(Le Vif 15/01/2011)
Dix ans après l'assassinat de Kabila père, 50 suspects, condamnés au terme d'un procès expéditif, croupissent toujours en prison. Mais qui sont les commanditaires du crime ? Un film belge soulève un coin du voile.
Le 16 janvier 2001, vers 13 h 30, Laurent-Désiré Kabila est abattu de trois balles dans son bureau présidentiel du palais de Marbre, situé sur les hauteurs de Kinshasa. L'assassin, un certain Rachidi, grand garçon au crâne rasé, est l'un de ses gardes rapprochés. Le chef de l'Etat est déjà cliniquement mort quand un hélicoptère l'évacue vers un hôpital. Entre-temps, les plus fidèles compagnons de route du « Mzee » se réunissent autour du colonel Eddy Kapend, aide de camp du président, qui se rend ensuite à la télévision nationale pour annoncer le bouclage des frontières et ordonner à la hiérarchie militaire de « maintenir les troupes au calme ».
Au pouvoir depuis quatre ans, le tombeur de Mobutu s'était fait beaucoup d'ennemis et se savait menacé. Sa mort ne sera reconnue officiellement par Kinshasa que le surlendemain du crime, afin de donner au régime le temps de se ressaisir. Joseph Kabila, jusque-là chef de l'armée de terre, est rappelé de Lubumbashi pour succéder à son père. Des Zimbabwéens assurent sa protection dès son arrivée à Kinshasa, tandis que des unités congolaises sont désarmées.
De toute évidence, le geste de Rachidi, un ex-kadogo (enfant soldat) venu du Kivu, n'est pas un acte isolé. L'assassinat est le fruit d'un complot encore recouvert, dix ans après les faits, de nombreuses zones d'ombre. Le lendemain de l'assassinat, le colonel Sandursky, attachée militaire à l'ambassade des Etats-Unis, quitte la RDC sans autres formalités. Plus tard, les enquêteurs congolais retrouveront sa carte de visite dans le sac de Rachidi. On apprendra aussi qu'elle a « bu des bières » avec les gardes du corps du chef de l'Etat. Ces kadogos n'avaient pas pardonné à Kabila l'élimination physique de leur véritable chef, le commandant Anselme Masasu, et étaient découragés par l'attitude du président, resté sourd à leurs demandes d'argent.
En 2002, quelque 115 prévenus accusés d'être impliqués dans la mort de « LDK » sont jugés devant la Cour d'ordre militaire, une juridiction d'exception. Trente d'entre eux sont condamnés à mort (peine non exécutée) et 26 à perpétuité. Aujourd'hui, 50 Congolais sont encore enfermés à la prison centrale de Makala, réputée pour ses terribles conditions de détention. Parmi ces prisonniers, des membres de l'entourage de l'ex-président, Nelly (sa secrétaire particulière), des agents des services de renseignement... Arrêté fin février 2001, le colonel katangais Kapend a fait figure, pendant le procès, de principal inculpé. C'est lui qui, d'une rafale de kalachnikovs, a achevé Rachidi, alors que l'assassin de Kabila avait déjà été neutralisé par un garde.
Persuadés, comme beaucoup, que Kapend et les autres détenus de Makala n'ont rien à voir avec l'assassinat, Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman, ex-correspondant de la BBC à Kinshasa, ont mené une enquête approfondie sur les commanditaires du crime. Leur film, diffusé le 19 janvier à 22 heures sur la Une, retrace les événements et remonte les pistes une à une. Avec, pour fil rouge, le témoignage, filmé clandestinement dans sa geôle, de l'un des condamnés à mort, Antoine Vumilia Muhindo, ex-agent de renseignement, qui s'est évadé récemment.
La filière chiite libanaise est notamment évoquée. Les kadogos désargentés de la présidence étaient en contact avec Elal Baki, alias Héritier, impliqué, d'après l'enquête congolaise, dans le transit de l'argent du complot. « Onze Libanais, membres de la famille d'Héritier, ont été exécutés dès le lendemain de l'assassinat, et cela sur ordre de Joseph Kabila, assure Zajtman. Héritier, lui, a réussi à fuir Kinshasa pour rejoindre, dans l'est du pays, ses amis rebelles du RDC-Goma, soutenus par le Rwanda. »
De nombreuses voix, dont celle de Mgr Monsengwo, ont réclamé la libération des détenus de Makala. En vain. Dix ans après l'assassinat de son père, le président Joseph Kabila ne semble toujours pas disposé à permettre la réouverture du dossier. L'impact du film le conduira-t-il à changer d'avis ?
Meurtre à Kinshasa. Qui a tué Laurent-Désiré Kabila ? est diffusé sur la Une le 19 janvier.
OLIVIER ROGEAU
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