vendredi 15 octobre 2010

Somalie - Les pirates somaliens s’enrichissent

(Le Temps.ch 15/10/2010)
Aucune solution ne pourra prévenir efficacement les attaques, sinon une amélioration de la situation générale en Somalie, telles sont les conclusions d’une conférence qui vient de s’achever sur l’île Maurice
Les pirates somaliens se portent bien et, pour eux, le futur s’annonce prometteur. C’est le constat que font Roger Middleton, spécialiste de la Corne africaine du groupe de réflexion Chatham House, et avec lui de nombreux experts, alors que vient de s’achever une conférence sur l’île Maurice sur la question. Catherine Ashton, haute représentante de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, et le nouveau conseiller du secrétaire général de l’ONU sur la piraterie, Jack Lang, entre autres personnalités, y ont assisté.
Près de 400 marins en otage
«Les pirates ne cessent de s’enrichir», note Roger Middleton. En 2008, 111 attaques ont été recensées, 45 ont abouti. L’année dernière, 205 bateaux ont été abordés; une quarantaine a été ramenée sur les côtes somaliennes. «La mission «Atalante» [ndlr: opération navale européenne qui a débuté en décembre 2008 pour sécuriser les eaux au large de la Corne africaine], a compliqué la tâche des pirates, poursuit le chercheur, mais le nombre de captures a peu changé. Nous n’avons pas encore les chiffres pour 2010. Je pense que les pirates auront autant, sinon plus de réussite.»
Selon Cyrus Mody, expert en piraterie du Bureau maritime international, 17 bateaux et 396 membres d’équipage sont retenus actuellement en Somalie, dans les ports de Harardhere, Eyl et Kulub. Il y aurait 20 navires et 409 personnes, selon Risk Intelligence, une organisation spécialisée dans l’analyse des crimes. Les otages sont détenus pendant des périodes de plus en plus longues, jusqu’à quatre mois. Les montants des rançons demandées, et obtenues, ont doublé: en moyenne un million de dollars par libération en 2008, contre deux voire trois aujourd’hui, constate Roger Middleton. «Une attaque avortée ne coûte rien et, si les pirates perdent des hommes, ils trouvent des remplaçants très rapidement.»
Per Klingvall, porte-parole de la mission «Atalante», est inquiet: les pirates, violents, armés et drogués au khat, une plante qui leur permet de tenir longtemps sans manger, consomment l’alcool et les médicaments qu’ils trouvent sur les bateaux, comme la morphine. «Ils maltraitent les otages. Je crains qu’une personne ne soit morte par accident.» Jusqu’à présent, on ne dénombre pourtant aucun mort. Une fois qu’un bateau est saisi, les gendarmes des mers ne peuvent plus intervenir, car c’est trop dangereux pour les otages.
Les pirates sévissent jusqu’en Inde, au large de l’île Maurice, comme la semaine dernière, ou du Kenya dimanche passé. «L’océan est vaste. Les missions navales pourront difficilement être plus efficaces», estime Per Klingvall. Huit Etats membres de l’UE contribuent de manière permanente à l’opération «Atalante». Laquelle collabore avec des vaisseaux russes, indiens, japonais, chinois et de l’OTAN. En 2009, elle a coûté 8,3 millions d’euros.
«Stratégie régionale»
La conférence de l’île Maurice a privilégié les recherches de solution sur la terre ferme. Les représentants de l’UE, de Maurice, des Seychelles, des Comores, de Djibouti, de la Tanzanie, du Kenya et de la Somalie ont adopté une «stratégie régionale» qui entend certes renforcer les capacités de chacun de sécuriser sa zone maritime, mais qui exhorte surtout les pays de la région, avec l’appui financier et technique de la communauté internationale, à intenter des poursuites contre les pirates arrêtés et à mettre en place un plan d’action en Somalie. Une solution déjà privilégiée par la mission «Atalante», rappelle Per Klingvall, dont le premier but est d’escorter les bateaux transportant vivres et médicaments vers les villes somaliennes de Mogadiscio et Bosasso. «La conférence privilégie les solutions à long terme», souligne Maja Kocijancic, chargée de presse du cabinet de Catherine Ashton.
A court terme, l’influence des pirates s’étend en Somalie. Certains d’entre eux sont devenus si puissants financièrement que le gouvernement et les milices islamistes shebab, en guerre, insistent chacun pour les avoir à leurs côtés, alors qu’auparavant ils les critiquaient fermement.

Richard Etienne
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