(Liberation 02/03/2011)
Violation de l’embargo sur les armes, coups de feu contre des Casques bleus et expéditions punitives à Abidjan. Le duel à la tête de l’Etat vire à la guerre civile.
Lentement mais sûrement, la Côte-d’Ivoire bascule dans la guerre civile. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, a appelé hier à une réunion d’urgence du Conseil de sécurité sur la situation dans ce pays, aux prises avec une crise politique sans précédent, depuis la présidentielle du 28 novembre. A l’ordre du jour : la violation de l’embargo sur les armes en vigueur depuis 2004 contre la Côte-d’Ivoire. Dimanche et hier, selon l’ONU, trois hélicoptères en provenance de Biélorussie devaient être livrés sur l’aéroport de Yamoussoukro, la capitale administrative, située à mi-chemin entre Abidjan et Bouaké, le fief de l’ex-rébellion nordiste. Cet équipement est destiné à soutenir le régime de Laurent Gbagbo, le président sortant, qui refuse de quitter le pouvoir. Fragilisé par les embuscades tendues contre ses Forces de sécurité (FDS), à Abidjan, et par les accrochages qui se déroulent à travers le pays, il tenterait de se renforcer. De même que le camp adverse, les ex-rebelles ayant repris les armes.
A l’automne 2004, lorsque Gbagbo avait tenté de reprendre, par le biais d’une offensive aérienne, la moitié nord du pays (tombée aux mains des rebelles), il avait déjà fait appel à des mercenaires slaves pilotant des MI-24. Des hélicos de combat qui provenaient de Biélorussie, convoyés jusqu’à Abidjan par un marchand d’armes bien connu des services français : Robert Montoya, un ancien gendarme qui fut en poste à l’Elysée sous François Mitterrand. La Biélorussie a démenti hier toute implication, invoquant une «possible campagne destructrice» contre son gouvernement.
Crime de guerre. Le camp de Laurent Gbagbo est passé du «harcèlement à l’acte d’hostilité directe» à l’encontre des Casques bleus, a dénoncé hier Choi Young-jin, l’envoyé spécial des Nations unies en Côte-d’Ivoire. Trois Casques bleus ont été attaqués samedi dans le quartier d’Abobo, fief du rival de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara, dont la victoire électorale a été reconnue par la communauté internationale. Ces hommes ont reçu des balles dans leurs casques. «Une attaque très sérieuse», selon Choi, qui rappelle que ce type d’agression relève du crime de guerre.
De son côté, le gouvernement de Laurent Gbagbo accuse l’Opération des Nations unies en Côte-d’Ivoire (Onuci) d’être complice des «rebelles», alliés à Ouattara, soupçonnés de réarmer et d’organiser la descente vers Abidjan de jeunes du Nord ayant reçu un entraînement militaire. Le camp Ouattara affirme, lui, que des membres des FDS (en principe loyaux à Gbagbo), excédés par les exactions commises contre les civils, ont fait défection et organisent la «résistance». Abobo, ce vaste quartier populaire du nord d’Abidjan, est devenu l’épicentre du conflit depuis que les FDS tirent dans la foule des manifestants, et qu’elles sont elles-mêmes la cible d’embuscades tendues par de mystérieux commandos «invisibles».
Dans sa tentative de nettoyer Abobo, le régime de Gbagbo n’a pas fait appel aux militaires, apparemment réticents à mener ce type d’opérations, mais aux hommes de la Garde républicaine et du Cecos (forces spéciales). Deux forces d’environ 4 000 hommes au total, parmi les mieux armées et les plus redoutées de la population. Des sources bien informées assurent que les forces de Gbagbo ont subi de lourdes pertes à Abobo, et que certains de leurs éléments mèneraient des opérations punitives dans ce faubourg d’Abidjan, à la recherche de blessés. L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch, dans un rapport publié le 23 février, dénonce l’enlèvement par des militaires, le 8 février, dans un hôpital d’Abobo, d’une vingtaine de civils blessés par balles au cours d’une manifestation. Les proches ont ensuite retrouvé trois corps dans des morgues locales.
Exode. A Abidjan, le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) estime qu’entre 20 000 et 30 000 personnes ont quitté Abobo au cours des derniers jours. Un exode qui se poursuit. Les déplacés - beaucoup de femmes avec des enfants en bas âge - campent parfois dans le plus grand dénuement sur des bouts de trottoirs des quartiers résidentiels d’Abidjan. Mais, il est de plus en plus difficile de circuler pour les équipes de l’ONU, du fait des menaces et des barrages montés par les Jeunes Patriotes, partisans de Gbagbo. «Nous avons dû suspendre nos patrouilles dans les quartiers d’Abidjan pour des raisons de sécurité», affirme une porte-parole du HCR à Genève, Fatoumata Lejeune-Kaba. La construction d’un camp pour des milliers de déplacés à Duékoué, dans l’ouest du pays, a aussi été interrompue.
Outre 40 000 réfugiés au Liberia voisin, les Nations unies dénombrent près de 41 000 déplacés dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire, en raison des combats. Beaucoup attendaient avec impatience la solution «contraignante» promise pour le 28 février par l’Union africaine. Une solution reportée : le panel de cinq chefs d’Etat africains chargés de trouver une issue à la crise ne va pouvoir se réunir que vendredi.
Par THOMAS HOFNUNG, SABINE CESSOU Mercredi 2 Mars 2011,
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