Par François-Xavier Gomez
World. Samedi au Stade de France, dix-sept groupes du continent sont réunis sur fond de menaces contre des artistes congolais.
Qui a dit qu’il n’y a plus de petits disquaires en France ? Dans le quartier parisien de Château-Rouge, les échoppes de CD et DVD africains fourmillent, entre épiceries exotiques et marchands d’étoffes (wax, bazin riche…). Le magasin Lampe Fall, le seul à accepter de voir son nom imprimé, est un des rares à vendre des billets pour la Nuit africaine du Stade de France, ce samedi. A la veille de l’événement, le patron, en boubou blanc, dit que la location marche assez bien, du moins parmi les Sénégalais formant le gros de sa clientèle. Et surtout depuis quelques jours : «Les Africains s’y prennent toujours au dernier moment.»
Doutes. A Saint-Denis, on s’attend à un afflux de spectateurs de dernière minute pour applaudir les dix-sept artistes programmés : Magic System, Alpha Blondy, Baaba Maal, le vétéran Manu Dibango (77 ans) et quelques autres. «Des dispositions ont été prises pour gérer la billetterie et éviter une trop longue attente», confie Arnaud Séailles, directeur de la production au Stade de France, qui parle d’une jauge limitée à 40 000 places, contre 80 000 pour les configuration concerts, matchs de foot ou de rugby. L’idée d’un plateau de stars africaines, lancée par un jeune producteur mauricien, Yoven Sadaseeven, a séduit le Stade de France. «C’est le succès de spectacles tels que les Nuits celtiques ou la Nuit créole avec Kassav’ qui nous a décidés», reprend Arnaud Séailles.
Une idée qui pourtant n’entraîne pas l’adhésion générale. Le producteur d’origine comorienne Chébli Msaidié, manager du Congolais Papa Wemba, émet des doutes : «Le pari est risqué, tant du point de vue artistique que financier. Kassav’ et ses invités avaient rempli le stade, mais tous les Antillais sont branchés zouk. Le public africain, lui, écoute la musique de son pays, rarement celle des voisins. Un plateau 100% congolais avec Papa Wemba, Koffi Olomidé et Fally Ipupa remplirait à coup sûr le Stade de France. Un panachage avec autant de nationalités, j’en suis moins sûr.»
Marie Audigier, directrice artistique de la Nuit, balaye le reproche : «C’est l’occasion unique de faire se rencontrer des artistes et des publics qui, en effet, ne se connaissent pas toujours.» Le chanteur Meiway, père du zoblazo et idole des Ivoiriens depuis vingt ans, est plus lyrique : «L’Afrique est le berceau de l’humanité, donc de sa culture. Ce concert montrera au monde la diversité de nos musiques.»
Autre grief entendu dans le milieu musical de l’Afrique-sur-Seine : le concert devra impérativement s’achever à 23 heures. «C’est l’heure où les Africains s’habillent pour sortir faire la fête !», relève Chébli Msaidé. La journaliste Aline Afanoukoé, qui assurera sur l’antenne de France ô un direct pendant toute la durée du concert, est d’un autre avis : «Il s’agit d’un rendez-vous familial, où l’on viendra avec les enfants, et puis le public non africain sera présent lui aussi.» Meiway est plus tranchant : «Nous, Africains, devons faire un effort pour nous adapter aux habitudes des pays dans lesquels nous jouons.»
Les musiciens, qui se produiront tous avec leur propre groupe, devront se plier à une autre contrainte : un temps de scène très réduit, la durée de deux ou trois (longues) chansons, suivant les standards africains. «Chaque prestation durera entre quinze et vingt-cinq minutes, indique Marie Audigier. A l’exception des deux rappeurs, qui feront un titre en solo et un duo : Passi avec Coumba Gawlo, Mokobé avec Oumou Sangaré.»
Boycottage. Pour minimiser l’attente entre chaque artiste, le directeur de production parle d’un dispositif tournant jamais employé à Saint-Denis, qui permettra à un groupe de se mettre en place avant même que le précédent ait fini de jouer. Le budget global, selon Arnaud Séailles, devrait dépasser les 2 millions d’euros, dont 100 000 euros seulement pour la partie artistique. «Tout le reste, c’est l’infrastructure et la partie technique, une scène gigantesque, le son, les lumières…»
Une partie du budget devra en outre renforcer la sécurité. Des appels alarmants au boycottage circulent depuis plusieurs semaines sur le Web. Un groupe d’activistes opposé au gouvernement de Joseph Kabila, en République démocratique du Congo, s’en prend ces derniers temps aux concerts d’artistes congolais en Europe. A Paris, Londres, Bruxelles et en Allemagne, ces autoproclamés «combattants» ou «Bana Congo» (enfants du Congo) ont empêché la tenue de plusieurs manifestations, en barrant l’accès aux salles ou en intimidant le public. Ils accusent certains artistes de collusion avec le pouvoir ou, de façon plus floue, d’amuser la galerie au moment où le pays subit, selon eux, viols, massacres et déni de démocratie. La tension est montée jeudi soir, lorsque le chanteur congolais Werrason a été agressé et légèrement blessé dans un restaurant de Saint-Denis par des «combattants». Lesquels menacent en outre le journaliste Zacharie Bababaswe, choisi comme présentateur du concert, et dont le site (1) est ouvertement pro-Kabila.
(1) www.lelingalafacile.com
Nuit africaine Stade de France, Saint-Denis (93). Samedi à partir de 18 h. Rens. : www.stadedefrance.com
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