jeudi 16 septembre 2010

Afrique du Sud -Disparition de Lewis Nkosi, grande figure de la littérature sud-africaine

Lewis Nkosi était né en décembre 1936 dans le KwaZulu Natal.
FlickrPar Tirthankar Chanda
Romancier, homme de théâtre, critique littéraire, journaliste et universitaire, Lewis Nkosi était une grande figure de la vie littéraire sud-africaine. Sa disparition à l’âge de soixante-quatorze ans, le 5 septembre dernier, à Johannesburg, est une immense perte pour l’Afrique du Sud - qui compte peu d’écrivains noirs de sa stature et de son talent.
C’est en 1983 que le Sud-Africain Lewis Nkosi s’est fait connaître en publiant son premier roman Mating Birds. Il y raconte les derniers jours d’un jeune prisonnier injustement condamné à mort par les tribunaux sud-africains. L’étudiant zoulou Sibiya a eu beau expliquer aux jurés que le viol de la jeune Anglaise à la chair rose dont on l’accuse n’était pas un viol, mais un rapport mutuellement consenti, sa parole d’homme noir n’a évidemment pas fait le poids dans un pays où domine l’idéologie de la supériorité raciale…
Un conteur hors pair et un intellectuel engagé
Traduit de l’anglais sous le titre Le Sable des Blancs (Dapper 2002), ce beau récit des désirs inassouvis et de la révolte de la jeunesse noire, qui vit la ségrégation dans sa chair, a fait le tour du monde et s’est imposé comme l’un des textes littéraires les plus représentatifs de la violence des relations humaines sous l’apartheid.
Interdit par le régime d’apartheid lors de sa parution, ce roman a été comparé par la critique internationale à L’Etranger de Camus pour son style désincarné et sa structure narrative complexe.
Son auteur, Lewis Nkosi, qui vient de mourir à Johannesburg, était un conteur hors pair et un intellectuel engagé. Né en 1936 dans la province de Natal, le jeune homme a grandi à Durban où il a fait ses études secondaires. Sa sensibilité sera formée par sa collaboration au périodique Drum qu’il rejoint en 1956, au terme de ses études. Fondé au début des années 1950 par le britannique Jim Bailey, ce magazine avait pour principale caractéristique d’être produit par une équipe de journalistes noirs, pour un lectorat également noir et urbanisé. Il proposait des témoignages sur la réalité des vécus de la population noire, racontés dans le langage de la rue, tapageur et pittoresque à souhait. Tiré à près de 70 000 exemplaires, Drum fut un véritable creuset, dont est sortie une nouvelle génération d’écrivains noirs : Can Themba, Bloke Modisane, Ezekiel Mphalele, Peter Abrahams…
Le jeune homme le plus en colère
Et bien sûr le turbulent Lewis Nkosi, désigné par ses pairs de « that angriest young man » (le jeune homme le plus en colère), à cause de ses articles qui dénonçait la politique raciste du gouvernement sud-africain qu’il qualifiait de « terriblement malsaine ». Le jeune homme en colère va devoir bientôt partir en exil.
Ses talents vont lui ouvrir en effet les portes de l’université de Harvard où il part en 1960 pour étudier le journalisme. Le cœur gros, car afin d’obtenir le fameux visa de sortie délivré par les autorités de son pays, il a dû renoncer à sa nationalité sud-africaine. « A l’époque, telle était l’attraction de Harvard que j’avais l’impression que je n’avais rien à perdre en quittant mon pays. » Mais l’exil sera long et douloureux et l’homme ne pourra retourner dans son pays qu’en 1991, après la fin de l’apartheid.
C’est pendant son exil que Lewis Nkosi a rédigé l’essentiel de son œuvre, composée de pièces de théâtre, de nouvelles, de romans et surtout d’essais critiques sur les lettres sud-africaines. Spécialiste reconnu de l’histoire littéraire africaine, il a enseigné la littérature dans différentes universités, de Londres à la Californie, en passant par la Zambie et la Pologne. Il a également publié des articles dans des publications aussi prestigieuses que Contact, New African, Transition, The Guardian et The London Review of Books.
Des classiques de la théorie littéraire africaine
Ses essais théoriques et analytiques sur la littérature sont réunis notamment dans Home and Exile (Longman 1965) et Tasks and Masks : Themes and styles of African literature (Longman 1981) : des volumes devenus des classiques de la théorie littéraire africaine. Des textes qui explorent la richesse et l’originalité de la créativité littéraire en Afrique, mais n’hésitent pas à pointer du doigt les faiblesses des auteurs contemporains, notamment leur penchant pour la chronique sociale. Sa remarque concernant les romanciers noirs sud-africains auxquels il reproche d’écrire « comme si Dostoïevski, Kafka ou Joyce n’ont jamais vécu », lui a valu de nombreuses critiques.
Auteur exigeant et prolifique, Lewis Nkosi a publié un nouveau roman en 2006, Mandela’s Ego, traduit en français par les éditions Actes Sud sous le titre ludique Mandela et moi. Récit truculent qui mêle en effet avec brio le badinage, le sexe et la quête identitaire d’un jeune héros admirateur inconditionnel de Mandela, cet ultime opus illustre à merveille l’art narratif de ce maître conteur teinté à la fois de fantaisie et de profondeur subversive.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire