(Les Afriques 17/01/2011)
Professeur au Département de science politique de l’Université de Montréal, Mamoudou Gazibo, qui a présidé le comité de réforme constitutionnelle du Niger, se réjouit de plusieurs innovations, en particulier la constitutionnalisation de la gestion des ressources naturelles.
Les Afriques : Monsieur le professeur, vous avez dirigé le comité qui a abouti à une nouvelle Constitution. Qu’est-ce qui change fondamentalement ?
Mamoudou Gazibo : Il est important de rappeler le processus qui a conduit à l’adoption de cette Constitution, car c’est la première fois qu’au Niger une telle réforme constitutionnelle a donné lieu à un débat aussi large et inclusif. Le comité que j’ai coordonné était composé de dix-huit autres membres, qui ont travaillé avec enthousiasme et patriotisme pour élaborer un avant-projet, qui a ensuite été largement débattu par les citoyens, au sein du Conseil consultatif national et au gouvernement, qui ont proposé divers amendements. En dernier lieu, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie a arbitré, en tenant compte à la fois du besoin d’innover et de la recherche du consensus.
« Elle introduit plus de clarté dans les prérogatives respectives du président de la République et du Premier ministre, selon qu’on se trouve en situation de cohabitation ou pas. »
Les changements qu’apporte la nouvelle Constitution sont nombreux. Je vais revenir juste sur quelques aspects. D’abord, la nouvelle Constitution comporte des droits nouveaux. Certains apporteront une protection accrue aux citoyens, notamment à travers la protection sociale des personnes âgées, l’épanouissement des jeunes et la promotion des femmes, dans la sphère privée comme dans la vie publique. D’autres, permettront une meilleure protection et promotion de l’environnement.
Ensuite, elle introduit plus de clarté dans plusieurs dispositions qui ont pu porter à débat par le passé. Il s’agit par exemple des prérogatives respectives du président de la République et du Premier ministre, selon qu’on se trouve en situation de cohabitation ou pas ; des conditions du recours au référendum et des matières qu’il est possible de soumettre au référendum ; des conditions du recours aux pouvoirs exceptionnels ou encore des rapports entre le gouvernement et le parlement.
Par ailleurs, plusieurs nouvelles dispositions devraient contribuer à assainir les mœurs politiques et améliorer la gouvernance. C’est le cas de l’interdiction faite aux autorités publiques, incluant les députés, de prendre part aux marchés de l’État, de l’enquête de moralité pour les candidats aux élections et aux postes ministériels.
Enfin, et c’est là une innovation majeure, la nouvelle Constitution fait une place importante aux questions de développement. Parce qu’il faut que les futures autorités s’inscrivent dans une perspective visionnaire, les grandes orientations en matière de développement sont esquissées et, pour éviter au Niger de connaître la fameuse malédiction des ressources qui affecte de nombreux pays africains riches en ressources naturelles, les conditions d’exploitation et de la gestion des ressources naturelles et du sous-sol sont constitutionnalisées, afin de les rendre transparentes.
LA : Y avait-il un réel besoin d’une nouvelle Constitution, dans la mesure où la précédente était tellement bonne que le président Tandja n’a pu la manipuler qu’au prix d’évidentes violations qui lui ont valu le sort qu’il connaît aujourd’hui ?
MG : Vous savez, tout texte est imparfait. La Constitution de la cinquième République n’était pas mauvaise, mais l’expérience à laquelle vous faites allusion a montré qu’elle comportait des failles. Un consensus s’est dégagé pour mettre à profit la nouvelle donne afin d’améliorer notre cadre institutionnel. En plus des innovations que je viens de citer, il convient d’ajouter trois nouveautés : d’abord, la nouvelle Constitution introduit plus de limpidité dans de nombreuses dispositions qui ne prêteront plus, je crois, à interprétation. Ensuite, de nouvelles dispositions ont été introduites afin de renforcer les institutions et les soustraire à l’arbitraire des dirigeants. C’est le cas de la Cour constitutionnelle, à laquelle il ne sera plus possible d’attenter. C’est le cas également des dispositions en vertu desquelles aucune institution de la République ne peut être dissoute en cas de recours par le président de la République aux pouvoirs exceptionnels. Enfin, j’aimerais rappeler qu’en plus de la Constitution, nous avons travaillé sur sept autres textes, qui contribueront, en addition, à renforcer l’architecture institutionnelle du pays, comme le Code électoral, la Charte des partis politiques, le Statut de l’opposition ou encore les textes sur la dépolitisation de l’administration.
LA : Parmi les articles non retenus, celui relatif aux diplômes requis pour les candidats. Comment expliquez-vous que cette mesure de bon sens n’ait pas été retenue ?
MG : Il y a eu beaucoup de débats autour de cette question, ce qui est étonnant sachant que le Niger dispose déjà d’une loi votée en 2006 qui impose un diplôme pour certaines catégories d’élus au niveau régional (baccalauréat) et municipal (brevet d’études secondaire). Mais, ce n’était pas tant l’idée de diplôme qui était rejetée, que le niveau requis des candidats. Notre comité avait proposé le Bac pour les candidats à l’Assemblée nationale, comme à la présidence de la République. Le conseil consultatif a abaissé ce seuil pour les députés, mais l’a relevé au Bac+3 pour les candidats à la présidence. Certains partis et associations se sont élevés contre certaines de ces dispositions. Pour obtenir un consensus autour de la nouvelle Constitution, les autorités ont préféré trouver une solution politique. Finalement, la nouvelle Constitution impose le niveau du brevet d’études secondaires à 75% des élus à l’Assemblée nationale, mais n’en impose pas pour le président de la République.
LA : Le jeu politique nigérien semble bloqué entre trois grands pôles, qui déterminent, quoi qu’il advienne, les principaux responsables. Cela a déjà conduit à une distribution des rôles pas toujours logique et avec les mêmes acteurs (Issoufou, Ousmane, Hama/Tandja). Le prochain président devrait être l’un des trois premiers. Partagez-vous cette analyse et qu’en pensez-vous ? N’y a-t-il pas lieu de renouveler un peu le personnel politique ?
MG : La presse locale et beaucoup d’observateurs disent la même chose que vous. Certains ont même appelé à la disqualification des anciens acteurs. Mais la situation que vous évoquez n’est pas spécifique au Niger et le renouvellement du personnel politique ne se fait pas par décret. Il est lent partout, y compris dans les démocraties. Les acteurs que vous citez dirigent des partis politiques et ces partis ont des militants. A moins d’avoir commis des actes qui les rendent inéligibles aux yeux de la loi, ils sont libres de se présenter aux élections. Seul le peuple souverain peut décider de ce renouvellement, par le biais des choix qu’il émet à l’occasion des élections.
LA : Les Nigériens ont pu se gausser de ce qu’un « étranger », référence à votre lieu de résidence ait été chargé de la nouvelle Constitution. Que leur répondez-vous ?
MG : Il est exagéré de dire que les Nigériens en général m’ont qualifié d’étranger, car je sais exactement qui est derrière ces propos. En outre, penser que j’ai écrit la Constitution tout seul est méprisant pour les autres membres du comité, dont j’ai eu l’occasion d’admirer la compétence et l’immense expertise sur tous les aspects de la vie nationale. La vérité, comme vous pouvez l’imaginer, c’est que réformer est toujours difficile, en particulier dans les contextes africains, où l’État est si central et où chaque changement affecte des intérêts constitués. Ceux dont les intérêts sont touchés peuvent faire feu de tout bois. C’est parfois le prix de l’engagement que d’être le souffre-douleur de certains. Mais c’est tellement insignifiant à côté de l’extraordinaire gratification qui m’a été donnée par le chef de l’État, que je remercie, de servir mon pays au sein d’un comité composé de personnes admirables !
Propos recueillis par Chérif Elvalide Sèye
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