(Le Pays 18/05/2010)
Omar El-Béchir aussitôt revêtu de ses nouveaux habits de président réélu, règle ses comptes. Pour avoir laissé écrire dans son journal que le pouvoir soudanais héberge des moudjahidines du peuple iranien, Hassan Al-Tourabi croupit à nouveau dans les geôles soudanaises. L’ancien numéro deux de Omar El-Béchir n’a décidément pas fini sa traversée du désert.
On a de la peine à croire qu’il fut le mentor, l’idéologue et l’homme de confiance de Omar El-Béchir lorsque celui-ci a pris le pouvoir en 1989. Dix ans de cohabitation entre le numéro deux Tourabi et le numéro un Béchir auront suffi pour que le charme soit rompu entre les deux personnalités. Depuis 1999 donc, année de sa disgrâce, l’intellectuel devenu politique, puis suspecté de penchants islamistes, est dans le collimateur du régime de Khartoum dont il est devenu l’un des opposants les plus farouches. Pour mieux enfoncer son adversaire, El- Béchir a trouvé l’argument imparable, celui de sa collusion supposée avec Al Qaida. Depuis lors, Al-Tourabi arrive difficilement à se défaire de cette image et à s’imposer aux yeux des Occidentaux comme une alternative crédible au président actuel.
Du reste, par lassitude ou par orgueil, il ne s’est pas présenté à la dernière élection présidentielle remportée par El-Béchir. Une victoire qu’il a du reste contestée, qualifiant les élections de "frauduleuses". Cette défiance est sans doute la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, puisque Al-Tourabi est de ceux qui, à l’intérieur du Soudan, avaient demandé à El-Béchir de se rendre à La Haye pour répondre des chefs d’accusation de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Tout sépare donc désormais les deux ex-amis. En politique, quand d’anciens compagnons de lutte se disputent le pouvoir et se séparent, c’est souvent irréversible. Il règne entre eux une véritable inimitié, qui dépasse les limites de l’adversité politique traditionnelle. Le Soudan d’Al-Tourabi et d’El-Béchir est celui donc de la guerre des ego. Fraîchement réélu, même dans des conditions suspectes, El-Béchir veut affirmer son pouvoir et n’entend pas faire de cadeau à ceux qui lui dénient toute légitimité.
Mais le président devrait prendre garde à ne pas se laisser griser par son dernier succès électoral. L’opposition reste unie à l’image de la dénonciation unanime qu’elle a faite de l’arrestation d’Al-Tourabi, la CPI (Cour pénale internationale) ne désespère toujours pas de le cueillir un jour, la crise du Darfour demeure vivace avec l’impossible paix avec les factions rebelles, l’indépendance quasi-inévitable du Sud-Soudan s’annonce comme son plus grand échec politique.
Bref, il n’ y a pas de quoi pavoiser, d’autant que la Fondation américaine Carter et l’Union européenne, qui ont toutes deux observé la présidentielle d’avril dernier, ont estimé qu’elle n’avait pas répondu aux normes internationales. Autant dire qu’il est sous surveillance occidentale. El-Béchir a donc intérêt à créer un climat politique sain sur le plan national au lieu de l’envenimer, avec l’arrestation de Hassan Al-Tourabi.
Mahorou KANAZOE
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