lundi 9 mai 2011

Libye : Le rapport du Procureur de la CPI

(Alterinfo 09/05/2011)

Voici le premier rapport du procureur de la Cour Pénale Internationale sur la Libye, du 4 mai 2011. Le texte est repris in extenso. A chacun de lire et de se faire une opinion.
Deux remarques seulement.
D’abord, le procureur n’est pas la Cour, et un rapport n’est pas un jugement. Pour le moment, la CPI n’est pas engagée car les juges ne sont pas prononcés. Nous verrons comment les juges apprécieront les faits, et nous n’avons pas à ce jour les arguments de la défense. Sous ces réserves, chacun peut, avec ce document, comprendre ce qu’a été la démarche du bureau du Procureur, et ses méthodes de travail.
Ensuite, ce rapport, qu’elles qu’en soient les qualités ou les défaits intrinsèques, est un expression flagrante du double standard, qui fait tant de mal au droit international. Résumons : la Libye n’a pas ratifié le traité de la CPI ; il s’agit d’un conflit armé interne, et pas international ; les opérations militaires sont en cours, et les plus importantes vérifications à faire, celles qui doivent être conduites sur le terrain, n’ont pu l’être. Et le procureur fonce, demandant la Chambre préliminaire de délivrer des mandats d’arrêts. Certes, dansle cas de la Libye, le procureur est saisi par le Conseil de Sécurité, et il est tenu de répondre. Mais la justice doit s'apprécier à travers ses propres critères, l'indépendance et l'impartialité, et rapportée à d’autres affaires, cette rapide avancée du dossier libyen conduit à poser des questions sérieuses. La justice doit être la même pour tous.
* * *
PREMIER RAPPORT DU PROCUREUR DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE AU CONSEIL DE SÉCURITÉ DE L’ONU EN APPLICATION DE LA RÉSOLUTION 1970 (2011)
INTRODUCTION
Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité la résolution 1970, par laquelle il a déféré au Procureur de la Cour pénale internationale la situation en Libye depuis le 15 février 2011.
Au paragraphe 7 de la résolution, le Conseil de sécurité invite le Procureur à l’informer, dans les deux mois suivant la date de son adoption, puis tous les six mois, de la suite donnée à celle‐ci. Le Procureur présente, sous forme de résumé, les mesures que le Bureau a prises conformément à la résolution 1970, à savoir :
- L’examen préliminaire mené par le Bureau du Procureur afin d’évaluer si la Cour pénale internationale est compétente dans le cadre de cette situation ;
- L’enquête conduite jusqu’à présent ; et
- Les actions que le Bureau envisage de mener sur le plan judiciaire.
1 – EXAMEN PRÉLIMINAIRE
Conformément au Statut de Rome, le Procureur de la Cour pénale internationale est chargé de déterminer s’il y a lieu d’ouvrir une enquête dans une situation, sous réserve, si besoin est, d’un examen judiciaire.
Dans cette optique, le Bureau mène un examen préliminaire destiné à évaluer toute information pertinente et analyser la gravité de la situation afin de déterminer s’il convient d’ouvrir une enquête. Si le Bureau est convaincu que tous les critères fixés dans le Statut de Rome sont remplis, il est tenu d’enquêter sur la situation en question.
Les alinéas a) à c) de l’article 53‐1 du Statut définissent le cadre juridique de cette évaluation. Le Procureur doit examiner la question de la compétence (rationae temporis, rationae materiae et rationae loci ou rationae personae), de la recevabilité (critères de complémentarité et de gravité) et des intérêts de la justice. Au vu du Statut, le Procureur ne décide d’ouvrir une enquête dans une situation donnée que s’il estime qu’il y a une « base raisonnable » justifiant de le faire.
L’évaluation de la compétence consiste à déterminer si un crime relevant de la compétence de la Cour a été ou est en voie d’être commis. Dans cette optique, il convient dʹanalyser i) la compétence ratione temporis (à compter de la date dʹentrée en vigueur du Statut, à savoir le 1er juillet 2002, la date dʹentrée en vigueur pour un État qui y a adhéré ultérieurement, la date spécifiée dans un renvoi par le Conseil de sécurité ou dans une déclaration déposée au titre de lʹarticle 12‐3) ; ii) la compétence ratione materiae telle que définie à lʹarticle 5 du Statut (génocide, crimes contre lʹhumanité, crimes de guerre et crime dʹagression) ; et iii) la compétence ratione loci ou ratione personae, qui suppose quʹun crime a été commis sur le territoire ou par le ressortissant dʹun État partie ou dʹun État non partie qui a déposé une déclaration par laquelle il accepte la compétence de la Cour, ou a été commis dans une situation déférée par le Conseil de sécurité.
La recevabilité se rapporte aux critères de complémentarité et de gravité.
Pour ce qui est de la complémentarité, il convient d’examiner si des procédures nationales pertinentes ont été engagées dans le cadre des affaires susceptibles de faire l’objet d’une enquête du Bureau et ce, sans perdre de vue que ce dernier concentre son action sur les personnes qui portent la responsabilité la plus lourde pour les crimes les plus graves. Lorsque des enquêtes ou des poursuites sont menées à l’échelle nationale, le Bureau évalue leur authenticité.
Le critère de gravité exige d’évaluer l’échelle, la nature, le mode opératoire et les répercussions des crimes en cause.
Le critère des « intérêts de la justice » constitue un élément de pondération. Le Bureau examine s’il y a des raisons sérieuses de penser, compte tenu de la gravité du crime et des intérêts des victimes, qu’une enquête ne servirait pas les intérêts de la justice. Il ressort de l’article 53‐1‐c qu’il est en principe dans l’intérêt de la justice de mener une enquête et d’engager des poursuites. L’action du Procureur est guidée par l’objectif et la finalité du Statut, à savoir empêcher que des crimes graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale soient commis en mettant un terme à l’impunité. Le Bureau s’efforcera de nouer une collaboration fructueuse avec les différents intervenants et de respecter leur mission tout en exerçant son mandat en toute indépendance.
Le 28 février 2011, le Bureau du Procureur a commencé un examen préliminaire des crimes qui auraient été commis en Libye par différents protagonistes depuis le 15 février 2011.
Le Bureau a recueilli des informations sur les crimes allégués auprès de différentes sources. Une base de données y afférente a été créée pour stocker, rassembler et analyser ces informations. Le Bureau a répertorié et examiné d’un oeil critique les données émanant de sources multiples.
1.1. Compétence
Au vu des informations recueillies, le Bureau a des raisons de penser que des crimes contre l’humanité ont été commis en Libye et continuent de l’être. Il s’agit notamment du crime de meurtre, prévu à l’article 7‐1‐a du Statut, d’emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique, prévu par l’article 7‐1‐e, d’autres actes inhumains, prévus par l’article 7‐1‐k, de torture, prévue par l’article 7‐1‐f, et de persécution, prévue par l’article 7‐1‐h du Statut.
Le Bureau dispose également d’informations dignes d’intérêt quant à la commission alléguée de crimes de viol, prévu par l’article 7‐1‐g du Statut, de déportation ou transfert forcé, prévu par l’article 7‐1‐d, et de crimes de guerre, lorsque la situation a dégénéré en conflit armé, notamment des atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, reconnues par l’article 8‐2‐c‐i, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités, reconnu par l’article 8‐2‐e‐i, le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades et des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires, ainsi qu’il est prévu à l’article 8‐2‐e‐iv du Statut.
1.2. Recevabilité
D’après les dispositions du Statut de Rome, l’action de la CPI et celle des juridictions pénales des États sont complémentaires. Le 22 février, Sayf al Islam Kadhafi, fils de Mouammar al Kadhafi, a proposé qu’une commission nationale enquête sur les manifestations et l’agitation populaire en question. Mouammar al Kadhafi a déclaré les 2 et 6 mars que l’ONU devrait envoyer une commission pour enquêter sur la situation.
Cela étant, compte tenu des informations qu’il a recueillies, le Bureau du Procureur conclut que les autorités nationales n’ont mené aucune véritable enquête ni poursuite concernant des personnes et des comportements qu’il place au cœur de son enquête.
1.3 Gravité
Le Statut de Rome limite la compétence de la Cour aux crimes les plus graves qui touchent lʹensemble de la communauté internationale et impose au Bureau du Procureur de tenir compte de la gravité du crime au moment de décider de lʹouverture dʹune enquête.
En saisissant la CPI de la situation en Libye, le Conseil de sécurité a mis en évidence la gravité de cette situation. Si l’on tient compte de tous les critères pertinents, la condition de gravité posée par le Statut de Rome est manifestement remplie.
Quant à la manière dont les crimes ont été commis et à la nature de ces derniers, les forces de sécurité ont systématiquement tiré sur des manifestants pacifiques, selon le même mode opératoire en de multiples lieux. De même, les actes de persécution ont semble‐t‐il été systématiques et commis dans différentes villes. Les crimes de guerre s’inscrivent apparemment dans le cadre d’une politique délibérée.
Pour ce qui est de l’étendue des crimes perpétrés, il nous a été difficile de connaître le nombre précis de victimes concernées compte tenu des efforts déployés pour maquiller ces crimes. Des cadavres ont été retirés des rues et des hôpitaux. Les médecins n’étaient pas autorisés à enregistrer les admissions à l’hôpital des personnes tuées ou blessées dans le cadre des violents affrontements. Les forces de sécurité auraient investi les hôpitaux pour y arrêter les manifestants blessés qui réclamaient des soins. Selon certaines informations, certains manifestants ont été se faire soigner chez des particuliers et évité d’amener des blessés ou des cadavres dans les hôpitaux. Des victimes de viol auraient été arrêtées et harcelées.
Il nous est impossible pour le moment de donner des chiffres précis mais, selon certaines sources fiables, entre 500 et 700 personnes auraient été tuées par balle rien qu’en février. Le 15 mars, Mouammar al Kadhafi estimait le nombre de morts à « seulement 150 ou 200 […] et [précisait] que la moitié d’entre eux faisaient partie des forces de sécurité ». Le nombre total de personnes tuées depuis le début du conflit s’élève à plusieurs milliers, jusqu’à 10 000 morts selon le Conseil national de transition libyen (CNT). Des milliers de gens ont été blessés : plus de 50 000 d’après le CNT.
Selon les estimations de l’ONU, il y aurait parmi les populations déplacées environ 535 000 travailleurs immigrés, réfugiés et demandeurs d’asile, et 327 342 Libyens déplacés sur leur territoire. D’après d’autres organisations, le nombre total de personnes déplacées s’élèverait à 475 000.
1.4. Intérêts de la justice
Comme le prévoit le Statut, le Procureur a estimé au moment de décider de l’ouverture de lʹenquête quʹil nʹy avait pas de raison sérieuse de penser que celle‐ci ne servirait pas les intérêts de la justice.
1.5. Décision d’ouvrir une enquête
Après avoir procédé à un examen minutieux des éléments énumérés aux paragraphes 1.1 à 1.4 plus haut et sur la base des informations évaluées et analysées, le Procureur a conclu le 3 mars 2011 que les critères définis par le Statut pour procéder à lʹouverture dʹune enquête dans la situation en Libye depuis le 15 février 2011 étaient remplis.
Le même jour, le Procureur en a informé le Président de la Cour, le Secrétaire général de lʹOrganisation des Nations Unies et, par lʹintermédiaire de ce dernier, les membres du Conseil de sécurité, et a publié un communiqué annonçant lʹouverture de son enquête et rappelant que le Bureau agirait en toute impartialité.
Le 4 mars 2011, la Présidence de la CPI a rendu une décision renvoyant la situation en Libye devant la Chambre préliminaire I.
2 - ENQUÊTE
2 2. 1. Personnes portant la responsabilité la plus lourde
Conformément aux dispositions du Statut, le Bureau a élaboré une politique dʹenquête visant les personnes portant la plus lourde responsabilité pour les crimes les plus graves, en se fondant sur les éléments de preuve recueillis. En conséquence, le Bureau poursuivra avant tout les principaux responsables des crimes allégués, notamment ceux qui les auraient ordonnés, financés ou qui en auraient organisé la commission. Le fait que le Bureau du Procureur ne s’intéresse pas à une personne en particulier ne signifie nullement qu’une quelconque impunité ait été accordée. Conformément au principe de complémentarité positive, il est favorable à la tenue dʹenquêtes nationales menées sur des crimes présumés qui ne répondent pas aux critères de la Cour en matière de poursuites.
Le choix de procéder à des enquêtes ciblées signifie également que les affaires examinées dans le cadre dʹune situation sont sélectionnées en fonction de leur gravité, en tenant compte de plusieurs facteurs comme lʹampleur des crimes allégués, leur nature, leur mode opératoire et leur impact. Un nombre restreint d’événements sont sélectionnés, de sorte que le Bureau est à même de conclure rapidement ses enquêtes, de limiter le nombre de personnes qui courent des risques en raison de leurs liens avec lui et de proposer des procès rapides, tout en cherchant à couvrir tout le spectre des atteintes subies par les victimes. Bien que le Bureau n’ait pas pour mandat de dresser un état des lieux historique approfondi d’un conflit en particulier, les événements sont choisis de manière à offrir un échantillon représentatif des faits les plus graves et des principaux types de persécutions.
2.2. Coopération
Au paragraphe 5 de la résolution 1970, le Conseil de sécurité « demande instamment à tous les États et à toutes les organisations régionales et internationales concernées de coopérer pleinement avec la Cour et le Procureur ». Les obligations des États parties au Statut de Rome sont définies au chapitre IX de ce dernier.
Le Bureau du Procureur a reçu jusquʹà présent un appui exceptionnel de la part des États, parties ou non. Il a adressé sept demandes de coopération à trois d’entre eux et quatre organisations, qui y ont tous répondu favorablement. En outre, deux demandes ont été adressées par INTERPOL à tous ses pays membres au nom du Bureau.
Le Bureau reste en contact avec la commission d’enquête internationale constituée par le Conseil des droits de lʹhomme de lʹONU au sujet de la situation en Libye.
2.3. Collecte des éléments de preuve
Entre le 3 mars, date de lʹouverture de lʹenquête, et le 26 avril, le Bureau a mené 15 missions dans dix États et recueilli :
- Presque 45 dépositions ou entretiens préliminaires de témoins potentiels ;
- Plus de 569 documents, dont des rapports et les éléments sur lesquels ils reposent, des documents visuels, tels que des vidéos et des photos, obtenus indépendamment par le Bureau ou auprès de diverses sources ;
- Des informations de source publique.
2.4. Crimes allégués
Les éléments de preuve recueillis mettent en évidence deux choses :
- Des attaques de civils non armés constitutives de crimes contre lʹhumanité qui auraient été menées par les forces de sécurité.
- Lʹexistence dʹun conflit armé au cours duquel des crimes de guerre ainsi que dʹautres crimes contre lʹhumanité auraient été commis par différentes parties.
Les 15 et 16 février, les forces de sécurité ont dispersé des civils qui manifestaient à Benghazi et ont arrêté Fatih Terbil et Farag Sharany, qui demandaient que justice soit faite pour les victimes du massacre survenu à la prison Abu Salim en 1996. Le 17 février 2011, des milliers de manifestants se sont rassemblés sur la place jouxtant la Haute Cour de justice de Benghazi, afin de protester contre les arrestations et de réclamer la liberté politique et économique.
Les forces de sécurité ont pénétré sur la place et auraient ouvert le feu sur la foule, tuant de nombreux manifestants. Cet événement a marqué le début dʹune série de faits analogues qui se sont reproduits dans plusieurs villes à travers la Libye et semblent attester dʹune ligne de conduite délibérée des forces de sécurité consistant à ouvrir le feu sur la population civile.
En outre, des civils auraient fait lʹobjet de diverses formes de persécution à Tripoli, entre autres, en raison de leur participation présumée au soulèvement populaire. Des arrestations, tortures, meurtres, déportations, disparitions forcées et la destruction de mosquées se seraient produits de manière systématique à Tripoli, Al Zawiyah, Zintan et dans la région montagneuse du Nefoussa. Les victimes seraient des civils qui ont pris part à des manifestations ou livré leur témoignage à des médias internationaux, des militants ou des journalistes étrangers, et des citoyens égyptiens et tunisiens qui ont fait lʹobjet dʹarrestations et dʹexpulsions en masse en raison de leurs liens présumés avec le soulèvement populaire.
Selon différentes sources, des femmes auraient été violées lors de ces persécutions. Dans un cas qui a fait couler beaucoup dʹencre, une femme a expliqué aux médias internationaux qu’elle avait été violée par des membres des forces de sécurité en raison de ses liens présumés avec les rebelles. Le Bureau enquête actuellement à propos de ces allégations et cherche à déterminer si elles doivent faire lʹobjet de chefs dʹaccusation spécifiques.
Plusieurs sources ont également fait état de lʹarrestation illégale, du mauvais traitement et du meurtre de personnes originaires dʹAfrique subsaharienne soupçonnées dʹêtre des mercenaires. Des groupes de manifestants en colère auraient attaqué ces personnes à Benghazi et dans dʹautres villes et en auraient tué des dizaines. Celles‐ci auraient été assimilées à des mercenaires recrutés pour étouffer la révolte. Un certain nombre d’entre elles auraient été arrêtées par les nouvelles autorités de Benghazi mais il reste à déterminer sʹil sʹagit dʹinnocents travailleurs immigrés ou de prisonniers de guerre.
epuis la fin du mois de février, la Libye est le théâtre d’un conflit armé. Des crimes de guerre auraient été commis dans ce contexte, notamment au moyen d’armes imprécises comme des munitions à fragmentation, des lance‐roquettes multiples et des mortiers, et d’autres types d’armes lourdes dans des zones urbaines densément peuplées. Il a également été signalé que des forces bloquaient l’acheminement de l’aide humanitaire.
D’après certaines sources, des civils auraient été utilisés comme boucliers humains et des civils et des prisonniers de guerre auraient été torturés dans le cadre du conflit armé.
Le 20 avril 2011, la Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Mme Navi Pillay, a condamné l’utilisation répétée d’armes à fragmentation et d’armes lourdes par les forces du Gouvernement libyen dans leur tentative de reprendre le contrôle de la ville de Misurata, et ajouté que les attaques délibérées contre des installations médicales constituaient un crime de guerre et que le fait de prendre délibérément pour cible des civils ou de leur faire courir des risques inconsidérés pouvait également constituer de graves violations du droit international humanitaire. Mme Pillay a également exprimé sa vive préoccupation quant au traitement réservé aux journalistes par les autorités libyennes. Au moins deux journalistes ont été tués et environ 16 autres sont portés disparus. Des dizaines d’autres auraient été arrêtés, agressés, maltraités physiquement ou expulsés.
Le 9 mars, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU pour les enfants et les conflits armés, Mme Radhika Coomaraswamy, a fait savoir qu’elle avait reçu de nombreuses sources des informations non confirmées faisant état du meurtre d’enfants, de mutilations commises à leur encontre, de l’utilisation d’enfants dans les rangs des combattants et de l’entrave à l’acheminement de l’aide humanitaire. Elle a rappelé à tous les belligérants qu’ils étaient tenus, en vertu du droit international, d’assurer la protection des enfants lors d’affrontements armés.
Le 14 avril, la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, Mme Margot Wallström, a indiqué au Conseil de sécurité que les dispositions destinées à protéger la population civile, comme dans le cadre de ses résolutions relatives à la Libye, devaient automatiquement et systématiquement prévoir des mesures visant à lutter contre les violences sexuelles car, dans le cas contraire, les interventions sur les lignes de front pourraient reléguer au second plan la question de la sécurité des femmes.
2.5. Protection des victimes et des témoins
Les autorités territoriales concernées et, si besoin est, le Conseil de sécurité sont responsables de la sécurité générale de la population civile.
L’article 68‐1 du Statut de Rome établit la responsabilité qui incombe au Bureau en matière de protection et l’étend à toute personne en danger du fait de ses liens avec celui‐ci. Sont concernés les témoins, les personnes faisant l’objet d’une présélection et leurs parents proches, les intermédiaires, les informateurs et les membres du Bureau.
Les actions menées en matière de protection ne sont pas isolées. Elles s’exercent dans le cadre de l’ensemble des activités du Bureau. Ce dernier cherche autant que possible à s’appuyer sur le plus petit nombre de témoins pour étayer son dossier en menant des enquêtes ciblées et en privilégiant le recours aux preuves documentaires et matérielles. Lorsque le Bureau s’appuie sur des témoignages, il choisit des témoins qui vivent en lieu sûr.
En outre, le Bureau ne cherche ni à obtenir des éléments de preuve auprès d’organisations humanitaires, ni à faire témoigner ceux qui y travaillent, afin de ne pas leur faire courir de risques sur le terrain et de ne pas divulguer d’informations confidentielles sur les victimes.
Dans le cadre de la situation en Libye, le Bureau n’a interrogé aucun témoin susceptible d’être exposé à un risque dans ce pays et n’a pas eu recours aux services de l’Unité d’aide aux victimes et aux témoins de la Cour pénale internationale.
3 – PROCÉDURES JUDICIAIRES À VENIR
Dans les prochaines semaines, le Bureau du Procureur priera la Chambre préliminaire I de délivrer un mandat d’arrêt à l’encontre des personnes qui portent la responsabilité la plus lourde pour les crimes contre l’humanité commis sur le territoire de la Libye depuis le 15 février 2011.
La Chambre préliminaire peut décider de faire droit à cette demande, de la rejeter ou de demander un complément d’information au Bureau du Procureur.
Si besoin est, d’autres procédures seront engagées compte tenu de l’ensemble des crimes qui auraient été perpétrés par différentes personnes dans le cadre de la situation en Libye.
Le Bureau agira en toute impartialité, dans le respect des droits de toutes les parties en cause, et informera au préalable le Conseil de sécurité.
4 – CONCLUSION
Si les juges décident de délivrer des mandats d’arrêt, leur exécution incombera tout d’abord aux autorités territoriales concernées.
Le Bureau du Procureur a demandé aux autorités libyennes de se tenir prêtes à exécuter tout mandat d’arrêt que pourrait délivrer la Cour pénale internationale.
Le Bureau est dans l’attente d’une réponse des représentants du régime de Mouammar al Kadhafi.
Dans une lettre adressée le 14 avril 2011 au Bureau du Procureur, le Conseil national de transition libyen a affirmé : « Nous soutenons pleinement l’exécution au plus vite de ces mandats d’arrêt et souhaitons que la communauté internationale apporte son entière coopération à cet égard conformément au Statut de Rome de la CPI et à la résolution 1970 du Conseil de sécurité adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. »
Dans l’hypothèse où les autorités nationales ne procéderaient pas aux arrestations en question, seraient dans l’incapacité de le faire ou solliciteraient une assistance internationale à cette fin, le Conseil de sécurité de l’ONU devrait alors examiner les possibilités qui permettraient de garantir l’exécution de tout mandat d’arrêt délivré par la Cour pénale internationale conformément à la résolution 1970 du Conseil de sécurité de l’ONU.
La résolution 1970 du Conseil de sécurité souligne que les auteurs des attaques perpétrées contre des civils, y compris les attaques menées par des forces placées sous leur contrôle, doivent être amenés à répondre de leurs actes. Or, dans le cadre de la situation en Libye, des crimes à grande échelle seraient commis sur ordre de quelques personnes ayant autorité sur les organisations chargées de les exécuter. Si les juges décident de délivrer des mandats d’arrêt, l’arrestation des personnes ayant ordonné la commission de ces crimes contribuera à assurer la protection des civils en Libye.
Gilles Devers


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