(Le Quotidien (Sn) 02/09/2010)
Les Américains ne cachent plus leur mépris du régime du Président Wade. Au point qu’ils hésitent fortement à lui confier les deniers issus des impôts de leurs concitoyens. Des conversations tenues avec des personnes proches de l’Administration américaine font ressortir la détermination de Washington à ne pas laisser le Sénégal plonger dans la mal-gouvernance et la corruption. Par tous les moyens.
L’Administration du Président Obama est vraiment décidée à mettre la pression sur le gouvernement sénégalais, en ce qui concerne les questions de bonne gouvernance politique et économique. Après la sortie publique de l’ambassadeur Marcia Bernicat qui, dans une lettre ouverte publiée dans certains journaux sénégalais (voir Le Quotidien n°2211 du vendredi 28 mai 2010), avait fustigé la corruption et la mal-gouvernance dans le pays, et à laquelle le Président Wade avait répliqué de manière forte, devant la Télévision nationale (Le Quotidien n° 2212), les mesures concrètes commencent à tomber.
Ainsi, au cours d’un staff meeting organisé il y a un peu plus d’une semaine, à l’ambassade des Etats-Unis à Dakar, l’ambassadeur Bernicat a fait le point avec ses collaborateurs sur certaines décisions prises à Washington, concernant le Sénégal. Le pays qui devait recevoir, dans le cadre du nouveau programme de sécurité alimentaire mis en place par le nouveau Président américain, un pactole de 22,5 milliards de francs Cfa, l’équivalent de 45 millions de dollars, chaque année pendant 5 ans, soit 112,5 milliards de francs pour les cinq ans, devra se contenter de 65,5 milliards de francs Cfa sur 5 ans, ou 12,5 milliards de francs par an, équivalant environ à un manque à gagner de 47 milliards de francs sur les cinq ans.
Cette décision qui a été notifiée au bureau de l’Usaid au Sénégal, qui gère le fonds sur la sécurité alimentaire, devra être bientôt annoncée au gouvernement sénégalais. Néanmoins, très affecté, le directeur national de cette agence américaine de développement, compte se rendre rapidement à Washington, pour tenter de plaider la cause «du peuple sénégalais, qui ne devrait pas être sanctionné pour les turpitudes de son gouvernement». Il reste à savoir s’il sera entendu, tant la décision semble venir du plus haut niveau. Cela est d’autant plus dommage et inattendu pour les fonctionnaires américains à Dakar, qu’il avait été prévu que ces décaissements soient portés à 125 millions de dollars par an.
Nuages sur le Mca
Ce dont l’Administration Obama est désormais convaincue, «après des investigations à travers plusieurs canaux», selon ce qu’il est ressorti du staff meeting de l’ambassade, c’est que la corruption est désormais une réalité intangible du gouvernement sénégalais. De ce fait, les Américains rechignent de plus en plus, à «mettre à la disposition d’un tel gouvernement, les ressources du contribuable américain». D’où de fortes inquiétudes sur la poursuite du programme Millenium challenge account (Mca).
Ce programme, qui est entré dans sa phase opérationnelle, devrait en principe, voir ses premiers décaissements financiers débuter le 27 de ce mois de septembre. Or, la nouvelle donne au sein de l’équipe Obama ne porte pas à l’optimisme. On espère que la venue très prochaine à Dakar, du vice-président du Mcc, M. Patrick Fine, qui connaît bien le Sénégal, devrait éclaircir un peu les choses. Mais peu sont, au sein de la mission américaine, ceux qui osent parier sur des décaissements américains à court terme, pour les programmes du Mca.
Il faut dire que, sur ce point, le Président Wade avait presque défié le gouvernement américain. Ne supportant pas les remarques publiques de l’ambassadeur Bernicat, le chef de l’Etat l’avait convoquée au Palais, pour la tancer devant les caméras de la Télévision nationale, en lui disant notamment : «Si c’est à cause du Mca que vous pensez pouvoir nous traiter de cette manière, vous pouvez le reprendre et l’amener dans les pays où l’on accepte d’être injurié !» En serrant les cordons de la bourse, les Américains n’auront fait que le prendre au mot !
Haro sur la succession monarchique
Néanmoins, si le chef de l’Etat affirme pouvoir se passer de ce pactole, il n’est pas certain que les populations des régions qui devraient bénéficier des projets financés par ce fonds pensent que le Sénégal n’a pas besoin de l’argent des Américains pour le moment. Or, ces derniers semblent très décidés à aller jusqu’au bout de leurs résolutions.
Ils se sentent d’autant plus fondés à le faire que les griefs ne manquent pas de leur côté, contre ce régime. Les Américains sont en effet, révulsés que l’on puisse imaginer, au Sénégal, pays réputé pour sa tradition démocratique, une forme de dévolution monarchique du pouvoir, avec un fils succédant à son père. Et les membres de l’Administration Obama ne cachent pas leur volonté de s’y opposer, «par tous les moyens» !
Et il ne s’agit pas que de ces velléités de succession monarchique. Il y a également les différentes modifications constitutionnelles que l’on opère pour adapter la Loi fondamentale à des besoins particuliers. Lors de leur staff meeting, les Américains ont compris que le Président Obama et ses proches n’accepteraient sous aucun prétexte, que l’on torde la Constitution pour permettre au chef de l’Etat sénégalais de se maintenir au pouvoir après l’échéance de son mandat légal. Et les mesures financières prises ne sont que le prélude à d’autres, d’une ampleur beaucoup plus grande, le cas échéant.
Par Mohamed GUEYE
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