jeudi 7 octobre 2010

« Au Gabon, Plysorol est un enjeu économique et politique »

Ouest-France 07/10/2010)
Jean-Robert Mbasani, journaliste à Gaboneco.com, site d’information généraliste implanté à Libreville.
Que représente Plysorol au Gabon ? Combien de salariés l’entreprise emploie-t-elle ?
En termes d’enjeux Plysorol représente 600 000 hectares de forêts détenus par ses deux filiales, Leroy Gabon et Pogab. Ces deux entreprises emploient 250 personnes. Selon des sources proches du dossier, le repreneur chinois de Plysorol, Guohua Zhang, souhaiterait récupérer les concessions forestières exploitées par les filiales gabonaises du groupe français par le transfert des actifs de Leroy Gabon et Pogab à des filiales chinoises implantées au Gabon. Cette perspective n’est pas faite pour rassurer les potentiels repreneurs de Plysorol qui pourraient bien se battre pour un gâteau vide. Amputé de ses concessions forestières, le groupe serait sans doute privé d’une ressource vitale pour sa survie, du moins dans le contexte de la conjoncture actuelle. C’est tout l’enjeu de « l’affaire Plysorol », dont le nœud gordien se trouve aujourd’hui sous la coupe de la justice gabonaise.
Quelles sont les dernières nouvelles concernant ce dossier ?
À notre connaissance, le dossier n’a pas vraiment bougé depuis les lignes de base d’il y a six mois. On sait que l’avocat de la partie chinoise, maître Xavier Lebray, avait fait parvenir un courrier au ministère gabonais des Eaux et Forêts dans lequel il légitimait le transfert des actifs des filiales gabonaises de Plysorol. Selon ce dernier, « s’il est exact que le jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 31 mars 2009 a bien prévu l’inaccessibilité des actes de Plysorol SAS cédés à Plysorol Europe SAS (y compris les participations dans Leroy Gabon et Pogab), aucune disposition de ce jugement, né des actes passés en application de ce même jugement, ne prévoit l’inaccessibilité des actifs de ces mêmes filiales ». Le 23 avril, dans un communiqué paru dans la presse gabonaise, le directeur général de Plysorol, François Wu, avait évoqué les mêmes arguments. Cependant, un communiqué du ministère des Eaux et Forêts paru dans le même journal avait coupé court à ces prétentions, en indiquant que « toutes cessions de titres de sociétés LEROY GABON et POGAB, de même que toutes ventes d’actifs seraient susceptibles de faire l’objet d’actions en nullité ».
Cette décision du ministère de tutelle est à replacer dans le contexte géopolitique, à travers la lutte d’influence que se livrent Français et Chinois au Gabon. Lors de sa visite à Libreville le 24 février 2010, le président français Nicolas Sarkozy s’est rendu sur le site des usines d’exploitation du bois de Rougier Gabon à Owendo dans le sud de Libreville, l’une des dernières représentantes de la France dans cette branche d’activité. Par ailleurs, la France a signé le même jour avec une banque locale, la BICIG, une convention de 6,56 milliards pour promouvoir l’industrialisation de la filière bois, décidée par le gouvernement gabonais à travers l’interdiction d’exportation des grumes entrée en vigueur le 1er janvier 2010. Les retombées de cette visite qui ont ressoudé certaines vis « des relations historiques » franco-gabonaise, ont certainement conduit à la décision de l’autorité de tutelle. Tout porte à croire que la politique va largement influencer l’issue de ce différend.
Vu du Gabon, comment les difficultés du groupe Plysorol sont-elles perçues ?
C’est surtout le sort des employés de Pogab et Leroy Gabon qui préoccupe l’opinion. Le 29 septembre dernier, les employés de ces deux sociétés ont manifesté contre le sort de Plysorol, mise en liquidation judiciaire le 8 septembre par le tribunal de commercial de Lisieux en France. Ils craignent les répercussions de cette mesure dans les filières gabonaises, notamment la perte des emplois. Les deux filiales emploient 250 personnes. Le mouvement d’humeur de ces agents est un signe de solidarité à l’endroit de leurs employeurs pour sauver leurs entreprises face aux difficultés qui viennent de l’extérieur.
Le directeur général de Leroy-Gabon et Pogab, François Jufeng Wu, soutient que : « depuis 2008, la maison-mère nous demande de lui fournir de la matière première, ce que nous faisons. Mais, en retour, elle ne nous paye pas. La dette due par Plysorol à ses filiales nationales s’élève à 2,6 milliards de francs CFA. La vente de plaquages à d’autres clients a permis au groupe de s’acquitter de ses obligations traditionnelles vis-à-vis des employés et du Fisc. » Mais les craintes subsistent malgré ces assurances.
Qui gère les concessions forestières du Gabon, et comment ?
Les concessions forestières sont octroyées par le ministère des Eaux et Forêts, pour une période étalée entre 20 et 40 ans, dans le cadre d’un système d’appel d’offres public tenant compte des capacités techniques et financières des sociétés. La taille de la concession de Leroy-Gabon est de 600 000 hectares et le permis doit être assorti d’un plan d’aménagement pour garantir les objectifs de gestion durable de la forêt.
Selon les normes d’aménagement définies par la loi 16/01 portant Code forestier en République gabonaise, « l’exploitation forestière doit garantir une production durable de bois d’œuvre, en quantité et en qualité, la transformation locale de la ressource, l’exploitation des ressources forestières secondaires sur une base durable, le maintien des principales fonctions écologiques de la forêt et la conservation de la biodiversité, la contribution de la gestion forestière à l’amélioration du bien-être des générations présentes et futures »
L’un des avantages de l’aménagement forestier c’est de permettre à la forêt de fournir de façon soutenue la production du bois tout en veillant à ce que le volume prélevé ne soit en aucun cas supérieur à la possibilité de la forêt, en fonction de ses capacités à croître et à se renouveler.
En quoi l’exploitation du bois est-elle un enjeu (économique, politique) ?
L’exploitation du bois est cruciale à la fois sur le plan économique et politique. Selon les sources du ministère de l’Economie, les investissements cumulés de la filière bois sur les huit premières années des années 2000 avoisinent 2000 milliards de FCFA. Cette filière qui constitue le deuxième contributeur aux recettes fiscales, avec 80 milliards de FCFA environ par an, est également la deuxième source de devises de l’économie gabonaise. Elle représente environ 12 % de la valeur totale des ventes à l’extérieur. Enfin, ce secteur représente le plus important bassin d’emplois, car c’est le premier employeur privé moderne avec 14 000 emplois directs et près de 5 500 emplois indirects.
Sur le plan politique, l’industrialisation de cette filière à pas forcés, à travers l’arrêt de l’exportation de bois en grume décidé par le gouvernement gabonais le 5 novembre 2009 et entré en vigueur le 01 janvier 2010 est le gros chantier engagé par le nouveau pouvoir.
Cette mesure est destinée à doter le pays d’une industrie capable d’exporter des produits made in Gabon à forte valeur ajoutée. La volonté des autorités de Libreville est de faire passer le taux de transformation locale de bois de 40 %, actuellement, à 100 %, soit au-delà de l’objectif de 75 % prévu pour 2012. Ce chantier conditionne largement « le Gabon industriel », l’un des trois piliers du programme économique du nouveau président, Ali Bongo. Nul doute que les réussites de cette industrialisation auront des retombées positives sur le champ politique, lors des prochaines batailles électorales.
Par ailleurs, le recours à la concession forestière sous aménagement durable (CFAD) qui suggère une gestion forestière responsable, permet au gouvernement de répondre aux exigences de l’industrialisation de la filière bois, tout en minimisant la dégradation de la forêt et la déforestation. Ce qui lui permet de concilier impératifs domestiques et exigences de la communauté internationale en matière de préservation des ressources forestières.

Propos recuillis par Yann-Olivier BRICOMBERT.
Économie jeudi 07 octobre 2010
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