(IPS 18/05/2010)
La tension est subitement montée au Mali avec ce nouveau Code de la famille et des personnes. Cette loi controversée, censée donner plus de libertés et de droits aux femmes, est revenue pour une seconde lecture à l’Assemblée nationale après les contestations des musulmans radicaux.
Ces musulmans radicaux menacent de rendre le pays ingouvernable si cette loi est promulguée dans sa version initiale par les députés en août dernier.
«Ceux qui s’opposent au nouveau Code des personnes et de la famille ont commencé à proférer des menaces contre les députés, en organisant des meetings et lors des prêches. Il le font aussi dans des journaux et à travers des radios, depuis qu’ils ont appris que cette loi est à l’ordre du jour de la session parlementaire en cours», a expliqué à IPS, Salimata Kouyaté, une militante de la Coordination des associations féminines et ONG du Mali (CAFO).
La prochaine séance plénière au parlement est prévue le 20 mai, mais pour l’instant, il n'existe aucune confirmation que la loi sera examinée et soumise au vote des députés à cette date.
Toutefois, le simple fait de soutenir cette loi peut être la source de gros ennuis pour des personnalités maliennes. Pourtant, c’est seulement une dizaine d’articles, sur les 1.143 que compte ce code, qui fait l’objet du désaccord entre les défenseurs des droits des femmes et les musulmans radicaux.
Cette loi, telle qu’elle avait été adoptée en août 2009 par les députés - qui préfèrent éviter d’aborder le sujet aujourd’hui - accorde beaucoup de libertés aux femmes maliennes. Elle stipule, par exemple que la femme bénéficie de l’héritage à part égale que l’homme, tandis que pour l’islam, elle a droit seulement à la moitié de la part de son frère. Une autre innovation du nouveau code est que la femme n’a pas besoin de l’autorisation de son mari pour travailler.
L’historienne Bintou Sanankoua a confié à IPS que «l’article 32 de l’ancien Code du mariage et de la tutelle précise que le mari doit protection à la femme, la femme obéissance à son époux. Cet article fait de la femme reste une éternelle mineure dont tous les actes et tous les agissements sont assujettis à l’autorisation de son époux qui peut, comme on le voit dans la pratique, abuser de ce droit».
Les femmes représentent près de 51 pour cent de la population totale du Mali, selon les résultats provisoires du Recensement général de la population et de l’habitat, rendus publics à la fin de 2009. Plus de 70 pour cent d’entre elles vivent en zone rurale; 83 pour cent n’ont jamais fréquenté un établissement scolaire; 14 pour cent n’ont pas dépassé le niveau de l’école primaire tandis que 0,1 pour cent ont un niveau universitaire et post-universitaire.
La même source indique que les femmes maliennes occupent 10,77 pour cent des postes de responsabilité dans les instances de prise de décision. Par ailleurs, elles sont seulement sept femmes maires sur un total de 703; 720 conseillères municipales sur 1.077 sièges, et seulement trois femmes ambassadeurs sur 22.
Cette catégorie majoritaire de la population risque d’être encore pénalisée car le nouveau code fait des mécontents qui pensent qu’il est contraire aux valeurs de l’islam.
«Le Haut conseil islamique (HCI), au nom de tous les musulmans, a contesté une vingtaine de dispositions du projet de Code de la famille qui jurent avec nos valeurs sociétales et religieuses», a déclaré aux journalistes, Mahmoud Dicko, président du HCI du Mali. «Le président de la République s’était engagé à tenir compte de nos réserves lors de la relecture du code, mais aucun contact n’a été pris avec le Haut conseil islamique», a-t-il ajouté.
Alors que le débat sur la nouvelle loi prend une tournure inquiétante, les défenseurs des droits humains tentent de mettre en garde les autorités maliennes.
«Parmi les atteintes aux droits de l’Homme au Mali en 2009, il y a la situation des femmes. Le nouveau Code de la famille est une bonne loi que des gens, que je ne veux pas qualifier, contestent. Il y a eu un déficit de communication sur son contenu, et si les autorités ne prennent pas garde, le Mali risque de perdre ce progrès des droits des femmes», a indiqué à IPS, l’avocat Bréhima Koné, président de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH) basée à Bamako, la capitale.
Tous les regards sont à présent tournés vers l’Assemblée nationale qui doit se prononcer de nouveau sur les points de divergences de la nouvelle loi. La tension est telle que même les défenseurs de la loi se murent dans un silence, craignant des représailles de la part des musulmans radicaux considérés comme des fondamentalistes conservateurs qui dominent le HCI.
«Ce nouveau code n’est en réalité que celui de 1962, autrement dit, l’ancien code amendé et actualisé, en conformité avec les réalités de notre époque», a écrit El Hadj Sekou Amadou Diallo, un imam modéré qui a défendu le code, dans une lettre adressée aux musulmans contestataires.
La riposte des radicaux, par médias interposés, ne s’est fait attendre. Pire, cet imam modéré, après avoir reçu des menaces de mort par téléphone, a été destitué par un collectif d’imams de sa localité de Kati, à 15 kilomètres de la capitale.
«Ce bras de fer entre défenseurs et détracteurs du nouveau code dure depuis août dernier, et il risque de provoquer une querelle religieuse dont le pays n’a pas besoin», a souligné à IPS, Idrissa Maïga, un journaliste basé à Bamako.
Soumaila T. Diarra
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