samedi 22 mai 2010

Cameroun: «Cinquante ans, c'est pas beaucoup pour construire une nation»

Créé le 22.05.10 à 12h53 -- Mis à jour le 22.05.10 à 12h57
Le chanteur Manu Dibongo, le 22 mai à Yaoundé au Cameroun. —S.POUZET/20MINUTES
INTERVIEW - Le musicien camerounais Manu Dibongo était cette semaine au Cameroun pour le cinquantenaire de l'indépendance du pays. Il a répondu à 20minutes.fr...
De notre envoyée spéciale au Cameroun
Vous aviez 24 ans au moment de l’indépendance du Cameroun. Quels souvenirs en gardez-vous?
Cette année-là, je travaillais dans un orchestre à Bruxelles, mais j’avais été invité à jouer pour fêter l’indépendance de la Côte d’Ivoire - mes copains étaient ivoiriens. Quand j’ai fini le spectacle, je me suis dit que tant qu’à faire, j’allais en profiter pour aller voir mes parents au Cameroun. Je suis arrivé à l’aéroport, il y a eu les embrassades, et puis mon père m’a dit «Ouhlala, vite, il faut rentrer!».
C’était la guerre civile. Tu étais obligé d’être à la maison à 18h, sinon on te tirait dessus. Donc c’était pas une ambiance de joie absolue… Il y avait une atmosphère de guerre, des bombes au napalm, des têtes coupées dans la rue… Moi je n’avais jamais vu ça avant puisque j’avais quitté le pays à mes 15 ans. Les seuls militaires que j’avais vus de ma vie c’était au défilé du 14 juillet. Tout avait changé, sauf mes parents.
Quel bilan faites-vous des cinquante ans de l’indépendance du pays?
Ça a quand même avancé. Au sortir de la colonisation, ce pays était une véritable mosaïque de populations obligées de cohabiter. Donc il a fallu les unifier. Et cinquante ans, ce n’est pas beaucoup pour construire une nation, pour que chacun ait le sentiment de se tenir derrière le même drapeau.
L’Occident, lui, a mis 2000 ans pour le faire. En 1960, il n’y avait pas non plus de cadres. Il a fallu en former pour qu’ils puissent diriger le pays. Les gens oublient ça souvent. Donc le pays a fait du chemin. L’objectif des cinquante prochaines années, c’est de le construire. Pour les jeunes, c’est extraordinaire, parce qu’ils vivent dans un pays qui existe déjà, unifié, et ils peuvent éviter des erreurs que nous avons commises. L’histoire du Cameroun s’est faite aux forceps.
Certains Camerounais affirment que le pays n’est pas vraiment indépendant parce qu’il ne l’est pas sur le plan économique. Qu’en pensez-vous?
Oui, le Cameroun n’est pas indépendant au sens fort du terme. Sur le plan politique, oui, mais pas sur le plan économique, parce que c’est plus un pays consommateur que producteur. Et même si le Cameroun fait un peu de commerce avec d’autres pays (comme la Chine et l’Inde), il dépend essentiellement de la France, parce qu’ils ont un lien commercial ancien. C’est la même chose pour la monnaie: nous sommes encore au Franc CFA.
Et sur le reste, quel regard portez-vous sur les relations du pays avec la France aujourd’hui?
La circulation des hommes devient difficile. Les Africains n’ont pas de visa pour pouvoir venir en France. S’il n’y a que les marchandises qui circulent et pas les hommes, est-ce que dans vingt ans les Camerounais parleront encore français? Quel intérêt auraient-ils à le faire?
Que vous inspire la politique du président Biya?
C’est le système qui est comme ça, sinon il faudrait changer le logiciel. Mais Louis XVI est resté au pouvoir jusqu’à sa mort, et ça ne l’a pas empêché de faire Versailles. Mais la politique, c’est pas mon truc. Heureusement que je n’en ai pas fait. Car comme dit le proverbe, «dans chaque marigot il y a un crocodile».

—Propos recueillis à Yaoundé par Faustine Vincent

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