(Un Monde Libre.org 17/05/2010)
En République démocratique du Congo (RDC), les rumeurs du lancement de nouvelles coupures à forte valeur faciale (1.000, 2.000 et 5.000 francs congolais) vont bon train. Pour beaucoup, la Banque centrale du Congo (BCC) aurait déjà frappé ces coupures depuis quatre ans. La presse corrobore ces propos. L’idée serait que des plus grosses coupures permettent de s’attaquer à l’inflation. Si tel est le cas, il est urgent de dévoiler une erreur économique fondamentale…
Ne pas confondre le symptôme et la maladie !
Si la pression monte aujourd’hui, du côté de la BCC rien de concret n’est ébruité, hormis le fait qu’elle attendrait un « environnement économique stable et des mesures d'encadrement pris par le gouvernement pour que le lancement de ces coupures soit conforme aux engagements de l'exécutif avec les bailleurs de fonds » afin de sortir d’autres billets à valeur faciale élevée, considérée par certains comme solution.
Mais faut-il au problème d’inflation de la monnaie fiduciaire à valeur faciale plus élevée comme solution ? D’emblée, il y a confusion et ignorance dans le chef de ceux qui tiennent mordicus à ces nouvelles coupures : il y a méprise entre maladie, symptôme et thérapie. Ces nouvelles coupures ne sont en réalité rien d’autre que le symptôme de l’inflation et en aucune manière elles peuvent se révéler une véritable thérapie à l’inflation.
En outre, si les autres coupures de francs congolais aujourd’hui disparus n’existent plus, c’est parce qu’elles ont été emportées sous l'effet de l'instabilité économique. Rien ne garantit que de nouvelles coupures une fois lancées ne pousseront pas les anciennes à la disparition. Car le vrai problème reste l’inflation. Le taux d’inflation de l’année passée s’est situé à 53,4%. Et en RDC, la réputation d’échouer dans la politique de désinflation est assise.
Des nouvelles coupures ne sont pas donc une solution. Elles attestent simplement qu’il y a inflation, qui est le plus souvent un problème de politique monétaire laxiste. Pire, ces plus grosses coupures risquent d’emballer le marché, et entrainer l’inflation vers la hausse. En effet pour l’économiste Claude Ruboneza, « toute augmentation des nouvelles grosses coupures entraînerait une inflation supplémentaire de 2,11%…». Et ce, du fait principalement de l’augmentation de la masse monétaire et des anticipations. Celles-ci sont pour beaucoup. En RDC, à chaque fois qu’il y a de la monnaie à valeur faciale élevée introduite, cela signifiait davantage d’inflation : les opérateurs ajustaient en effet à la hausse le prix, anticipant par là l’inflation, ce qui nourrissait la spirale inflationniste.
L’estimation de cet économiste pousse donc à la méditation et doit faire réfléchir à la BCC. Car, sans cela, on ne fera que nourrir l’inflation au point de l’auto-entretenir. Ainsi, les malheureux épisodes des années 80 et 90 avec une moyenne d’inflation à trois chiffres – voire quatre – seront de retour.
Pour une Banque centrale dont la crédibilité est fortement douteuse, du point de vue théorie économique, le mieux serait de chercher à contenir l’inflation et à stabiliser la monnaie nationale en menant une politique monétaire prudente soucieuse d’amorcer la pente de désinflation « intelligente ». Ce n’est qu’à ce prix là qu’elle réussira à bâtir sa crédibilité et à éviter l’auto-entretien de l’inflation.
Le peuple n’est pas dupe
Dans certaines villes de la République démocratique du Congo (RDC) sévit une curiosité qui ne peut laisser indifférent : depuis un certain temps, des opérateurs économiques refusent certaines coupures des billets émis par la BCC, prétextant qu’elles ne servent plus à grand-chose si ce n’est d’encombrer les portefeuilles.
Serons-nous sur la route de ce que Kabuya Kalala et Matata Ponyo – actuellement ministre des finances – ont qualifié de « crise de légitimité et de souveraineté monétaire » ? Rien de tel au premier abord. Car, à l’époque où ce qualificatif trouvait son plein sens, il s’agissait du refus, de la part des congolais de deux Kasaï (deux provinces congolaises), d’utiliser les nouveaux signes de monnaie entrant en scène avec la réforme monétaire de 1993. En conséquence, il s’était créé en RDC un nouvel espace monétaire où les anciens signes monétaires ont continué à circuler malgré leur démonétisation. De la sorte, la souveraineté monétaire et même la légitimité de la monnaie du pays ont été contestées.
Dans le cas présent, on n’est ni dans un changement des signes monétaires ni en présence d’une création d’un nouvel espace monétaire. Dans l’ensemble, aucun congolais ne conteste la légitimité ni la souveraineté de la monnaie nationale. Néanmoins, cela nous met en face d’une autre crise, celle de « confiance ». Et pour cause : la dépréciation de la valeur interne de la monnaie.
Cette aventure n’en est pas à sa première ; on se souviendra que lors de la réforme monétaire de 97, la BCC avait émis une nouvelle monnaie, le franc congolais, en lieu et place de nouveaux zaïres. Dans sa forme initiale, cette nouvelle monnaie avait non seulement des coupures qu’on appelait de francs (à forte valeur faciale) mais aussi des centimes (à faible valeur faciale). Avec le temps, les centimes ont disparu de la circulation et la BCC a mis en circulation un autre billet à valeur faciale élevée. La raison de ce changement est toute simple : l’inflation ; des petites coupures perdant leur pouvoir d’achat et donc ne servant plus à rien. Il fallait donc s’en débarrasser. Plus simplement, la population les avait dans une certaine mesure boudée. C’est justement le bis repetita aujourd’hui.
Plutôt que de manipuler les symptômes de l’inflation, il est grand temps que la BCC et le gouvernement s’attaquent à la racine du mal : les dérives monétaires, qui viennent en réalité du financement par l’inflation des dérives budgétaires.
Auteur : Oasis Kodila Tedika
Oasis Kodila Tedika est économiste congolais (RDC), analyste sur http://www.unmondelibre.org/.
Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org
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