forces pro-Kadhafi entrent dans Adjabia, affirme al-Jezira. Selon le corrspondant du Guardian, l'inquiétude monte à Benghazi, fief de l'opposition.
9h15 : Les forces de Kadhafi regagnent du terrain à l'Est. Elles ont repris le contrôle de la ville de Marsa el Brega, qui abrite un important terminal pétrolier dans l'est de la Libye, affirment al-Jezira, la BBC et le Guardian. Selon le correspondant de la BBC, un convoi de 100 véhicules marcheraient vers la ville voisine d'Adjabia. Des avions de combat ont bombardé la base militaire et le dépôt d'armes de cette localité, située à 160 km au sud de Benghazi. Les pro-Kadhafi contrôlent également, d'après l'Associated Press, deux villes proches de la capitale Tripoli : Gharyan et Sabratha.
8h26 : Séoul a affrété trois ferries depuis la Grèce pour aller chercher en Libye des milliers d'employés étrangers de groupes de construction sud-coréens.
8h24 : A Tripoli, un camion-citerne est en feu à proximité d'un hôtel. Cet établissement abrite actuellement de nombreux correspondants de la presse internationale. Des centaines de partisans du colonel Kadhafi se sont rassemblés près de l'accident pour crier leur allégeance au «guide de la révolution» libyenne. Selon un témoin, plusieurs reporters, qui n'avaient pas le droit d'approcher la scène de l'incendie, auraient été attaqués par des résidents.
23h52 : Pas de consensus à l'Otan . Les plus hauts responsables militaires américains ont indiqué mardi qu'il n'y avait pas de consensus pour l'instant à l'Otan sur une intervention militaire en Libye et que la mise en place d'une zone d'exclusion aérienne serait «extraordinairement compliquée».
23h46 : La Libye suspendue du Conseil des droits de l'homme de l'ONU. L'Assemblée générale des Nations Unies composée de 192 membres a décidé la suspension, par consensus, de la Libye, sans voter. Lors d'une session extraordinaire historique, le Conseil des droits de l'homme avait réclamé vendredi la suspension de la Libye de ses rangs, une première pour la principale instance onusienne chargée de défendre les droits de l'homme. Cette recommandation avait besoin d'une décision de l'Assemblée générale pour être effective. Personne n'a pris la parole au nom du régime libyen au cours du débat. Le Vénézuela a cependant accusé les Etats-Unis de préparer une invasion de la Libye, ce qui a provoqué la colère des représentants américains.
23h45 : Hillary Clinton veut une enquête sur le rôle de Kadhafi dans Lockerbie, qui avait fait 270 morts en Ecosse en 1988. Il y a urgence, juge Clinton, car «plusieurs déclarations ont été faites depuis quelques jours par d'anciens membres du gouvernement libyen qui désignent Kadhafi et montrent clairement que les ordres venaient du sommet».
22h24 : Londres envisage de s'affranchir de l'ONU. La création d'une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye ne nécessite pas obligatoirement un feu vert de l'ONU, avance le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague. «Il y a eu des situations dans le passé où une telle zone a eu une justification légale, internationale sans résolution du Conseil de sécurité» de l'ONU, rappelle-t-il. Une position à l'opposée de celle de Paris qui estime indispensable l'accord des Nations-Unis.
22h07 : Rome a décidé l'envoi d'une mission humanitaire en Tunisie pour venir en aide à environ 10.000 réfugiés fuyant la Libye. Silvio Berlusconi souhaite que «d'autres pays puissent prendre des décisions analogues». Selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), la situation à la frontière entre la Libye et la Tunisie a atteint un niveau de «crise» après le passage de 70.000 à 75.000 personnes fuyant les répressions du régime de Mouammar Kadhafi depuis le 20 février.
Ce qui s'est passé MARDI
• Démonstration de force symbolique des Etats-Unis
Washington annonce l'envoi en direction de la Libye deux navires de guerre et 400 marines. Ces forces pourraient servir à une opération d'évacuation et d'assistance humanitaire comme à une éventuelle opération militaire. Un contre-torpilleur l'USS Barry se trouve depuis lundi dans le sud-ouest du bassin méditerranéen. Le groupe aéronaval autour du porte-avion nucléaire Enterprise, actuellement en mer Rouge, pourrait lui aussi retourner en Méditerranée. Sa flotte d'avions embarqués pourrait venir appuyer l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne.
Le Sénat américain a adopté mardi soir une résolution symbolique demandant à la communauté internationale d'envisager l'instauration de cette zone d'exclusion pour protéger les civils. Toutefois une telle mesure n'est pas encore à l'ordre du jour, maintient la chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton. Les stratèges américains planchent sur plusieurs scénarios mais le flou demeure sur l'éventualité d'une intervention militaire.
• Juppé contre une intervention
Le ministre des Affaires étrangères estime qu'une intervention militaire de l'Otan en Libye «mérite d'être regardée à deux fois» et pourrait être «extrêmement contre-productive» dans l'opinion arabe. «Je ne sais pas quelle serait la réaction des populations arabes tout au long de la Méditerranée si on voyait les forces de l'Otan débarquer sur un territoire du sud méditerranéen». «Avant d'en arriver là, nous essayons d'accentuer les pressions pour faire tomber Kadhafi, il va tomber, il tombera, parce que il est déjà isolé dans Tripoli», a ajouté le ministre.
• Appel de l'ONU à une «évacuation massive»
Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont lancé un «appel urgent» à la communauté internationale pour évacuer les 40.000 personnes ayant fui la Libye, qui se trouvent à la frontière tunisienne. Les deux organisations ont mis au point, en «consultation avec les gouvernements tunisien et égyptien, un programme d'évacuation qui vise à améliorer considérablement les efforts» pour faire face à «la crise humanitaire». Elles demandent à la communauté internationale de «fournir d'urgence des moyens financiers et logistiques massifs dont des avions, des bateaux et du personnel spécialisé».
• Vers un gel des avoirs de Kadhafi en Europe
Après l'ONU et les Etats-Unis, l'Union européenne a adopté un embargo sur les armes contre la Libye ainsi qu'un gel des avoirs et des interdictions de visa contre le clan Kadhafi. Elle a aussi convoqué un sommet extraordinaire le 11 mars consacré à crise en Libye et en Afrique du Nord.
• Un des fils de Kadhafi nie la répression
L'envoyée spéciale du Figaro a rencontré Seïf Al-islam Kadhafi, le fils cadet du dirigeant libyen. Il a «nié» que le régime libyen ait attaqué des civils. «Je mets quiconque au défi de m'apporter la preuve» du contraire, a-t-il ajouté. Il a en outre reconnu qu'il n'y avait plus d'«armée organisée» dans l'est du pays, mais a rejeté l'idée que le gouvernement ne contrôlait plus cette région.
Par lefigaro.fr
02/03/2011
La fièvre démocratique monte dans les pays arabes
Les affrontements entre opposants et forces de l'ordre continuent à Téhéran, dans les rue de Sanaa (Yemen), à Oman et à Barheïn.
• Violences en Iran
Des heurts ont éclaté mardi entre manifestants et forces de l'ordre déployées en nombre sur les principales places et artères de Téhéran. Ces affrontements ont notamment eu lieu autour de l'université, où la police a utilisé des gaz lacrymogènes. Plusieurs appels avaient été lancés pour soutenir les deux leaders de l'opposition, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. La justice iranienne a démenti mardi que l'ancien premier ministre et l'ancien président du Parlement aient été emprisonnés, ce qu'affirment leurs proches, sans nouvelles des deux hommes depuis plusieurs jours.
• Cinq gouverneurs limogés au Yémen
Le cœur de la capitale yéménite, Sanaa, a été bloqué mardi par des dizaines de milliers de manifestants, qui ont notamment scandé: «Le peuple veut la chute du régime, le peuple veut le départ d'Ali Abdullah Saleh.» L'influent prédicateur Abdel Majid Zendani, soupçonné de soutenir le terrorisme, a harangué la foule, plus nombreuse que jamais, en affirmant qu'il «soutenait les revendications des jeunes». Devant des journalistes, le président Saleh, un allié important des États-Unis contre al-Qaida, a affirmé que les soulèvements qui agitent le monde arabe «sont une tempête orchestrée de Tel-Aviv, sous la supervision de Washington». Il a limogé les gouverneurs de quatre provinces dans le Sud et d'une cinquième dans l'ouest du Yémen.
• Une constituante en Tunisie
Le nouveau premier ministre tunisien, Béji Caïd Essebsi, aurait accepté la réunion d'une Assemblée constituante, idée phare du Conseil de la protection de la révolution, qui regroupe 14 partis politiques, l'Union générale des travailleurs tunisiens et plusieurs ONG. Cette constituante promulguerait une nouvelle Constitution avant l'organi­sation de prochaines élections. Deux nouveaux ministres, celui de l'Enseignement supérieur et celui du Développement régional, ont démissionné mardi. De son côté, le courant islamiste interdit Ennahda a été autorisé à reformer un parti politique.
• Oman à son tour dans la tourmente
Des blindés ont dispersé à Sohar des manifestants qui bloquaient le port et une route conduisant à la capitale, Mascate, à 200 km plus au sud, alors que des petits rassemblements ont eu lieu dans d'autres villes d'Oman pour réclamer des emplois, des hausses de salaires et le limogeage de plusieurs ministres. Le gouvernement, qui s'attendait à une quatrième journée de manifestations, avait déployé des troupes et des véhi­cules militaires autour de la capitale et le long de la frontière avec les Émirats arabes unis.
• Bras de fer chiites-sunites à Bahreïn
Des milliers de manifestants ont de nouveau défilé à Manama, affirmant l'unité nationale du petit royaume de Bahreïn, où la minorité sunnite côtoie la majorité chiite. L'opposition a jusqu'ici refusé d'engager un dialogue national proposé par le roi, Hamad ben Isa al-Khalifa, et la dynastie sunnite, au pouvoir depuis plus de deux cents ans. L'opposition demande en préalable la démission de tout le gouvernement.
• Un calendrier électoral en Égypte
Une réforme constitutionnelle sera soumise à référendum le 19 mars en Égypte, en prélude à des élections législatives en juin et à une présidentielle six semaines plus tard, annonçait-on mardi au sein de l'armée, au pouvoir depuis la chute du président Hosni Moubarak le 11 février dernier.

Par Thierry Portes
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