mardi 12 octobre 2010

Afrique du Sud -Une autre version des mémoires de Mandela

(La Libre 12/10/2010)
Nelson Mandela appelle à ne pas le considérer comme un saint. Un nouveau livre rassemble plusieurs décennies de documents.
"L’homme qui crée des problèmes".
Nelson Mandela n’a pas que des qualités et il voudrait que cela se sache. Préfacé par Barack Obama, "Conversations avec moi-même " - qui paraît en 20 langues dans 22 pays- présente un portrait humain du père de la Nation arc-en-ciel, loin de l’icône intouchable.
Le livre rassemble des documents rédigés et enregistrés sur plusieurs décennies, notamment des lettres écrites pendant les vingt-sept ans de captivité du premier président noir sud-africain. Confisquées par les autorités de l’époque, elles lui ont été rendues en 2004.
Mandela y parle de sa souffrance née de la séparation de ses proches. "J’ai l’impression que toutes les parties de mon corps, chair, sang, os et âme ne sont plus que de la bile, tant mon impuissance absolue à te venir en aide dans les moments terribles que tu traverses me rend amer" , écrit-il dans une lettre à son épouse Winnie, datée du 1er août 1970.
Le livre comprend aussi des extraits de la suite, non achevée, de sa biographie "Un long chemin vers la liberté" (1994), vendue à près de trois millions d’exemplaires. Il raconte ses doutes, ses erreurs, et aborde l’idéalisation dont il fait l’objet : "L’un des problèmes qui m’inquiétait profondément en prison, concernait la fausse image que j’avais sans le vouloir projetée dans le monde; on me considérait comme un saint" , peut-on lire. "Je ne l’ai jamais été, même si l’on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer" .
A travers cet ouvrage, la Fondation Nelson Mandela a souhaité montrer l’homme qui se cache derrière l’"icône mondiale de la réconciliation", comme l’a nommé l’archevêque Desmond Tutu.
Un souhait partagé par Nelson Mandela lui-même, qui s’est toujours gardé de verser dans le culte de la personnalité. "C’est quelqu’un de très humble. Il a même demandé à ce que l’on retire sa photo de son site web", affirme Verne Harris, chef archiviste de la Fondation.
Libéré en 1990, à l’âge de 72 ans, élu à la présidence d’une Afrique du Sud enfin multiraciale en 1994, Nelson Mandela a quitté le pouvoir en 1999, après un unique mandat.Aujourd’hui, il fait toujours autant rêver. Profondément aimé et respecté, Madiba - comme l’appellent affectueusement les Sud-Africains, en référence à son nom de clan - ne fait l’objet de presque aucune critique. N’a-t-il pas su pardonner à ses oppresseurs pour éviter la guerre civile ? Il les a même associés à la construction d’une société démocratique et libre. Et pourtant, sous l’apartheid, il fut l’un des premiers à prôner le recours à la lutte armée. Il affiche un sourire permanent mais, aux dires de ses amis, reste profondément marqué par ses vingt-sept ans passés derrière les barreaux. Mandela demeure une énigme. "Il fut la bonne personne au bon moment. Mais c’est avant tout un homme, avec ses qualités et ses faiblesses", affirme le politologue sud-africain Clive Napier.
Aujourd’hui âgé de 92 ans, le prix Nobel de la Paix vit retiré dans sa résidence de Houghton, une banlieue chic de Johannesburg, avec son épouse Graça Machel, 64 ans, veuve de l’ancien président mozambicain.
Seuls quelques amis proches lui rendent encore visite. On murmure que le vieil homme n’aurait plus l’esprit aussi vif. "Il a un problème de mémoire immédiate, nuance George Bizos, son ami et avocat qui, en 1964, lui évita la peine de mort. Il peut raconter en détail une de mes visites dans sa prison de Robben ­Island, mais il ne se souviendra pas de notre déjeuner de la veille ". Pour beaucoup, Mandela est toujours le leader idéal, qui maintient l’unité du pays, et auquel on compare ses successeurs, de plus en plus souvent discrédités aux yeux des Sud-Africains. "A la mort de Mandela, l’Afrique du Sud subira une phase de grande tristesse", affirme Clive Napier. "Mais la vie continuera. Il y aura d’autres personnes pour prendre le relais".
Patricia Huon
Mis en ligne le 12/10/2010
Correspondante en Afrique du Sud

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