(Le Monde 22/10/2010)
Il devait s'appeler "le prix Unesco–Teodoro-Obiang" – du nom du président de la Guinée équatoriale, qui avait décidé de le financer – et récompenser un chercheur en science de la vie et de la Terre dont les travaux "conduisent à améliorer la qualité de la vie humaine". Mais, depuis des mois, des ONG, des universitaires et jusqu'au Prix Nobel de la paix Desmond Tutu, appelaient l'Unesco à annuler ce prix, y voyant une opération de communication orchestrée par un chef de l'Etat au "bilan épouvantable en matière de violation des droits humains et d'une gestion catastrophique de la Guinée équatoriale au cours des trente dernières années", selon l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch.
Il n'y aura pas de prix portant le nom de Teodoro Obiang, président de la Guinée Après des mois de tergiversations, l'Unesco a donc annoncé, jeudi 21 octobre, la "suspension" de ce prix scientifique, mettant fin à plusieurs mois d'une polémique embarrassante pour l'organisation onusienne. L'appel des ONG avait été relayé ces derniers mois par les Etats-Unis et les pays européens, mais les pays africains refusaient de se désolidariser du président Obiang. Ces derniers ont fait remarquer que le conseil exécutif de l'Unesco avait approuvé en 2008 la création du prix, allant jusqu'à exprimer alors "sa profonde gratitude au gouvernement de la Guinée équatoriale".
UN MANQUE DE RIGUEUR DANS LA CRÉATION DES PRIX ONUSIENS
"La façon dont Teodoro Obiang a gouverné la Guinée équatoriale porte atteinte à toutes les valeurs que l'Unesco défend ", estimait Tutu Alicante, le directeur exécutif de l'organisation non gouvernementale EG Justice. Dans un récent rapport évaluant l'efficacité des vingt-sept prix Unesco existants, la directrice générale Irina Bokova, missionnée en juin par le conseil pour tenter de sortir de l'impasse, reconnaît d'ailleurs à mots couverts que la création de certains prix s'est faite sans beaucoup de rigueur. "Il faut peut-être faire preuve d'un plus grand discernement dans la désignation des prix Unesco", écrit-elle et "à l'avenir, toutes les propositions de prix devront être accompagnées d'une étude de faisabilité de la directrice générale."
"Les Etats-Unis d'Amérique ont demandé que le prix (Obiang) soit suspendu de manière définitive (...). Cette décision n'a pas été approuvée par les Etats africains", a indiqué à l'AFP un conseiller de M. Obiang, Agapito Mba Mokuy. Pour que personne ne perde la face dans les salons feutrés de l'Unesco, le prix Obiang n'est pas officiellement annulé et le conseil poursuivra "les consultations entre toutes les parties concernées, dans un esprit de respect mutuel et jusqu'à ce qu'un consensus soit trouvé". Mais de fait, il n'y aura jamais de consensus. "Comme il y a une large opposition à ce prix au sein du conseil, c'est une formule élégante pour mettre fin à cette controverse", a souligné un diplomate d'un pays occidental.
Le président Obiang, qui dirige d'une main de fer depuis un coup d'Etat, en 1979, ce petit Etat d'Afrique centrale, coincé entre le Gabon et le Cameroun, avait offert 3 millions de dollars (environ 2,1 millions d'euros) pour cinq ans, à raison de 300 000 dollars par an (environ 214 000 euros) à partager entre trois chercheurs (le reste pour l'administration du prix), alors même que son pays est le troisième producteur de pétrole d'Afrique subsaharienne, mais que l'essentiel de sa population (moins de un million d'habitants) vit dans la pauvreté. Selon le Sénat américain, le président Obiang et son entourage auraient détourné une partie significative des revenus pétroliers du pays, ce qui vaut à la Guinée équatoriale de figurer à la 168e place sur 180 pays du classement de la corruption établi par l'ONG Transparency International.
LEMONDE.FR Avec Reuters et AFP
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