(AgoraVox 02/11/2010)
Le sentiment de fatalité couplé à la crise de confiance renforcent ce déficit du devoir citoyen.. On a l’impression à écouter geindre les camerounais que l’envie n’y est pas, épuisés par les mêmes sérénades politiciennes, outrés par le déclin de la fonction publique, scandalisés jusqu’à l’indifférence par la prévarication intensive et stupéfaits par la culpabilisation dont ils sont l’objet de la part de moralisateurs dont l’intégrité souillée éclabousse les argumentaires..
Face aux défis du monde actuel et des enjeux d’aujourd’hui, les acteurs politiques camerounais n’offrent pas l’assurance d’être à même de comprendre les problématiques structurelles, infrastructurelles, culturelles, économiques, sociales qu’imposent l’ère de la mondialisation et les aspirations réelles, en dehors des fanfaronnades partisanes, de ceux qui subissent au quotidien la dureté d’une existence zombifiante.. Malgré le lancement d’une campagne tapageuse pour séduire les camerounais à s’inscrire sur des listes électorales révisées - il faut dire qu’il a fallu un certain temps aux barons du pouvoir pour accepter cette idée somme toute naturelle, il a fallu que des pressions externes intensifiées venues des chancelleries étrangères parviennent à persuader qu’une élection de cette envergure ne saurait souffrir d’aucune entorse aux principes fondamentaux de la démocratie - malgré toute la gesticulation politicienne disais-je les camerounais semblent restés de marbre..
Là où la déception pourrait servir d’incitation au vote, de moteur de l’engagement politique et citoyen, chez les jeunes camerounais, faiseurs de roi de la prochaine élection présidentielle, elle est l’argument de la résignation.. L’impression leur est donnée que le système est verrouillé et hermétique à toute évolution.. Avec un chômage qui atteint plus de quarante pour cent d’entre eux, des débouchés inexistants, l’absence de représentativité légitime de ceux que l’on aime à considérer comme le fer de lance de la nation aux postes de décision, la pléthoricité des gérontocrates dans les domaines d’influence, la fracture generationelle et le mépris dont témoignent les gouvernants nourrissent cette désaffection massive.. Le péril jeune se manifeste au travers du repli sur soi, du refus de cautionner la mascarade électorale qui se prépare bruyamment dans l’enthousiasme affligeant des irresponsables politiques préoccupés par leurs propres intérêts et leurs positionnements que par les attentes de cette majorité traitée avec condescendance.. Le péril jeune dans ce sens c’est avant tout de délégitimer le prochain président qu’une faible minorité aura élu, de le mettre dans une position inconfortable au point de lui nier toute autorité..
Ne pas s’inscrire sur les listes électorales revient dès lors à opposer au rituel de la désignation biaisée du chef de l’exécutif une muraille d’insatisfaits, de mécontents prêts le moment venu à prendre ce qui leur revient légitimement.. C’est un acte non pas de rébellion mais de révolte contre la mise-en-scene cynique et répétitive visant à reconduire au même poste le plus grand fossoyeur de la république.. Le même qui en 2008 fit pacifier dans le sang de la répression des milliers de jeunes descendus dans les rues pour revendiquer une vie moins abominable.. Le même qui fit taire la colère estudiantine à coups de matraques et de plomb.. Le même qui traita la jeunesse mobilisée contre les abus économiques et sociaux d’ « apprentis sorciers »..
Ne pas s’inscrire sur les listes électorales, c’est pour ces jeunes camerounais que l’on retrouve dans les activités informelles, clandestins d’un genre qui prend racine et s’amplifie, une manière de désapprouver politiquement au-delà du processus en soi ni équitable ni juste, un règne qui fera tout pour perdurer..
Durant des années, le pouvoir politique camerounais a incarné la parodie démocratique dans ses aspects les plus sombres, se fondant sur un appui populaire illusoire, boursouflé, il a su se convaincre qu’il est immuable.. Acculé dans une reforme de son système électoral dont l’accouchement fut laborieux, il est désormais confronté à une réalité impopulaire qui l’inquiète en le menaçant d’invalidation soit par un rejet électoral, ce qui au fond peut s’arranger avec les tricheries d’usage ; soit par la motion d’illégitimité, plus compliquée à nier.. Toutes les excitations enregistrées ces derniers temps au Cameroun de la part des poids lourds du gouvernement, du parti-Etat, et de certains opposants, la campagne orchestrée pour rappeler au près de la dizaine de millions de votants attendus que leur inscription est impérative à la crédibilité du scrutin présidentiel semblent ne pas susciter l’engouement tant espéré.. Après des mois de saturation médiatique, à peine cinq cent mille personnes se sont inscrites, le reste tente de survivre autant qu’il peut, loin du tumulte et du brouhaha de la sous-politique locale..
Si les jeunes camerounais se détournent ostentatoirement de cette élection, c’est aussi parce que les choix proposés ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.. D’un coté, il y a un président sortant, usé, dépassé, l’homme du passé et du passif.. De l’autre, quelques opposants dont le plus emblématique, John Fru Ndi, a montré toutes les limites de sa capacité à se renouveler, à s’inscrire dans le présent, à favoriser l’alternance dans son propre camps et l’accession des jeunes.. Petit tyran, convulsivement répressif, particulièrement ouvert à nul autre que lui-même, Fru Ndi est une caricature attristante de l’opposant qui a vécu sa vie entière à rêver d’un fauteuil présidentiel qu’il n’aura jamais.. La dizaine de candidats auto-designés qui émergent ça et là n’ont pas de programmes sérieux de gouvernance responsable.. Tous les ténors de la politique camerounaise souffrent du mal commun : manque de crédibilité avec son exigence d’intégrité.. Tous d’une façon directe ou indirecte sont allés à la mangeoire, mettant de l’avant leurs ambitions personnelles au détriment de l’intérêt du peuple.. N’a-t-on pas vu de soit disants opposants s’époumoner dans la critique du régime Biya et aller dès que l’occasion s’est présentée piller en brillant par leur incompétence des ministères d’envergure ? Vendre ses convictions politiques, idéologiques quand il en existe pour quelques privilèges, c’est devenu une source d’enrichissement, l’expression d’un opportunisme aberrant.. Dans cette situation, comment demander aux jeunes camerounais de choisir ? Qu’importe le politique, le changement c’est la continuité..
La désastreuse qualité du débat politique, fortifiée par un journalisme-caniveau en dessous du minimum de professionnalisme, n’aide pas.. Entre démagogues et analphabètes de l’esprit, les protagonistes politiques hantant le moindre mètre carré de l’univers cathodique parviennent à faire régulièrement la démonstration de la pauvreté de leurs idées mais aussi de leurs incohérences.. La responsabilité des medias est cruciale dans l’accès à l’information, ils contribuent à la culture démocratique en favorisant une prise de conscience citoyenne.. Or lorsque l’on devient journaliste non pas par vocation mais pour avoir du pain et se remplir la panse, que l’on perde de son objectivité pour se conformer à la parole du puissant, non seulement on trahit sa mission première mais on participe de l’asservissement.. Les medias camerounais ont demissioné.. Les pressions politiques, les sirènes commerciales et économiques, la facilité du sensationnalisme, l’amateurisme contagieux ont fini par les achever.. Les journalistes locaux excellent plus que jamais dans la niaiserie, passant maîtres dans l’art de la propagande, agents dociles de la diffamation, pathétiques artistes du racolage.. Des éditorialistes manquant de hauteur de vue, de pertinence, tout ceci soupoudré d’une fadeur assez désagréable.. Les véritables, truculents et corrosifs, ont été contraints à l’exil, fuyant la répression implacable, à l’instar de J.P Remy Ngono, tournés vers des combats anti-bien-pensants à l’exemple de Charles Onana, ou simplement partis vers l’au-delà dans un brouillard de confusion comme Pius Njawé, Bibi Ngotta.. Et quand l’on observe ce qui est produit dans les écoles de journalisme, ces jeunes diplômés plus ou moins formés, avides de cupidité, si prématurément émancipés de toute éthique, on ne peut qu’être serein face à la pérennisation de l’incompétence..
On aurait pu espérer que cette jeunesse dégoûtée et amère au lieu d’être résignée puisse se parler, se mettre en mouvement, s’unir autour d’un unique objectif, avancer ensemble.. Mais la peur, la lâcheté aussi, la facilité de la résignation, les dissensions ridicules et les individualismes navrants, bref le misérabilisme mental ambiant sont comme des obstacles que le manque de volonté réelle rend insurmontables.. Et même les jeunes camerounais de la diaspora quelques fois perdus dans un intellectualisme productiviste en stérilités sociales et sociétales, illuminé ou rébarbatif, trop souvent en mendicité de reconnaissance occidentale, n’arrivent pas à mettre de coté leurs querelles indigestes, leurs détestations imbéciles pour incarner et porter une vision alternative..
Le malaise est donc durablement installé.. Les appels à la mobilisation sont un échec cuisant.. Le constat difficile à digérer, la jeunesse boude les listes électorales.. C’est l’angoisse de l’indifférence devenu un réel cauchemar, risquant de marquer de son sceau d’illégitimité l’actuel-futur président qui a poussé récemment les griots du statut quo à encourager l’entrée dans la danse de l’influence évangéliste dont la popularité est aussi croissante que l’est le désespoir de tout un peuple.. A grand renfort de tambourinage médiatique, le pasteur de la mission « Va et raconte » appelle les « enfants de Dieu », les « born again », les « vrais chrétiens rachetés par le sang du Christ », à se soumettre aux autorités publiques, à prier pour elles et accessoirement à s’inscrire sur les listes électorales.. Cet agité du bocal, comme la plupart de ses confrères, manipule à ses fins propres les versets d’une bible ayant tellement de fois servi de par le passé de caution pour des crimes abjects et innommables.. Il assène à ses quémandeurs du miracle divin, ses disciples agglutinés autour de la désespérance, une logique argumentaire si bancale qu’il est surprenant et inquiétant de la voir acclamée, sanctifiée, portée aux nues lors de ses grandes messes d’adulation de son ego.. L’anarchie de sens des propos de ce pasteur profondément vidé de toute connaissance dépasse, dangereusement, ce que l’intellect peut produire de débilités.. Le « Dr » Tsala Essomba n’est pas qu’une imposture parmi tant d’autres dans ce mouvement national du « christianisme nouveau » volontairement populiste, agressif envers la diversité d’opinion, intransigeant à l’extrême sur les questions dites morales, et aussi intolérant qu’ignorant ; c’est celui dont les brillances illusoires portent le plus de toxicité aux aspirations démocratiques et libérales des camerounais..
par Ludewic Mac Kwin De Davy lundi 1er novembre 2010 -
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Il n’y aura aucune indifférence, les camerounais sont impliqués dans cette présidentielle tant dans les inscriptions que dans la participation.
RépondreSupprimerSi les camerounais s’inscrivent lentement mais progressivement sur les listes électorales, c’est pas parce qu’ils ressentent un quelconque sentiment de fatalité doublé comme vous dites, à une crise de confiance… toutes choses qui renforcent ce déficit du devoir citoyen. Non ! là n’est pas le problème. Les camerounais iront voter en masse. Ils attendent simplement que les partis les y pousse, et le RDPC s’y atèle. Le boycott est une erreur politique sans appel.
RépondreSupprimerVous avez raison sur ce pan de votre argumentation. C’est vrai que face aux défis du monde actuel et des enjeux d’aujourd’hui, les acteurs politiques de l’opposition camerounais n’offrent pas l’assurance d’être à même de comprendre les problématiques structurelles, infrastructurelles, culturelles, économiques, et sociales qu’imposent l’ère de la mondialisation. Qui ne souhaiterait l’alternance au bout de 28 ans de règne… On veut bien que Biya parte, mais, QUI ? Il ya qui pour lui succéder. Soyons réalistes. Les opposants n’ont pas le niveau et la culture politique d’un Biya. Hélas !
Il est hâtif de tirer des conclusions ou une sonnette d’alarme sur l’inscription lente des camerounais sur les listes électorales. Il est un fait, nous constatons la publicité incitative demandant aux camerounais d’aller s’inscrire, c’est déjà bien. Mais vous savez aussi que nous les camerounais, attendons toujours la dernière minute pour faire les choses et c’est le cas avec les inscriptions.
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