(Le Reporter 02/08/2010)
C’est un appel du pied lancé au peuple burkinabè pour sauver une démocratie viciée et en dérive. Et Ram ne manque pas de piquant, avec quelques petites révélations et des attaques poussives contre le patriarche et richissime Oumarou Kanazoé à qui il rappelle que construire des mosquées ne suffit pas pour entrer au paradis.
D’aucuns diront qu’il s’agit d’une tentative désespérée d’un politicien en pertes de vitesse, de se remettre sur les rails. Soit ! Pour autant, nombre des constats et des interpellations du plus connu des Ecolos burkinabè, considéré à tort ou à raison, comme l’un de ceux qui ont aidé le pouvoir en place à recoller les morceaux puis à se sortir du pétrin de la crise sociopolitique consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons en décembre 1998, sont dignes d’intérêts.
Pour Ram Ouédraogo, comme pour ses camarades refondateurs, (dont le chef de file est Herman Yaméogo, ancien principal opposant puis ancien ministre d’Etat et bien plus, ancien allié de Blaise Compaoré, ancien député), le processus démocratique burkinabè est en panne. Il nécessite un diagnostic sans complaisance en vue de dégager des prescriptions consensuelles pour le remettre à l’endroit.
La démocratie burkinabè fonce droit dans le mur, disent-ils, et seul un sursaut de Blaise Compaoré pourrait éviter la catastrophe. Malheureusement, lui, « reste sourd » à tous les appels, s’accroche à son fauteuil et donne l’impression que le pouvoir est, pour lui, une fin en soi et non un moyen pour apporter sa contribution à l’édification d’un Burkina Faso, fier et respecté des autres nations d’Afrique et du monde. Nous avons relevé la nécessité de la refondation de l’Etat et de la gouvernance au Burkina depuis le premier numéro du Reporter, en juillet 2007, bien avant donc les refondateurs. Mais cette refondation doit être débarrassée des agendas cachés et des calculs politiciens, des règlements de comptes et des volontés de vengeance.
Nous convenons aussi avec Ram Ouédraogo, que la présidentielle de novembre prochain ne peut que reposer la question de la légitimité du président du Faso qui en sera issu, du fait du contexte sociopolitique dans lequel se tiendra le scrutin.
Le tableau est en effet très peu reluisant : une désaffection des citoyens vis-à-vis du processus électoral ; une commission électorale affaiblie par des révélations de mauvaise gestion de deniers publics (voire le dernier rapport de l’Autorité supérieure de contrôle de l’Etat) ; une opposition peu structurée et très limitée en ressources (humaines et financières) et en propositions d’alternatives (Ram Ouédraogo parle de « manque de stratégies, d’anticipation, de prospectives et de sincérité ») ; une majorité constituée plus de courtisans et de griots accrochés à des intérêts égoïstes et insensibles aux appels à plus de justice sociale, d’équité et de dignité que d’hommes politiques capables de réfléchir au-delà de l’allégeance à Blaise Compaoré. Et le comble des combles, cette majorité qui n’a de projet que Blaise Compaoré, veut, coûte que coûte, vaille que vaille, maintenir le Burkina dans cette démocratie qui a toutes les allures d’un marché de dupes.
Aux yeux de certains, le Burkina Faso, c’est Blaise Compaoré, son épouse, sa fille, son frère, ses soeurs, ses tanties, ses tontons, bref, sa famille. Celui qui ne soutient pas Blaise Compaoré ou qui ne chante pas ses louanges est presqu’assimilable à un apatride. Leur préoccupation aujourd’hui, c’est moins la présidentielle de novembre prochain qui est déjà comme un acquis. Ils ne se gênent pas de vaincre sans périr et donc de triompher sans gloire. L’essentiel est que les intérêts de chacun soient saufs à l’ombre de Blaise Compaoré. Ce qui les passionne, c’est ce que son système leur offre comme opportunités. « Grand Dieu ! Comment le Burkina Faso a-t-il fait pour tomber dans les mains de flibustiers pareils qui ne voient que leurs seuls intérêts ? », s’interroge Ram Ouédraogo. L’on s’étonne alors que ce soit aujourd’hui qu’il s’en rende compte.
Le renard passe, passe ! Chacun à son tour...
argent« Vous êtes opérateurs économiques, si vous ne faites pas allégeance, vous n’avez plus d’affaires, de même qu’une association qui n’est pas reconnue proche de Blaise Compaoré et de ses alliés vous ne ferez pas long feu. Si vous êtes de l’opposition réelle, tous les coups sont permis pour vous affaiblir, y compris dans votre cellule familiale. Dans l’administration publique les hauts fonctionnaires, ces grands commis de l’Etat, les professionnels de l’Administration n’ont pas accès aux hautes fonctions tant qu’ils ne font pas eux aussi allégeance au Président devenant du coup, des parias dans leur propre pays », affirme Ram Ouédraogo, qui a défoncé une porte déjà ouverte. Venant de lui qui a flirté avec les clans constitués autour du Président qu’il dénonce aujourd’hui, c’est assez expressif de la nature du pouvoir de Blaise Compaoré. Ce pouvoir utilise, use et abuse de ceux qui s’y laissent embarquer (même de bonne foi) et les jette comme un kleenex. Qu’espérait Ram Ouédraogo et tous ceux qui se sont engouffrés dans les bras de Blaise Compaoré à la faveur du gouvernement d’unité nationale en 2000 ? Cette obligation d’allégeance à Blaise Compaoré comme condition pour faire des affaires ou les coups bas contre l’opposition ne date pas d’aujourd’hui.
Tout cela fait partie de la nature de ce pouvoir. Et l’on n’ose pas croire que ces hommes politiques rompus à la tâche comme Ram et les autres ont cru que du fait des recommandations du Collège de sages, le pouvoir allait subitement changer de nature. En entrant dans le gouvernement protocolaire, ils ont, eux aussi, d’une manière ou d’une autre, fait allégeance à Blaise Compaoré. Avec leur complicité active ou passive, le pouvoir a travesti les recommandations du Collège de sages en organisant cette mascarade de réconciliation nationale, sans vérité ni justice sur les affres traumatisantes des Etats d’exception du CNR (Conseil national de la révolution), du Front populaire et aussi du premier septennat de Blaise Compaoré. Ce pouvoir avait besoin d’eux pour sortir de la crise et reprendre des forces. Dès qu’il a repris confiance, il n’avait plus besoin d’eux. Il les a donc remerciés à sa manière.
Ce que Ram appelle « profondes divergences » n’est que l’aboutissement logique d’une mise en scène politique savamment montée par les spécialistes de la roublardise et de l’arnaque politique qui ne visaient que le retour à l’ordre politique d’avant le 13 décembre 1998 ou, tout au moins, la remise de Blaise Compaoré au départ et à l’arrivée de tout. Ce système politique est fait tantôt d’ouverture à de nouveaux acteurs, tantôt d’exclusion même des plus anciens et des plus fidèles. Dans ce système, en dehors de la famille et d’un cercle restreint d’alliés de celle-ci, tout le monde reste comme des fusibles que l’on peut sauter au gré des intérêts de l’heure. Personne n’y échappera, d’autant plus que la tendance est à la patrimonialisation du pouvoir avec la montée en puissance de la famille au détriment des groupes politiques. Tous ceux qui ne sont pas de la famille et de ses alliés sont avertis. Dans tous les cas, personne ne les plaindra.
Combien sont ces jeunes qui, en 2005, ont battu le macadam dans toutes les villes du Burkina pour « inciter » Blaise Compaoré à se porter candidat à la présidentielle, qui rasent les murs aujourd’hui, la queue entre les jambes ? Certes, ils ont eu de quoi battre campagne en 2005 et jouir d’une certaine impression d’être devenus importants, mais aujourd’hui, bien des portes leur sont fermées. Ils tentent désespérément de s’accrocher mais rien de solide n’est à leur portée. Certains ont compris qu’ils ne représentaient plus rien aux yeux de leurs mentors. Les plus intelligents ont vite compris que dans ce pays, on peut s’en sortir sans forcément vendre son âme. D’autres, habitués à la facilité et aux raccourcis, rongent toujours leurs freins dans l’espoir que la prochaine campagne électorale leur offre une opportunité de se relancer.
Combien sont-ils ces politiciens qui ont fait la pluie et le beau temps aux côtés du pouvoir Compaoré et qui se retrouvent aujourd’hui contraints de réapprendre à affronter les dures réalités de la vie dans un pays pauvre très endetté ? Dans les rangs des refondateurs, on en compte beaucoup qui se sont grillés par leurs relations « incestueuses » avec le pouvoir. Les plus chanceux arrivent à tirer leur épingle du jeu parce qu’ayant bien négocié leur sortie. C’est une logique implacable. Le renard passe, passe ! Chacun à son tour chez le coiffeur. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes. Et comme dit cet adage qu’affectionnait le Professeur Ki-Zerbo, celui qui se laisse coiffer dans l’obscurité, ne doit pas s’étonner qu’on lui coupe les oreilles.
Savoir se mettre du bon côté de l’histoire
« Dans quelle démocratie sommes-nous où la famille présidentielle s’octroie des marchés publics ? Non, le Burkina Faso a besoin d’un Etat de droit véritable où toutes les institutions fonctionnent en toute indépendance.
Notre pays n’a pas besoin d’un chef d’Etat de qui tout part et revient à lui, cela s’appelle du fascisme ». Bien heureux, Ram Ouédraogo découvre aujourd’hui la vraie réalité d’un pouvoir qu’il a côtoyé et aidé à un moment donné. Ce n’est pas suffisant. Il reconnaît que tout le monde est responsable. Mais lui et certains de ses camarades le sont encore plus. Ils doivent comprendre que beaucoup de Burkinabè se souviennent encore que si ce pouvoir tient toujours, c’est aussi en partie grâce à eux. Ils ont eu des dividendes comme il le reconnaît. Justement, ce sont les mêmes dividendes qui mobilisent les opérateurs économiques. Et l’on s’étonne que Ram s’en prenne uniquement aux Vieux Kanazoé alors que d’autres opérateurs économiques profitent plus que lui du système. Ce n’est certainement pas Oumarou Kanazoé qui a bénéficié depuis d’une dizaine de milliards de marchés octroyés de gré à gré pour construire une route de 7 km. Il y a bien d’autres qui jouissent de plus de dividendes que Kanazoé. Mais ces dividendes, comme celles dont Ram a bénéficié, restent personnelles et n’ont profité en rien à la démocratie.
Bien au contraire, en répondant à l’appel du pouvoir sous le prétexte des recommandations du Collège de sages dont la mise en œuvre a été très sélective, certains partisans de la refondation ont contribué à affaiblir le seul contre-pouvoir crédible qui avait la capacité de contraindre Blaise Compaoré à négocier. Ils avaient oublié que le Collège de sages n’aurait jamais existé s’il n’y avait pas eu le Collectif contre l’impunité. Certains ont poussé le cynisme plus loin, en participant activement à la répression et au lynchage médiatique du Collectif, ses leaders et de ses militants. Mais l’histoire retiendra que sous la conduite de ces hommes et de ces femmes (qui ne sont pas irréprochables en tout point), des milliers, voire de millions de Burkinabè se sont mobilisés pour revendiquer une refondation du processus démocratique bâtie sur la vérité, la justice et la réconciliation nationale.
Mais ils ont été trahis par d’autres. Ram Ouédraogo a donc raison, « les hommes politiques ont la mémoire courte et la gratitude ne fait pas partie de leur bréviaire ». Et lui et certains de ses compagnons qui chantent aujourd’hui la refondation ont déjà oublié qu’ils ont causé trop de torts au processus démocratique en participant et en soutenant la mascarade de réconciliation qui ont permis de maquiller les crimes économiques et de sang. N’est-ce pas Ram himself qui parcourait le Burkina pour demander aux familles de participer à ce processus qui se révèle aujourd’hui être un véritable saupoudrage ? Il s’étonne que le Président Compaoré refuse de les recevoir et reste sourd à leurs appels depuis deux ans. Pourtant, c’est très simple. Pourquoi les recevra-t-il d’ailleurs ? Le Président sait que politiquement, ils ne représentent plus grand-chose, si ce n’est qu’ils sont chefs de partis politiques. Les rapports de force ne sont pas du côté des refondateurs.
Ça, c’est un fait. S’ils veulent réellement une refondation de la démocratie, ils doivent commencer par donner l’exemple en reconnaissant leurs propres responsabilités et en faisant leur mea culpa. Les petites révélations tentées par Ram Ouédraogo sont insuffisantes. S’en prendre à Kanazoé ne changera rien. Le peuple auquel il fait appel pour soutenir leur projet a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé pour qu’ils aient accepté de contribuer à mettre la démocratie en danger. Les rendez-vous manqués dont parle Ram (que nous avons déjà évoqué dans Le Reporter N°47 du 1er au 14 juin dernier), l’ont été grâce à des soutiens externes au parti majoritaire, aux opérateurs économiques qu’ils dénoncent, à la famille de Blaise Compaoré. Les principaux animateurs du mouvement de refondation font partie de ces soutiens.
voilà que son parti, le CDP, décide d’user de sa majorité pour opérer des réformes à son seul profit, vous vous souviendrez de cet acte anticonstitutionnel causé par le CDP, ses alliés et quelques complices qui se sont retrouvés comme des pirates dans un bureau de l’Assemblée nationale pour se partager le financement public tel une rançon, que l’Etat octroie aux partis politiques pour mener leurs activités, foulant aux pieds la Constitution qui assigne des devoirs aux partis politiques, excluant de fait les partis qui participent régulièrement au scrutin depuis près de 20 ans et qui font des scores honorables ». Enfin, voilà la vérité ! Ram Ouédraogo et ses compagnons se sentent exclus de tout, y compris du financement des partis politiques.
Point de strapontin politique, pas de financement public aux partis, et pire, les opérateurs économiques du pouvoir refusent de les soutenir. Ils veulent rencontrer Blaise Compaoré pour lui demander d’accepter la refondation du processus démocratique. C’est à croire qu’ils n’ont pas encore tiré les leçons du passé pourtant très récent. A moins que leur démarche ne cache des non-dits, ils doivent comprendre que ce pouvoir-là ne comprend que le langage de la force. Tant que le rapport de force ne changera pas en sa défaveur, c’est peine perdue d’espérer qu’il changera. Pour que ce rapport de force change en faveur des refondateurs, il y a une obligation de vérité envers le peuple. Il faut enfin un minimum de sincérité dans le discours et les initiatives politiques. Tous les partis signataires du Manifeste de la refondation réunis ne pèsent pas grand-chose sur l’échiquier politique.
Et ce ne sont pas les déclarations dans la presse qui leur donneront une base sociale solide. Ram Ouédraogo, Hermann Yaméogo et les autres doivent comprendre que les Burkinabè, dans leur majorité, ont perdu confiance en eux et ne prêtent plus attention aux projets dont ils sont porteurs. Ils doivent désormais convaincre de la sincérité de leurs initiatives. Car, déjà, des rumeurs courent sur de nouvelles alliances qu’ils risquent de construire sur le dos des Burkinabè. Ces rumeurs sont peut-être infondées mais elles sont expressives de la crise de confiance entre eux et leurs concitoyens. On peut tromper tout le peuple pendant un certain temps (ils l’ont fait en 1991), une partie du peuple pendant tout le temps (ce qu’ils seraient en train de faire), mais jamais tout le peuple pendant tout le temps (c’est ce qu’ils doivent comprendre et accepter). Mais que chacun se le tienne pour dit : tôt ou tard, les Burkinabè prendront les affaires de leur pays en mains. Le peuple est prêt mais attend vainement un leader. Le jour où naîtra ce leader, les choses bougeront à une vitesse grand V.
Ce qui se passe actuellement en Guinée est la preuve que les hommes passent mais que les pays demeurent ! Mieux, tôt ou tard, les peuples finissent par se doter de leaders pour reprendre les choses en mains. Comme par hasard, c’est à partir du cinquantenaire que la Guinée retrouve l’espoir. L’histoire du Burkina suit son cours.
Cette année marque le cinquantenaire du Burkina et plus rien ne sera comme avant. Nous pouvons tous passer, mais le chemin est tout tracé. Rien ne pourra arrêter la marche de l’histoire. Libre à chacun de se mettre du bon ou du mauvais côté de l’histoire, comme le rappelait Barack Obama à l’endroit de tous les potentats qui révisent les constitutions pour demeurer au pouvoir, dans son discours d’investiture.
Par Boureima OUEDRAOGO
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