(Le Temps.ch 20/01/2011)
Le président de transition, Foued Mebazaa, s’est engagé mercredi à «une rupture totale avec le passé». Dans la rue, des milliers de Tunisiens ont de nouveau exigé le retrait des figures de l’ancien régime du gouvernement provisoire, affaibli par le départ d’un parti d’opposition
Quatre ministres – trois syndicalistes et le président du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) – ont démissionné du gouvernement d’union nationale, formé lundi, en raison de la présence de caciques du parti du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali aux postes clés du gouvernement.
«Je m’engage à ce que le gouvernement de transition conduise une rupture totale avec le passé», a déclaré mercredi soir M. Mebazaa à la télévision d’Etat. Il s’agissait de sa première intervention publique depuis qu’il assure l’intérim de la présidence.
Le président s’est engagé à «satisfaire toutes les aspirations légitimes du soulèvement pour que se réalise cette révolution de la liberté et de la dignité». Il a notamment promis une prochaine «amnistie générale», la «liberté totale d’information», «l’indépendance de la justice» et «la séparation entre l’Etat et le parti», en référence au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Ben Ali, symbole de corruption et de répression dont des manifestants exigent chaque jour depuis vendredi le bannissement de la vie politique.
La mainmise de membres du RCD sur les postes clés du gouvernement (Intérieur, Défense, Affaires étrangères, Finances, notamment) avait provoqué la démission mardi des trois ministres issus de l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), puis celle mercredi d’un chef de l’opposition.
«Il nous est impossible de participer à un gouvernement qui intègre des symboles de l’ancien régime», a répété mercredi le secrétaire général de la centrale, Abdessalem Jrad.
Le nouveau ministre tunisien du Développement rural s’est de son côté engagé mercredi à démissionner si des «élections libres et justes» n’étaient pas organisées dans les prochains mois. Dans une interview à la BBC, Ahmed Nejid Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste (PDP), s’est en outre prononcé en faveur de l’introduction d’un islam modéré dans la vie politique tunisienne.
A Washington, le porte-parole de la diplomatie américaine, Philip Crowley, a affirmé que le gouvernement tunisien doit organiser la transition vers la démocratie, ajoutant que les Etats-Unis comptent aider la Tunisie à atteindre cet objectif.
A Tunis, des unités antiémeute de la police ont étroitement encadré une manifestation de quelque 2000 personnes, dont des islamistes, dans le centre-ville, mais ne sont pas intervenues pour les disperser, selon des journalistes de l’AFP.
«Nous voulons un nouveau parlement, une nouvelle constitution et une nouvelle République», ont scandé les manifestants, qui s’en sont pris au Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti du président déchu Ben Ali. «RCD out», proclamait une banderole.
Des manifestations identiques ont rassemblé des milliers de personnes en province, notamment à Sidi Bouzid, Regueb, Kasserine et Thala. Ces localités, dans le centre du pays, ont été au cœur de la «Révolution du jasmin» qui, en un mois d’émeutes populaires, a balayé le régime autocratique de Ben Ali.
Ce soulèvement a fait, selon le gouvernement, 78 tués et 94 blessés. Mais la haut-commissaire aux Droits de l’homme des Nations unies, Navi Pillay, a donné mercredi un bilan d’au moins 100 morts.
Trois partis d’opposition non reconnus sous le régime du président déchu ont par ailleurs été légalisés durant les trois derniers jours: Tunisie verte (écologique), le Parti socialiste de gauche et le Parti du travail patriotique et démocratique tunisien.
Le journaliste et opposant tunisien emprisonné Fahem Boukadous, condamné le 6 juillet à 4 ans de prison ferme, a aussi été libéré mercredi.
Dans le même temps, l’Arabie saoudite, où l’ancien dictateur a trouvé refuge, lui a interdit toute activité politique liée à la situation en Tunisie qu’il a fuie le 14 janvier après 23 ans de règne sans partage.
La justice tunisienne a par ailleurs ouvert une enquête judiciaire contre Ben Ali et sa famille pour des transactions financières «illégales».
La Suisse, emboîtant le pas à la France, a décidé de bloquer les éventuels fonds en Suisse de l’ex-président et de sa famille, qui avaient mis la Tunisie en coupe réglée.
Un sommet de la Ligue arabe, qui s’est ouvert en Egypte, devait se pencher sur les suites de la révolte populaire en Tunisie mais le ministre tunisien des Affaires étrangères, Kamel Morjane, a quitté Charm el-Cheikh sans y prendre part.
En Algérie, en Egypte et en Mauritanie, des tentatives d’immolation par le feu se sont multipliées, suivant le précédent du suicide d’un jeune Tunisien le 17 décembre dans le centre du pays, qui avait marqué le début des émeutes.
AFP
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