Ne nous berçons pas d’illusion : la justice pour les millions de morts du Congo et les centaines de femmes violées et contaminées, ce n’est pas pour demain. Le Congo est, au contraire, au point d’entrer dans les pires moments de son histoire. Autant on devrait être préoccupé pour les Irakiens en cas d’un retour des Bush à la Maison Blanche, autant il faut se préoccuper pour les populations congolaises en cas de retour des Clinton à la Maison Blanche.
Les objectifs des Américains sur le Congo
Lorsqu’éclate la Première Guerre du Congo en 1996, les Américains ont au moins trois objectifs stratégiques : chasser Mobutu et les Français de la région des Grands Lacs, prendre possession des gisements miniers de l’Est du Congo et entraîner le pays vers sa dislocation (balkanisation).Les riches régions de l’Est doivent être annexées au Rwanda de Kagame et à l’Ouganda de Museveni, ce que Herman Cohen va affirmer sans se gêner[1]. Les populations autochtones congolaises vont toutefois s’opposer aussi bien aux agressions contre leur pays qu’à l’occupation qui préparait son démembrement. Américains, Rwandais et Ougandais vont alors « faire simple » : cibler directement ces populations par des massacres, des viols et des déplacements forcés afin de briser leur sentiment national, tout en assurant la totale impunité aux généraux rwandais et ougandais qui organisaient ces atrocités. L’idée qui se dissimule à peine est qu’à force de massacrer ces populations, de les violer, de les chasser de leurs terres et de les humilier, elles finiraient par se persuader que le pouvoir de Kinshasa les a abandonnées et se soumettre, malgré elles, aux pouvoirs de leurs oppresseurs rwandais et ougandais[2]. Mais deux décennies plus tard, le projet peine à se réaliser. Les Congolais restent toujours attachés à l’unité de leur pays malgré les massacres qui se poursuivent en toute impunité, ce qui doit terriblement agacer les stratèges de la coalition américano-rwando-ougandaise.
Le retour des Clinton à la Maison Blanche va sûrement donner un coup d’accélérateur à ce projet inspiré de la stratégie du « chaos constructeur »[3]. Le malheur pour les Congolais est qu’ils ne disposent d’aucun moyen pour véritablement faire face. Ni les autorités actuelles de Kinshasa, ni l’armée nationale ne sont en situation de dissuader les Américains de relancer une nouvelle aventure meurtrière au Congo. Encore moins la Monusco (Mission des Nations unies au Congo).
Un Etat et une armée rongés de l’intérieur
Une nation ne peut efficacement faire face à une menace de l’extérieur que si elle est bâtie et structurée sur une solide cohésion intérieure. Sur ce point, le Congo, depuis l’arrivée de Joseph Kabila à la tête du pays, a créé toutes les conditions de sa propre vulnérabilité. Les Congolais découvrent année après année que l’homme à la tête de leurs institutions est, en réalité, un agent au service des pouvoirs tutsi/hima du Rwanda et de l’Ouganda, les deux pays par lesquels Américains et Britanniques organisent des agressions contre le Congo. Les Congolais découvrent également que ce qu’ils croient être leur « armée nationale » est en réalité une institution contrôlée par des généraux rwandais massivement infiltrés dans les institutions congolaises en application d’une série d’accords secrets entre Kabila et Kagame. Cette armée-là est si peu fiable qu’en dépit de la bravoure de nombreux soldats, au front, les Congolais sont une nation condamnée d’avance à des défaites face aux agresseurs rwando-ougandais. Ils contrôlent la hiérarchie de l’armée qui, sur ordre de Kigali ou de Kampala, sabotent sans état d’âme les opérations sur terrain. Cette armée-là ne protégera donc pas la population, et c’est le moins qu’on puisse dire.
Les amis du peuple congolais ?
Les Congolais peuvent-ils compter sur des pays amis ? Pas si sûr. Depuis la création du Congo en 1885, les puissances occidentales aiment le Congo pour ses richesses mais pas pour ses habitants, quelle que soit l’ampleur des massacres qui se déroulent dans le pays. Quant aux pays africains, trop peu ont les moyens et la motivation d’intervenir pour aider la population. En 2013, les soldats tanzaniens sont vigoureusement intervenus dans le Kivu pour chasser les hommes de Kagame. Mais il ne s’agissait pas de venir aider les populations congolaises. Il s’agissait, pour le président tanzanien Jakaya Kikwete de montrer ses muscles à Paul Kagame avec qui il était en conflit ouvert. Depuis, les Tanzaniens ont amorcé un processus d’apaisement avec le régime de Kagame. Les Congolais doivent donc inventer d’autres moyens de se protéger, ce qui n’est pas évident. Leurs propres autorités sont tellement impliquées dans les complots contre le Congo qu’elles n’attendent que le signal pour livrer le territoire national à l’ennemi et abandonner leurs populations à la merci des agresseurs, comme elles ont pu le faire à de trop nombreuses occasions[4].
Comment donc ce peuple peut-il se protéger contre la menace américaine puisqu’il ne peut même pas compter sur ses dirigeants ? C’est la question à laquelle il va falloir méditer d’ici au retour annoncé des Clinton à la Maison Blanche. Mais même si le Congo avait un Etat crédible et une armée solide, on ne l’imagine pas pouvoir faire face à la poussée destructrice des Américains. La destruction de la Libye de Kadhafi en 2011 et de l’Irak de Saddam Hussein en 2003 nous enseigne qu’il faut un autre niveau de capacités militaires pour dissuader les Américains.
La piste de Moscou ?
En désespoir de cause, on peut envisager le scenario d’une alliance stratégique entre le Congo et la Russie, la seule puissance à l’heure actuelle capable de tenir tête aux Américains. Mais une telle alliance est le produit de difficiles négociations entre chefs d’Etat. On n’imagine pas Joseph Kabilaallant rencontrer Vladimir Poutine pour le prier de venir en aide aux populations congolaises dont la vie est maintenant menacée par les changements annoncés à la Maison Blanche. Non seulement les hommes de Kagame qui contrôlent les institutions de Kinshasa ne laisseraient pas Kabila faire venir les Russes au Congo, mais surtout les Russes ne sont pas dupes. Ils ne vont pas risquer la vie de leurs agents dans un pays où les autorités ont sciemment fait entrer les ennemis de leurs populations dans tous les rouages de l’appareil d’Etat. Il faudrait avant tout que les Congolais se débarrassent des infiltrés. Un casse-tête. La dernière fois qu’ils l’ont fait, le pays a sombré dans la Guerre, la Deuxième Guerre du Congo, le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre Mondiale. Et le président qui a fait partir les infiltrés, Laurent-Désiré Kabila, a été assassiné dans son palais[5]. On en est donc là.
Un pays est menacé dans son intégrité, des populations vont être massacrées, violées et chassées de leur terre, mais aucune mesure préventive n’est envisageable. Il faudra juste, au fil de la campagne présidentielle américaine, habituer les Congolais à l’idée que « la mort arrive ». Une fois de plus. Mais, curieusement, peu de politiciens de Kinshasa perçoivent la menace. Par opportunisme ou ignorance, ils sont nombreux à se rendre à Washington pour solliciter de devenir calife à la place du « calife Kabila ». Ils oublient naïvement que les Américains ne peuvent aider un dirigeant congolais à devenir « le prochain président » que si celui-ci souscrit à leurs objectifs stratégiques qui passent par le démantèlement du pays, le pillage de ses ressources et l’anéantissement de ses populations[6]. Si Dieu existe, c’est au Congo qu’il va falloir le loger dans la perspective du retour des Clinton à la Maison Blanche. A défaut, préparons-nous à visionner de nouvelles images macabres en provenance du Congo.
Boniface MUSAVULI
agoravox.fr
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