(Le Potentiel 03/11/2010)
La RDC a rendez-vous en ce mois de novembre avec ses créanciers membres du Club de Paris. Prévue en octobre dernier, la rencontre a été décalée sur demande du gouvernement. Le temps pour lui de préparer les éléments de défense aux questions soulevées par le Club de Paris. Au nombre de celles-ci figurent en bonne place les contrats chinois dont la signature par Kinshasa ne cesse de provoquer des grincements de dents de l’autre côté de la mer Méditerranée.
Une fois de plus, les contrats chinois sont remis en selles. Le Club de Paris, plus particulièrement le bloc formé par les pays de l’Union européenne, exigerait une seconde lecture des termes révisés de ces contrats. Le but ultime est de contrecarrer la percée de la Chine, toujours vue d’un mauvais œil dans le camp occidental.
Le fond du problème, c’est que l’Occident n’est pas prêt à oublier l’affront lui infligé par la République démocratique du Congo en se tournant, pour le financement de son plan de reconstruction, vers la Chine. Le partenariat conclu en 2007 entre l’Etat congolais et un consortium d’entreprises chinoises restera à jamais collé à la peau du gouvernement.
A y regarder de plus près, ce partenariat se révèle une écharde qui s’invitera à temps et à contre-temps chaque fois que la RDC sera en négociation avec ses partenaires traditionnels au développement.
Révisés une première fois pour les faire correspondre, de l’avis du Fonds monétaire international, aux impératifs de l’accord formel conclu le 11 décembre 2009 entre lui et Kinshasa, les contrats chinois ne cessent de triturer les méninges des Occidentaux. Ils sont vus d’un mauvais œil et le péché de Kinshasa est d’avoir sifflé la fin de l’hégémonie de ses partenaires traditionnels en accordant des marchés juteux aux Chinois.
Au nom de la préservation de l’avantage acquis, l’Occident ne s’avoue pas vaincu. Aussi tente-t-il, par divers moyens, de récupérer de l’espace vital dans le vaste plan de reconstruction de la RDC.
UNE SECONDE LECTURE
Avant décembre 2009, le FMI et la Banque mondiale- bras financiers des Institutions de Bretton Woods - ont été mis à contribution pour faire plier le gouvernement congolais. Le premier réajustement des contrats chinois aura été le prix payé par la RDC pour obtenir à l’arrachée un nouvel accord avec le FMI (PEG 2). Le bout du tunnel sera atteint le 1er juillet avec la décision conjointe des Conseils d’administration du FMI et de la Banque mondiale admettant la RDC au point d’achèvement de l’initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE).
Le gouvernement avait jubilé, fier de pouvoir enfin se débarrasser des 12,3 milliards USD d’une dette qualifiée d’« odieuse » dans certains milieux. Tout le monde avait salué la décision.
L’annulation de 90% de la dette de la RDC devait l’aider à réaffecter les économies réalisées du fait de non-remboursement aux investissements dans les secteurs sociaux tels que la santé, l’éducation et les infrastructures.
En octobre 2010, il était prévu que le gouvernement prenne contact avec ses créanciers du Club de Paris pour convenir de la procédure d’annulation des créances dues à ce Club. Sur demande de Kinshasa, la rencontre a été reportée pour ce mois de novembre. Dans les rangs du gouvernement, l’on a motivé le report par la nécessité de réunir les éléments de réponse à certaines questions posées par le Club.
Dans ces « milieux », l’on indique que le Club de Paris est revenu sur les termes révisés des contrats chinois. En effet, nombre de créanciers estiment que la RDC a péché en plusieurs points, malgré le réajustement consenti par elle de ces contrats en 2009. Cette volte-face du Club de Paris trouverait sa justification dans une clause reprise dans le procès-verbal ayant sanctionné leur rencontre du 25 février 2010.
Suivant les conclusions adoptées par les deux parties, le procès-verbal rappelait : « En conséquence, le Gouvernement de la République démocratique du Congo s’engage à n’accorder à aucune des catégories de créanciers – et en particulier les pays créanciers ne participant pas au procès-verbal agréé du 25 février 2010, les banques commerciales, les fournisseurs, les porteurs d’obligations et les créanciers procéduriers- un traitement plus favorable que celui accordé aux pays créanciers participants ». Des pays créanciers participants à ces discussions étaient alors : Allemagne, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Danemark, Espagne, Etats-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, FRANCE, Italie, Japon, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède.
L’on note tout de suite l’absence de la Chine dans ce forum restreint. Raison pour laquelle, de l’avis des créanciers du Club de Paris, les termes des contrats chinois – quoique révisés – sont en déphasage avec l’engagement du 25 février 2010, lequel lie Kinshasa.
L’ « AIDE LIEE » QUI DIVISE
Le Club de Paris estime que les contrats chinois dans leur forme révisée ne donnent aucune garantie évidente de soutenabilité. Mais, le plus grave, pense-t-il, c’est sa nature. Pour l’Occident, les contrats chinois ont été libellés sous forme d’une « aide liée », verrouillés de tous bords, ne donnant accès qu’aux seules entreprises chinoises. Que resterait-il alors à l’Occident, plus précisément à l’Union européenne ? Celle-ci ne se montre pas dupe. Elle sait qu’entre la Chine et les Etats-Unis, il y a un mariage d’intérêts qui risque de la fragiliser au point de ne pas trouver son compte dans ce qui se fait en RDC.
Avec sa constellation des membres, l’Union européenne se sent réduite au rôle de spectatrice d’un deal qui se forme à ses dépens entre les Etats-Unis et la Chine. Le schéma est classique. Il obéit à une logique d’intérêt où chacun joue au mieux de ses intérêts.
Il paraît désormais clair que la volte-face du Club de Paris est dictée par l’Union européenne. Celle-ci n’est pas prête à accepter sa mise à l’écart dans l’exécution des contrats chinois. Il s’ensuit que l’avenir des contrats chinois se négocie présentement sur l’axe Pékin-Bruxelles- Washington.
Si les Etats-Unis, qui ne cachent plus leur lien avec la Chine, ont trouvé d’une certaine manière leur compte en RDC – allusion faite à la finalisation de la convention Tenke Fungurume Mining – les Européens se sentent perdants sur toute la ligne. La tactique consiste donc à contraindre la RDC à intégrer l’Union européenne dans le partenariat conclu avec la Chine.
La soutenabilité de la dette évoquée autrefois pour motiver le réajustement des contrats chinois n’a été qu’un raccourci emprunté pour tempérer la gloutonnerie de la Chine en RDC.
Désargentée, l’Union européenne est consciente de son incapacité à faire comme la Chine, c’est-à-dire décaisser des milliards de dollars américains pour soutenir le plan de reconstruction. Mais, par « devoir moral », elle réclame, en contrepartie, son implication dans le jeu.
LE CHANTAGE
Après s’être servi des institutions de Bretton Woods, l’Union européenne a opté pour le Club de Paris pour faire plier la RDC. Ce qui justifie les nouvelles pressions exercées sur Kinshasa pour une seconde lecture ; un nouveau réajustement qui devait à terme l’inclure dans le deal.
La RDC cédera-t-elle à cette pression ? Est-ce qu’à Kinshasa, l’on mesure la portée réelle de la bataille qui se joue autour des richesses de la RDC ? Difficile à dire. Toutefois, Kinshasa ne devrait ni minimiser cette bataille ni se mettre à l’écart. Le gouvernement devrait au contraire prendre les devants et donner l’impulsion. Cela en faisant valoir sa position pour faire pencher la balance en sa faveur. Les Etats-Unis et la Chine ont déjà choisi leur voie. Les deux ont formé, au sortir de la crise financière de 2008, un duopole pour dicter la nouvelle cadence de l’économie mondiale. C’est l’époque de la « Chinamérique ».
Le 27 juillet dernier, ouvrant à Washington un sommet sino-américain, le président Obama a affirmé que les relations bilatérales entre les Etats-Unis et la Chine allaient « façonner le 21ème siècle ». Et en écho, quelques semaines plus tard, le vice-Premier ministre chinois précisait que les Etats-Unis et la Chine ne pouvaient à eux seuls résoudre les problèmes du monde, mais que, en revanche, sans eux, « rien ne pouvait se régler ». Ne serait-ce pas là une façon de réduire ou d’ignorer l’impact des Européens dans cette nouvelle configuration qui se dessine ?
La question est préoccupante. Ayant compris les nouveaux enjeux, l’Union européenne prend la mesure du rôle que joue la RDC. Dès lors, elle ne peut pas accepter de la livrer clés en mains à la Chine. La démarche européenne en RDC pourrait être en chorus avec la Chine et les Etats-Unis mais il n’est pas exclu que Pékin joue à la fois le jeu de la solidarité et de la rivalité.
La leçon est-elle comprise du côté de Kinshasa ? Apparemment, non. Car, les élites congolaises ne veulent pas s’élever et se doter d’une vision pour leur pays. Elles en sont encore à cultiver les intérêts individuels là où ailleurs, l’on ne lésine pas sur les moyens pour préserver les intérêts des populations.
En RDC, la Chine ne donne pas de leçons de morale mais diffuse l’image d’un ancien pays colonisé qui s’est redressé à force de travail. La chine sait que le bras de fer est inévitable. Mais, elle s’est en même temps dotée des moyens – immenses – pour résister. En RDC, l’on doit faire avec des dirigeants presqu’inconscients des enjeux dans lesquels se trouve impliqué leur pays.
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