(La Croix 06/10/2010)
Alors que son pays traverse une crise énergétique, le président Abdoulaye Wade a confié le secteur à son fils Karim, qui cumule les fonctions ministérielles.
Très affecté par la dernière vague de délestage, Moustapha Gueye, tailleur dans le quartier du port à Dakar, a accueilli avec satisfaction, lundi, la nouvelle du limogeage du ministre de l’énergie, Samuel Sarr. « Trop, c’est trop, il fallait qu’il parte, s’insurge l’artisan. Cela fait trois mois que je n’arrive plus à honorer mes commandes à cause des coupures de courant incessantes. Il n’y a pas un corps de métier au Sénégal qui ne soit concerné. »
Auditionné par les députés pendant l’été pour s’expliquer sur la soi-disant contamination du carburant alimentant une partie des centrales électriques, censée expliquer la pénurie d’électricité, le ministre de l’énergie s’était engagé à mettre en place des solutions pour que les coupures intempestives cessent. Au lieu de cela, elles se sont multipliées. Une pénurie de gaz qui s’est ajoutée en raison du report de l’arrivée d’un butanier a fait déborder la coupe.
C’est le fils du président Abdoulaye Wade, Karim, qui s’est finalement vu confier le portefeuille de l’énergie. Un domaine qui s’ajoutera à la coopération internationale, aux transports aériens et aux infrastructures dont il était déjà chargé.
Karim Wade, « ministre de la terre, des airs et de la mer »
Quant à Samuel Sarr, qui était devenu ministre malgré les critiques ayant accompagné ses dix années à la tête de la société nationale d’électricité (Senelec), il a été promu ministre d’État et conseiller financier du président de la République.
Une sortie « par la grande porte » qui scandalise l’opposition. Pour Hélène Tine, porte-parole de l’Alliance des forces de progrès (AFP), Samuel Sarr devrait « commencer par rendre des comptes ». L’opposition s’inquiète aussi de l’inflation des secteurs confiés à Karim Wade, 42 ans, affublé par la presse privée du titre de « ministre de la terre, des airs et de la mer ».
À un peu plus d’un an de l’élection présidentielle prévue au début de 2012, à laquelle Abdoulaye Wade, 84 ans, a annoncé son intention d’être candidat, son fils semble confirmé dans sa position de dauphin. Très mobilisé depuis la grande marche de protestation organisée pendant l’été à Mbour, à 80 km de Dakar, le Comité national de lutte contre les coupures d’électricité au Sénégal avait fait du départ de Samuel Sarr l’une de ses revendications.
« Nous avons accumulé suffisamment de preuves contre lui et les incuries de son ministère pour pouvoir porter plainte. Ce que nous comptions faire cette semaine », confie à "La Croix" le coordinateur du mouvement, Pape Hamady Ndao.
Pour cet ancien instituteur devenu gérant de mutuelles, le changement de tête à la direction du ministère de l’énergie n’est pas une garantie suffisante pour que les populations sénégalaises oublient le cauchemar des délestages et des pénuries de gaz à répétition.
L’argent est là, il faut qu'il soit investit au bon endroit
« Samuel Sarr n’a eu que ce qu’il méritait, mais c’est la volonté politique tout entière d’un pays et de ses dirigeants qui est nécessaire pour que cessent les abus, renchérit le porte-parole du mouvement, Mouhamet Barro. Depuis la re-nationalisation de la Senelec en 2001, les Sénégalais ont payé au centuple le prix de leur énergie. L’argent est là. La compagnie n’a qu’à l’investir au bon endroit pour que les équipements soient réparés ou remplacés à temps. »
À l’instar de ce qui s’était passé pendant l’été, les manifestations se sont multipliées ces dernières semaines. « En plein hivernage, c’est impossible de garder des provisions. Tout a terriblement augmenté », se plaint Fatou Diallo, qui vit au quartier HLM.
La plupart des quartiers populaires de Dakar flambent à chaque nouvelle coupure. Pour exprimer leur colère, des jeunes brûlent des pneus et incendient des bus. À Diourbel, au centre, à Ourossogui, dans l’est, à Thiès, deuxième ville du pays, les manifestations, bien qu’interdites, se sont également multipliées.
Un boycott des factures de la Senelec
Répondant à l’appel des imams, les tailleurs ont décidé de boycotter les factures de la Senelec comme l’ont déjà fait les habitants de Guediawaye, dans la banlieue de Dakar. Ils protestent contre les violences subies par le président de leur union, Ndiaga Wade, violemment frappé au commissariat central de Thiès alors qu’il demandait la libération de tailleurs descendus dans la rue.
En juillet, un jeune homme de 26 ans, Abdoulaye Wade Yinghou, était décédé des suites de ses blessures lors d’une manifestation contre les coupures d’électricité dans la banlieue dakaroise de Yeumbel.
Christine HOLZBAUER, à Dakar
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