vendredi 17 septembre 2010

Côte d'Ivoire, Ghana - Black Diamond: quand le foot rétablit l'esclavage

(Marianne 17/09/2010)
Les «black diamonds», ce sont ces jeunes joueurs de foot surdoués du Ghana ou de Côte d'Ivoire que s'arrachent les requins du milieu, quand ils ne les escroquent pas tout bonnement. La réalisatrice Pascale Lamche consacre au sujet un documentaire qui vient de sortir en salles. Il vaut vraiment le coup d'oeil.
«Monsieur Blatter vous avez qualifié de nouvel esclavage le transfert de jeunes joueurs africains. J’ai besoin que vous me disiez ce que vous entendez par là. » C’est par cette question que s’ouvre Black Diamond, le film de la réalisatrice Pascale Lamche consacré à ce sujet. Il faut attendre la fin de ce documentaire très réussi pour connaître la réponse formulée par le patron de la Fifa, à l’occasion d’une conférence de presse tenue en Afrique du Sud peu avant la dernière Coupe du Monde. Le délai tient bien sûr à l’artifice du montage mais plus profondément à l’embarras de Sepp Blatter, grand ordonnateur du foot business moderne dont le pillage de la jeunesse africaine est une des conséquences les plus choquantes. « C’est une question clef », annonce le Suisse multi millionnaire avec la grande sincérité qui a fait sa réputation, « et donc la Fifa ne validera plus les transferts de joueurs mineurs….. »
On prête à Charles Pasqua la paternité du célèbre et en réalité très ancien aphorisme, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient . » Blatter et sa bande de requins font partie de ce club des menteurs jamais à court de bobards. Aux vœux pieux et solennels de la Fifa, Pascal Lamche oppose les réalités du terrain, principalement au Ghana et en Côte d’Ivoire où des maquignons de toutes couleurs se disputent âprement les fameuses pépites noires dont ils attendent un enrichissement rapide. L’intérêt de son travail est de montrer la variété des recettes mises en oeuvre pour exploiter la misère, la crédulité comme l’immense espoir que placent dans le foot des milliers d’ados (et leurs familles) grandis dans les bidonvilles d’Accra, échoués à l’orphelinat de Bingerville, près d’Abidjan ou inscrits, à prix d’or, dans de pseudo centres de formation dirigés par d’authentiques salopards. A intervalles réguliers, la réalisatrice raconte par exemple les mésaventures du jeune Anderson, abandonné en Tunisie après que sa sœur eut donné presque un million de francs CFA (environ 1500 euros, une fortune…) à des agents véreux censés booster la carrière du jeune homme. L’un d’entre eux pousse d’ailleurs le cynisme en décrivant le plus tranquillement du monde le sort que ses collègues supposés moins honnêtes réservent à ceux qu’ils parviennent à piéger.
Black Diamond s’attarde aussi longuement sur les menées d’une sorte de multinationale de la « détection des talents », Aspire Academy for Sport Excellence, financée par des pétrodollars qataris. Dans ce cas, il n’est plus question d’arnaque artisanale mais d’un projet à grande échelle portant sur près de 700 000 jeunes joueurs des pays du Sud. Ambition avouée : assurer la promotion des footeux déshérités mais si doués… But réel : dégoter les nouveaux Drogba, Etto et Essien, sources de juteux profits pour les titulaires des droits. Et tous les moyens sont bons pour y parvenir, notamment, au Ghana, un concours façon Nouvelle Star du foot, organisé en collaboration avec une télé locale et un gros opérateur de téléphone. Le gagnant intégrera éventuellement un club européen pendant que l’immense majorité des laissés pour compte pourra toujours continuer à y croire. Dominé par des personnalités comme Sandro Rossel, le nouveau président du FC Barcelone et ex-cadre dirigeant de Nike, Aspire se révèle être en fait une véritable chaîne industrielle d’approvisionnement en marchandises humaines. Rien que de très contemporain en somme. Ou de très ancien puisque Pascal Lamche rapproche ces pratiques des antiques traites qui ont un temps vidé l’ Afrique de ses forces vives. Balck Diamond est à conseiller à tous les amoureux de la L1, le plus « africain » des championnats européens. Ceux qui évoluent à ce niveau sont en partie et temporairement tirés d’affaire. Mais dans le film de Pascal Lamche, les autres, tous les autres, ont des sourires tristes, des visages résignés ou encore du rêve dans le regard. Visibles dans quelques salles depuis mercredi.
Alain Léauthier - Marianne
Vendredi 17 Septembre 2010
© Copyright Marianne

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire