lundi 6 septembre 2010

Guinée - Interview exclusive / Alpha Condé : « Aucun candidat peulh n’a rejoint Cellou Dalein »

(Afriscoop 06/09/2010)
C’est in extremis que nous avons eu l’honneur d’être reçu par le second candidat au second tour de la présidentielle en Guinée, Alpha Condé. Présent à Ouagadougou dans le cadre de la signature du code de bonne conduite entre les deux finalistes de la présidentielle guinéenne, c’est à moins de deux heures de son départ pour son pays que la possibilité de la réalisation de cet entretien s’est clairement dessinée. Et nous n’avons pas manqué cette occasion idoine.
Après donc celui que nous a accordé Cellou Dalein Diallo le lundi 23 août 2010, Alpha Condé, arrivé deuxième à la présidentielle du 27 juin avec un taux de 18%, nous recevait à son tour. C’était le vendredi 3 septembre dernier dans sa suite présidentielle de l’Hôtel Laico de Ouaga 2000. Né le 4 mars 1938 à Boké (Basse-Guinée), Alpha Condé, qui a été en France dès l’âge de 15 ans pour des études secondaires et universitaires, est titulaire d’un doctorat d’Etat en droit public (Panthéon). Président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France de 1963 à 1975, le président du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), qui a été condamné à mort par contumace en 1970 et qui a connu l’exil sous Sékou Touré et les geôles de Lansana Conté dans les années 90, a-t-il enfin rendez-vous avec son destin ? En tout cas, pour Alpha Condé, qui n’a pas manqué l’occasion d’asséner quelques coups à son adversaire, Cellou Dalein Diallo, il ne fait l’ombre d’aucun doute : il sera le prochain président de la république de Guinée. Une trentaine de minutes avec un opposant historique en route pour la présidentielle de son pays.
Vous venez d’apposer votre signature à côté de celles de Cellou Dalein Diallo et du médiateur sur un protocole relatif au deuxième tour de la présidentielle. De quoi est-il question exactement dans ce document ?
• Je crois qu’après le premier tour et les dysfonctionnements qu’on a pu observer, il était nécessaire qu’au second, on évite que cela se reproduise. Le premier tour, c’est comme la coupe du Monde : il y a des matches de qualification, et la finale, qui doit désigner le vainqueur.
La finale, c’est particulier. Revoyez celle de 1954 entre L’Allemagne et la Hongrie. Au match de qualification, les Hongrois ont battu l’Allemagne par 8 à 2, mais en finale, c’est les Allemands qui ont gagné. Si la CENI avait fait correctement son travail au premier tour, il n’y aurait pas eu de problèmes. Mais lorsque l’arbitre de la demi-finale monte en finale avec des erreurs, il faut bien rectifier le tir.
Sur demande du président Sékouba Konaté, le médiateur nous a appelés pour qu’on s’entende sur un certain nombre de points. Mais cela suppose que les dysfonctionnements du 1er tour soient réglés. Lorsque le président du Faso lui-même est venu en Guinée, il nous a dit de faire un chronogramme. C’est connu, ce sont les mauvaises organisations de scrutins qui sont toujours la cause des guerres civiles en Afrique.
Donc pour éviter que la Guinée replonge, il fallait bien qu’on se mette d’accord sur la nécessité de résoudre les problèmes qui sont posés, c’est à ce moment que nous avons demandé que les listes électorales soient affichées et que chacun puisse y avoir accès, que les nouveaux bureaux de vote soient effectivement installés avec les urnes, que les enveloppes soient sécurisées. Que le gouvernement apporte tout son soutien technique à la CENI. La CENI a reconnu devant le Groupe de contact international (GCI) qu’elle n’a les moyens ni matériels ni techniques d’organiser les élections.
Une de vos réclamations matricielles était d’adjoindre le ministère de l’Administration territoriale et des Affaires politiques (MATAP) à la CENI. Cette exigence ne semble pas avoir été prise en compte dans le protocole…
• Lorsqu’on lit le document, il est dit que le gouvernement doit apporter une assistance technique à l’organisation de ce second tour, c’est de cela qu’il s’agit. L’article 2 de la Constitution dit que la CENI doit organiser les élections avec l’assistance technique de l’Administration du territoire.
C’est sur cette notion d’assistance technique qu’on a discuté. Que ce soit par décret ou par autre chose, l’essentiel est qu’on reconnaisse que la CENI seule ne peut pas organiser les élections. Le MATAP et d’autres ministères doivent donc assister la CENI.
Respecterez-vous le modus vivendi électoral que vous avez signé devant le médiateur, Blaise Compaoré ?
• Vous savez, moi, je veux la paix en Guinée. Et cela veut dire que je n’accepterai pas que la fraude gigantesque qu’il y a eu au premier tour se répète au second. Après le premier tour, j’ai eu à appeler mes militants au calme, mais si la finale ne se passe pas normalement, les Guinéens ne l’accepteront pas.
Nous avons demandé par exemple l’audit du fichier informatique, à défaut, qu’on fasse le comptage manuel. Si ces conditions sont remplies, il n’y a pas de raison que je ne respecte pas le protocole signé à Ouaga.
Chacun des challengers crie à la fraude. Finalement à qui a-t-elle profité si fraude il y a eu ?
• Oh non ! C’est le voleur qui crie au voleur. Nous savons tout ce qui s’est passé au premier tour. Tous les gens qu’on a arrêtés avec les fausses cartes étaient des gens de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le Parti de Cellou Dalein Diallo. Tous les gens qu’on a arrêtés avec des récépissés sont aussi de ce parti.
Ensuite, celui qui a subtilisé les procès-verbaux et ne les a pas transmis à la Cour suprême est le représentant de Cellou Dalein Diallo à la CENI, Boukary Diallo. Ce qui a conduit à l’annulation des élections dans trois (03) préfectures. Le président de la CENI était un dirigeant du parti de Sidya Touré.
Vos adversaires vous accusent d’avoir fait un deal avec le premier ministre Jean-Marie Doré…
• Moi je n’ai aucun accord avec Jean-Marie Doré. La semaine dernière, le gotha économique et tous les commerçants qui sont derrière Cellou, ont demandé à le rencontrer. Ce qui a été fait. Ces commerçants lui ont dit qu’ils souhaitaient qu’il travaille avec Cellou, et en retour le poste de président de l’Assemblée nationale lui reviendrait.
Jean-Marie Doré a dit non. Vous pouvez vérifier tout cela avec le Premier ministre. Mais demandez-lui si j’ai eu, moi, à lui proposer quoi que ce soit.
Peut-être que vous attendez d’être élu pour lui proposer quelque chose ?
• Moi, je suis pour la rupture avec les gestions passées, et je ferai un gouvernement crédible. J’ai été clair sur ce point. A toutes les réunions, je l’ai répété, je lutte pour le changement, cela fait 40 ans que je me bats dans ce sens. Le peuple guinéen est descendu dans la rue en janvier-février 2007, il y a eu plus de 400 morts, tout cela pour le changement. Ma position est claire.
44% pour Dalein et 18% pour vous. Avec cet écart du premier tour, qu’est-ce qui vous fait croire que vous avez vos chances au second ?
• Ces chiffres n’ont aucune signification. Le corps électoral guinéen est de 4 270 000 électeurs. Le suffrage exprimé au 1er tour est de 1 700 000 voix sur les 4 millions. Mon adversaire a obtenu 700 000 voix, c’est infime par rapport à 4 millions.
Ensuite, Sidya Touré, qui est arrivé en 3e position, a dit à tous les leaders politique que 30% de son bureau politique veulent qu’il aille avec Dalein, mais toute sa base veut qu’il soutienne Alpha. Demandez à la délégation burkinabè qui est partie avec le président du Faso à Conakry : il y avait des banderoles contre Sidya. Lui-même a dit au président Blaise Compaoré, devant nous tous, qu’il faut qu’on aille vite aux élections, car il y a la tension en ville, on l’insulte, etc. Pourquoi les autres leaders, on ne les insulte pas ?
C’est la même chose pour Abbé Sylla : ce dernier est aux Etats-Unis d’Amérique. Celui qui a tout fait pour lui politiquement, c’est le grand Imam de Kindia, de la grande mosquée de Tafori. Mais quand j’ai été à Kindia, l’imam en question a publiquement dit et devant la télé : « Alpha, ce qu’on ne savait pas hier, on le sait maintenant aujourd’hui, que Dieu vous donne le pouvoir, car vous voulez travailler pour le peuple ». Il a répété cela trois fois.
Aujourd’hui, j’ai trois (03) régions derrière moi, la Basse- Guinée, la Haute-Guinée et la Guinée forestière. Un grand nombre de partis me soutiennent, et j’ai avec moi dix- huit (18) candidats, des premiers y compris des candidats peulhs. Tenez : celui qui dirige le parti de feu Siradiou Diallo (que Dieu ait son âme), Ba Ousmane qu’il s’appelle, m’a rejoint ; Alpha Ba Sylla est avec moi.

Aucun candidat peulh n’a rejoint Cellou Dalein : ou ils m’ont rejoint, ou ils sont restés neutres. Boubacar Barry m’a dit qu’il voulait me rejoindre, mais qu’il craignait pour la vie de sa famille.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous n’avez pas une expérience d’Etat ?
• Aucun d’eux n’a une expérience du pouvoir d’Etat. Un Premier ministre n’est pas un président. Moi, j’ai dix fois plus d’expérience qu’eux : j’ai dirigé le mouvement étudiant, je milite depuis près de 40 ans, j’ai côtoyé des chefs d’Etat et j’ai vu comment ils gouvernent.
Un président, c’est quelqu’un qui a une vision, alors qu’un premier ministre est un exécutant. Est-ce que l’un de mes contempteurs a jamais été président ? En outre, un président, c’est celui qui sait gérer les hommes. Or cela fait vingt ans (20) que je dirige le plus grand parti de Guinée.
Siradiou Diallo a géré un parti, Ba Mamadou a géré un parti. Mais Cellou Dalein Diallo, les commerçants lui ont acheté un parti. Il a été onze (11) ans au gouvernement y compris en tant que Premier ministre, mais il n’a jamais été président. Le rôle d’un président, ce n’est pas d’être un technocrate, mais de gérer les hommes.
Un chef d’orchestre…
• Oui. Qui d’entre eux a été un chef d’orchestre ? Les peulhs disent que pour convoyer cent (100) bœufs, il faut un seul bâton, mais pour diriger dix (10) hommes, il faut dix (10) bâtons. Et puis à l’heure place, je ne me vanterais pas, car quand on voit où est la Guinée de nos jours... (rires).
S’ils étaient de bons gestionnaires, on n’en serait pas là. Le pays n’a pas d’électricité ni d’eau, nous sommes le grenier de l’Afrique de l’Ouest et pourtant, aujourd’hui il y a la famine. J’avais eu à dire, lors de la commémoration par le CDP des vingt (20) ans de renaissance démocratique, que je suis à la fois heureux et triste quand je viens à Ouaga. Heureux quand je compare le Ouaga d’aujourd’hui à celui de la Haute-Volta.
Mais quand je vois qu’un pays sahélien comme le Burkina fait mieux que la Guinée, je suis triste. Alors ceux qui ont eu une gestion catastrophique des biens de la Guinée et qui s’en vantent se foutent du monde.
Quels seront vos priorités une fois élu ?
• J’ai été clair : c’est l’autosuffisance alimentaire, la santé et l’école pour tous, les infrastructures, la réconciliation et l’unité nationales. Sous la première République, il y a eu le camp Boiro, sous la IIe République, il y a eu beaucoup d’exactions. Moi, j’ai été condamné à mort par contumace par la Ire République.
Mais à la mort de Lansana Conté, j’ai rassemblé cent cinquante (150) imams et nous avons été à Wawa (NDLR : village de Conté) pour une lecture du Coran et des sacrifices pour le repos de son âme. A Wawa, j’étais avec les enfants de Conté, à Conakry j’ai fait la même chose avec deux cent cinquante (250) imams pour Sékou Touré, dont les enfants étaient à côté de moi.
Et j’ai envisagé après le transfert des cendres de Lansana Beavoguy (1) à Kindia de faire la même chose pour lui et Saifoulaye Diallo (2). En faisant cela, je montre aux Guinéens que j’ai tourné la page. J’envisage d’organiser une conférence Vérité et Réconciliation afin que ceux qui ont fait du mal aux autres reconnaissent leurs torts et que ceux qui ont subi des préjudices acceptent de pardonner.
J’ai toujours dit que je serais à la fois le Mandela et le Obama de la Guinée : le Mandela parce que je veux réconcilier les Guinéens, et le Obama parce que je veux montrer que les Guinéens peuvent s’en sortir, "we can", disait Obama, nous pouvons transformer la Guinée.
Pas de chasse aux sorcières, notamment contre les Soussous, l’ethnie du président Conté ?
• Certains ont dit que je voulais me venger des Soussous. Mais comment expliquez-vous alors que les gens les plus mobilisés derrière moi aujourd’hui soient les Soussous ?
Les femmes Soussous disent même qu’elles vont me porter au dos jusqu’au palais de Sékoutoureya. Leurs slogans : « Woyin Toffè » (levons-nous), « Ayerè Koffè Ayè willi » (c’est notre affaire, levons-nous !). On dit aussi que nous sommes contre le Peulh. Mais qui a ethnisé les débats ? Si vous vous rappelez les événements du 28 septembre 2009, Cellou a dit qu’on a tiré sur lui parce qu’il était Peulh. Est-ce qu’au moment où on tirait sur les gens, on savait qui était Peulh ou Malinké ?
Ensuite, c’est le seul pays où on parle de tour au sujet de la présidence : « telle ethnie a gouverné, telle autre aussi, c’est à notre tour ». Lorsqu’on présente un programme ethnique, ne soyez pas étonné que les autres y réagissent. Si je devais me venger, ce serait contre la famille de Conté d’abord, or cette famille me considère comme l’un de ses membres. La preuve, la sœur de Conté était chez moi à Paris le 1er septembre dernier, les enfants de Conté viennent me voir.
Le président Dadis m’appelle grand frère, et c’est moi qui suis allé accueillir la dépouille de son fils au bas de l’échelle de l’avion. Tout le monde a vu cela à la télévision. Pour moi, ce qui compte, c’est que la Guinée a besoin de se développer, car si la Guinée se développe, c’est toute l’Afrique de l’Ouest qui le sera. Nous pouvons être, en trois ans, autosuffisant et vendre du riz au Mali au Burkina et au Sénégal.
Nous pouvons, également par nos richesses minières, nous développer. Mais autant je suis contre le bradage des richesses, autant je le dis publiquement, ces richesses ne sont pas seulement pour les Guinéens. Les autres pays africains peuvent en profiter.
J’étais président de la FEANF qui avait comme mot d’ordre : unité nationale, unité africaine et indépendance africaine. Mes objectifs d’étudiant n’ont pas changé : l’unité, l’indépendance africaines sont indispensables aux Africains. Je préfère être préfet ou sous-préfet dans une Afrique unie que d’être président d’un micro-Etat.

Si vous êtes élu, formerez-vous un gouvernement d’union nationale ?

• Non seulement je l’ai dit mais je l’ai écrit dans le livre que je viens de publier. J’ai dit que si la France a pu se relever après les deux guerres mondiales, c’est parce que De Gaule a fait un gouvernement qui allait du MRP aux communistes et les ouvriers, communistes en majorité, ont augmenté la cadence dans les mines.
Dès qu’il y a eu la guerre froide et que les communistes ont été chassés du gouvernement, les grèves ont commencé. La Guinée, aujourd’hui, est comme un pays qui sort de guerre. Tout y est à faire ou à refaire. J’ai eu un débat sur le gouvernement d’union nationale avec Laurent Gbagbo, quand il était dans l’opposition.
Il m’a dit qu’un tel gouvernement était antidémocratique. Pour lui, il faut l’opposition et la majorité. Je lui ai dit non : toi, tu as le courant, l’électricité, le café, le cacao, deux avions Gruman chez toi, mais en Guinée tout est à faire. Nous n’avons pas le temps. Une fois élu, on doit avoir un programme minimum et travailler à sortir ce pays de sa situation actuelle.

Interview réalisée par Boureima Diallo et Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
Notes :
(1) Ancien premier ministre de Sékou Touré.
(2) Président de l’Assemblée nationale sous Sékou Touré.
© L’observateur Paalga
lundi 6 septembre 2010 par L’observateur Paalga
© Copyright Afriscoop

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