(Le Pays 07/05/2010)
Le président nigérian a tiré sa révérence. Umaru Yar’Adua est décédé mercredi, à l’âge de 58 ans, des suites d’une longue maladie, précise le porte-parole de la présidence. Il scelle par le fait même une parenthèse qui se referme dans la douleur, certes, mais qui rend possible un nouveau départ du géant d’Afrique.
Car, cela faisait belle lurette que, malade et n’ayant pas pu transmettre formellement le pouvoir au vice-président, Goodluck Jonathan, une crise politique d’importance s’était déclenchée au Nigeria. C’est seulement le 9 février dernier que l’Assemblée nationale désigna officiellement son actuel successeur président par intérim. Les députés avaient pour leur part, choisi d’attendre et de laisser la possibilité à Umaru Yar’Adua de revenir au pouvoir si son état de santé s’améliorait. Même de retour au Nigeria après avoir passé un long séjour en Arabie saoudite où il se faisait soigner, le président nigérian n’était jamais apparu en public. Ce qui d’ailleurs fit enfler la polémique à propos de son état réel de santé, en dépit des déclarations optimistes émanant du cercle du pouvoir.
La maladie aura finalement eu raison de l’homme. Il s’en va et laisse désormais le Nigéria aux mains de celui qui fut son intérimaire, Goodluck Jonathan. Ce dernier d’ailleurs n’aura pas traîné les pieds pour s’emparer du relais de la présidence. Peut-être aussi comme pour dire que la disparition de son prédécesseur vient mettre fin à toutes les supputations, à toutes les inhibitions. Un temps, on s’est demandé qui faisait quoi au Nigeria en matière de présidence. A présent, tout devrait être clair, limpide. Le roi est mort, vive le roi ! Un président s’en est allé, un autre s’en vient. Umaru Yar’Adua disparu à 58 ans ramène, peut-être à son corps défendant, la grande question fréquemment évoquée au sujet de la santé des chefs d’Etat. L’homme, même avant son élection en 2007, était connu pour avoir une santé fragile. En aura-t-on volontairement fait fi ? Et pourquoi ? Ou la volonté d’Obasanjo de faire passer un « protégé » aura-t-elle convaincu au point de finir par s’imposer ?
Toujours est-il que l’homme aujourd’hui n’est plus. On retiendra de son passage à la tête de l’Etat nigérian, qu’il aura été bref : à peine deux années de pouvoir, émaillé de problèmes de santé. Mais on devra retenir de l’homme, qu’en dépit de son accession contestée à la magistrature suprême, et de son passage presque éclair à la tête de l’exécutif de l’Etat nigérian, il fut d’une probité qui força l’admiration de tous au point de faire du personnage une légende dans un pays qui s’est forgé une solide réputation en matière de corruption. Ce ne fut pas là, sa seule qualité. Il se révéla un négociateur d’importance lorsqu’il engagea le processus de réconciliation avec les irrédentistes séparatistes du MEND. Il n’aura pas eu l’occasion de parfaire les négociations, mais à tout le moins, il aura eu le mérite d’initier quelque chose d’extrêmement important. Mais, surtout, il força l’admiration de toute la communauté africaine, lorsque, en tant que président en exercice de la CEDEAO, il tint un langage de vérité à un Mamadou Tandja au moment où il s’apprêtait à s’essayer au jeu dangereux des apprentis-sorciers qui tordent allègrement le cou à la Constitution de leur pays.
Un roi s’en est allé, un autre s’en vient. Goodluck hérite d’un lourd héritage, le fait est incontestable. S’il est vrai qu’il a, à présent, les coudées franches et qu’il peut désormais gouverner sans se sentir le handicap que lui conférait le statut bien inhibiteur de président par intérim, il se trouve que par la force des choses, il doit s’attaquer aux nombreux problèmes d’un Nigeria géant, difficultés pour lesquelles il n’était pas forcément préparé. On y trouvera pêle-mêle la question de sa propre personne : lui est du Sud chrétien alors que le Yar’Adua qu’il remplace était du Nord musulman. Au Nigeria, la question du quota dans le milieu politique est à plus d’un titre, sacrée. Le pays, classé l’un des plus corrompus d’Afrique, mérite un assainissement d’envergure. Son prédécesseur l’avait bien commencé. Il lui revient de le poursuivre. Ce ne sera pas une sinécure. Le MEND à ce jour est bel et bien présent. Peut-être mettra-t-il à profit l’accession au pouvoir du nouveau chef d’Etat pour essayer de placer un bon point, histoire de marquer son territoire. Les négociations menées avec le défunt Yar’Adua, pour avancées qu’elles étaient, méritent tout de même d’être parfaites, si tant est que l’on veuille instaurer de façon saine et durable un climat de confiance, de paix et de sérénité dans la région du delta du Niger.
Enfin, les tensions ethnico religieuses qui secouent le pays sont plus que récurrentes et sont à l’origine de victimes qui se dénombrent par milliers. Au regard de tous les défis qui attendent Jonathan, on se demande quelle sera la nature de la botte secrète dont il devra disposer. Mais déjà on trouve des raisons de se montrer optimiste. Ce n’est pas que le géant d’Afrique soit dépourvu de difficultés d’importance. Mais, en toute honnêtété, on se doit de reconnaître que le Nigeria a pris du galon, en matière de démocratie. Ce pays fut, dans un passé pas très lointain, un laboratoire de coups d’Etat. Les putschs s’y dénombraient à la pelle. Le flottement politique qu’il vient d’expérimenter, eût-il eu lieu en ces moments, que l’on aurait compté une incursion supplémentaire des hommes en treillis dans la vie politique d’un pays africain. Le simple fait qu’il n’en est pas été ainsi montre à souhait que le Nigeria s’est mis à la bonne école du respect des institutions et partant, à celle de la bonne gouvernance et de la saine démocratie. Et il appartient au désormais maître du palais d’Abuja de faire fructifier les acquis pour permettre de faire éclore les potentialités qui méritent de l’être. Mister President, you’re welcome. Good luck ! (1)
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