vendredi 14 janvier 2011

Tunisie - Ben Ali s'engage à partir en 2014

(La Libre 14/01/2011)
L'appel du chef de l'Etat à la fin des violences intervient au moment où la communauté internationale s'alarme de plus en plus de l'aggravation de la situation.
Le président tunisien Zine El Abdine Ben Ali s'est engagé jeudi soir à quitter le pouvoir au terme de son mandat en 2014 et a ordonné la fin des tirs contre les manifestants, dans l'espoir d'apaiser un mouvement de contestation sans précédent.
"Je vous ai compris", a martelé à plusieurs reprises le chef de l'Etat, au pouvoir depuis 23 ans, dans un discours à la Nation, le troisième prononcé depuis le début des émeutes mi-décembre. Ce mouvement de contestation et sa sanglante répression ont déjà fait au moins 66 morts, selon une ONG.
Il a évoqué pour la première fois son avenir politique : "pas de présidence à vie et je refuse de toucher à la limite d'âge fixée par la Constitution".
Réélu en octobre 2009 pour un mandat de cinq ans, il était sollicité par des membres de son parti pour se représenter en 2014. Mais les manifestants exigent depuis plusieurs semaines son départ.
La Constitution limite l'âge des candidats à la présidence à 75 ans et il était question pour ses partisans de l'amender pour qu'il se représente en 2014, date à laquelle il aurait 77 ans.
"Assez de tirs à balles réelles", a-t-il ajouté dans ce discours en tunisien dialectal, dans l'intention apparente de se faire comprendre par tous les Tunisiens.
"Je refuse de voir de nouvelles victimes tomber (...) Assez de violences, assez de violences", a-t-il poursuivi, affirmant que "personne ne serait plus inquiété à moins qu'il tente de se saisir de l'arme d'un agent de l'ordre".
Au moment même où il ordonnait la fin des tirs, deux civils étaient tués par la police à Kairouan (centre), selon des témoins.
Son discours a suscité de premières réactions plutôt positives dans l'opposition.
"Le fait positif, c'est que le président ait décidé de ne plus se représenter", a jugé Mohammed Néjib Chebbi, chef historique du Parti démocratique progressiste, formation légale mais non représentée au Parlement.
"Ce discours ouvre des perspectives", a déclaré de son côté Mustapha Ben Jaafar, chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, membre de l'Internationale socialiste.
"C'est positif", a jugé pour sa part Ahmed ben Brahim, chef du parti Ettajdid (ex-communiste, un député) tandis que la militante des droits de l'Homme Bouchra Bel Haji a évoquait "un discours historique".
Les sceptiques à l'image de l'avocat et défenseur des droits de l'Homme, Mohamed Abbou, ont dit ne pas croire le président en déclarant qu'il "se moque des Tunisiens avec des promesses sans lendemain".
L'appel du chef de l'Etat à la fin des violences intervient au moment où la communauté internationale s'alarme de plus en plus de l'aggravation de la situation, la France ayant dénoncé jeudi "l'utilisation disproportionnée de la violence".
Le chef de l'Etat a également promis la "liberté totale" d'information et d'accès à internet, sujets sur lesquels il était critiqué notamment par les Etats-Unis.
Premier résultat, les sites internet bloqués en Tunisie, notamment Dailymotion et You Tube, étaient de nouveau accessibles jeudi soir.
Faisant un aveu d'un caractère exceptionnel, le président a en outre assuré avoir été "trompé" sur l'analyse de la crise sociale et affirmé que l'enquête qu'il a ordonnée serait indépendante et établirait les "responsabilités de chacun".
"La situation aujourd'hui rend nécessaire un profond changement", a encore déclaré M. Ben Ali.
Des dizaines de ses partisans ont défilé jeudi soir dans le centre de Tunis aux cris de "Ben Ali, Ben Ali !", quelques minutes après son discours et malgré le couvre-feu en vigueur depuis mercredi soir.
Le mouvement de contestation a débuté à Sidi Bouzid (centre-ouest) avant de s'étendre à d'autres villes pour toucher la capitale et ses environs ces dernières 48 heures.
Jeudi, un manifestant a été tué dans le centre de Tunis, ont raconté des témoins à l'AFP. Les forces de l'ordre avaient au préalable tenté de disperser les manifestants à coups de bombes lacrymogènes avant de tirer, selon ces témoins.
La station balnéaire de Hammamet (60 km au sud de Tunis), prisée des touristes européens, a été livrée aux pilleurs jeudi après-midi, selon des journalistes de l'AFP.
La présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), Souhayr Belhassen, a affirmé à Paris détenir une liste nominative de 66 personnes tuées depuis le début des troubles mi-décembre, dont huit dans la nuit de mercredi à jeudi dans la banlieue de Tunis.
Aucun bilan officiel n'a été publié sur ces dernières violences.
Le leader d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abou Moussab Abdel Wadoud, a lui appelé les manifestants à renverser M. Ben Ali, selon le service américain de surveillance des sites islamistes.
Mis en ligne le 14/01/2011
Ben Ali, au doigt et à l’œil
L’autoritaire président tunisien a érigé un modèle de société fondé sur l’ordre et le travail. Verrouillant tout autour de lui. Méthodiquement.
Portrait
Trois fois en moins d’un mois. Le président Zine el Abidine Ben Ali est apparu à la télévision tunisienne trois fois en moins d’un mois. Une preuve de la gravité des événements qui voient le peuple tunisien sortir en masse dans les rues pour exprimer la précarité de ses conditions de vie, le manque de perspectives d’avenir, ainsi que son ras-le-bol d’un régime qui fonctionne à la matraque, à la corruption et au favoritisme. Une simple routine aussi pour cet ex-général qui aura réussi à se rendre incontournable depuis 23 ans qu’il exerce la fonction présidentielle. Une preuve, sans doute, de la soudaine appréhension de cet autocrate autoritaire de 74 ans que son cinquième mandat à la tête du pays pourrait bien être le dernier, alors que l’un de ses premiers gestes politiques suivant sa prise de pouvoir en 1987 avait été de supprimer la présidence à vie instituée par son prédécesseur Habib Bourguiba et de limiter le nombre de mandats à trois.
En 2002, pourtant, alors que se profile la fin de son troisième mandat, il organise un référendum sur mesure qui lui donnera la possibilité de se représenter. En manipulant ainsi l’opinion publique, Ben Ali complète sa panoplie de parfait despote, sensible aux scores staliniens, inconditionnel du maintien musclé de l’ordre public, allergique à toute contestation et opinion contraire, sensible à une presse et une opposition politique discrète, et adepte de la propagande et de l’autocélébration. Aujourd’hui son portrait, qui orne tous les bâtiments publics ainsi que de grands panneaux "promotionnels", brûle dans les rues.
Formé aux armes en France (à Saint-Cyr) et aux renseignements et à la sécurité aux Etats-Unis, ce fils d’une famille modeste de Hammam Sousse (100 km au sud-est de Tunis) a pourtant contribué à organiser une société "déterminée à persévérer et réussir". Ses deux idées phares : l’ordre et le travail. Père de six enfants, dont trois d’un premier mariage, Zine el Abidine Ben Ali va jeter les bases d’une économie libérale, notamment axée sur l’industrie et le tourisme. Il met aussi en place une politique sociale dite de "solidarité" qui accouchera d’un système de sécurité sociale et d’un fonds spécial destiné aux plus pauvres. Il poursuit aussi l’œuvre de son prédécesseur qui avait développé une société basée sur la connaissance et la formation. Mais les remous de la récente crise mondiale ont atteint le Maghreb. Aujourd’hui, la perte de pouvoir d’achat et le manque d’emploi sont criants. Il y a trop de diplômés pour le nombre de postes disponibles. Le modèle gagnant de la Tunisie, avec sa belle manne touristique, prend eau de toutes parts.
Pour ériger ce "modèle", Ben Ali, en bon agent (et ex-patron) de la sûreté nationale a tout verrouillé et fait le vide autour de lui. Méthodiquement. Cliniquement. C’est d’ailleurs ainsi qu’il dépose, le 7 novembre 1987, le père de l’indépendance Habib Bourguiba, à la faveur d’un "coup d’Etat blanc". Aucune résistance ni aucun sang versé : le régime du vieux président, sénile et malade, ne tenait plus qu’à un fil. Les années nonante voient un durcissement du régime Ben Ali, qui réprime toute opposition, qu’elle soit politique, syndicale ou journalistique. Il purge notamment les milieux islamistes, alors que l’Algérie voisine s’enfonce dans les violences des groupes de guérilla islamiste. Et comme la contradiction est aussi la marque des grands autocrates, il introduit le pluralisme politique au Parlement dès 1994, mais à doses homéopathiques. Mais le Rassemblement constitutionnel démocratqiue (RCD), longtemps parti unique, reste seul maître du jeu politique.
Sans oublier le secteur associatif. "Tout l’espace public est sous contrôle du parti. Les quelque 10 000 associations sont peu ou prou sous la supervision d’un fonctionnaire de l’Etat. Le régime contrôle tout, jusqu’aux comités de quartiers. Aucune marge de liberté n’est laissée à la population. La logique est : l’Etat prend en charge tous vos besoins, vous n’avez donc pas à le faire vous-même", nous confie Kamel Jendoubi, le président du Réseau euroméditerranéen des droits de l’homme.
Dernier exemple en date de cette mise au pas de la société tunisienne par le régime Ben Ali, une disposition légale votée au Parlement en juin 2010 qui pénalise les contacts, directs ou indirects, que peuvent établir des nationaux "avec des agents d’un Etat étranger, d’une institution ou d’une organisation étrangère dans le but de les inciter à porter atteinte aux intérêts vitaux de la Tunisie et à sa sécurité économique". Après le musellement de toute opposition interne, cette mesure est à même de permettre la poursuite et l’emprisonnement de ceux qui critiqueraient la Tunisie de l’extérieur

Vincent Braun
Mis en ligne le 14/01/2011
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