jeudi 16 septembre 2010

Au Mozambique, les fragilités d'un miracle tant vanté

(Le Monde 16/09/2010)
Et si le Mozambique constituait un modèle des contradictions accompagnant les économies africaines en voie de décollage ? Après les ravages de la guerre civile (1977-1992, un million de morts), les progrès réalisés par ce pays du bord de l'océan Indien depuis la paix et les premières élections générales de 1994 se sont manifestés par une croissance se situant à 8 % en moyenne. Quand les Mozambicains, encore récemment, cherchaient les signes visibles de la résurrection nationale, ils remarquaient que le nombre de vélos avait doublé dans le pays en moins d'une décennie. La multiplication des bicyclettes n'est pas chose prise à la légère dans le Mozambique rural, mais on est loin de voir se matérialiser les résultats de plus de dix ans de croissance soutenue et de redressement économique soutenu par les bailleurs de fonds et l'arrivée d'investisseurs étrangers. S'il y a un "miracle", il demeure peu visible dans la campagne et les barrios, les quartiers pauvres de la capitale, Maputo, où la moitié de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté.
Un rand très fort
Les premières émeutes de 2008 contre la vie chère auraient pu constituer une mise en garde. Elles se sont reproduites début septembre. Des manifestants sont descendus dans les rues pendant trois jours d'affrontements, qui ont fait 14 morts et 400 blessés.
Les prix s'envolent parce que l'économie du pays est arrimée à celle du voisin sud-africain, dont la monnaie locale, depuis le 1er janvier, a perdu 43 % de sa valeur face à un rand très fort. Par ailleurs, le prix des céréales (importées d'Afrique du Sud) a augmenté sur le marché mondial. Mais les raisons du malaise sont multiples. En février 2009, un rapport du Peer Review Mechanism (mécanisme de contrôle par les pairs) de l'Union africaine avertissait des risques qu'éclate, dans le pays, un "conflit avec des bases sociales".
Le Mozambique, qualifié de "petit chéri" de la communauté internationale, a reçu 15 milliards de dollars d'aide au développement depuis la fin de la guerre. Premier pays d'Afrique éligible pour l'initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), il a bénéficié d'une série d'annulations de dettes, cumulant avec l'effacement d'1,3 milliard de dollars en 2006 par la Banque mondiale. Dans la même période, le Mozambique a redressé ses comptes, procédé à des réformes, privatisé 1 200 sociétés publiques et s'est ouvert aux investissements extérieurs.
Dans un premier temps, l'Afrique du Sud s'est taillé la part du lion, relayée à présent par de nouveaux venus de poids, notamment des groupes miniers australiens, brésiliens ou chinois engagés dans une "ruée" vers l'extraction des réserves de charbon du nord du pays - entre 10 et 15 milliards de tonnes, l'un des plus importants gisements encore non exploités de la planète.
Le Mozambique est dépendant des bailleurs pour financer la moitié de son budget. En mars, l'ensemble des bailleurs, réunis dans un "G19", se sont mis "en grève de l'aide", dénonçant la "relation symbiotique croissante entre le parti au pouvoir et l'appareil d'Etat". La confiscation du pouvoir par l'ex-parti unique et la confusion des responsabilités entre l'élite politique et l'élite économique, sous la tutelle d'un président, Armando Guebuza, surnommé "Guebusiness", pourrait être un frein pour le Mozambique, en dépit de tous ses atouts économiques.
Jean-Philippe Rémy
Johannesburg Correspondant régional
Article paru dans l'édition du 16.09.10

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