lundi 16 août 2010

Togo - La minute 43 qui ébranle la Françafrique

(L'international Magazine 16/08/2010)
Il aura suffit d’une simple vidéo de 1’ 43 bien placée sur le net pour démontrer par l’image et le son que les journalistes n’écrivent pas que des bobards à longueur de colonnes lorsqu’ils parlent de la Françafrique.
Si vous allez dans Youtube en utilisant le lien ci-dessous indiqué, regardez et surtout écoutez bien les propos tenus par le colonel « panaché » Romuald Letondot à un journaliste connu du journal « Liberté » de Lomé, Didier Ledoux de son nom de plume.
Dans la vidéo mise en ligne mercredi sur Youtube, on découvre l’officier français qui se présente comme le « conseiller spécial du chef d’Etat-major de l’armée de terre » togolaise menacer le reporter qui venait de le prendre en photo.
« J’étais sur le lieu de la manifestation quand j’ai vu cet officier français faire de grands gestes aux forces de l’ordre, j’ai décidé de le prendre en photo comme j’aurais pris tout les mouvements qui auraient pu sembler particulier » raconte Didier Ledoux aux Inrocks.
Le journaliste, identifiable par son gilet de presse délivré à toutes les rédactions du pays par le bureau des Nations unies du Togo, se fait agresser verbalement par le militaire français qui le somme d’effacer les photos de lui qu’il vient de prendre.
"Je m’en fous que tu sois de la presse. Tu enlèves ta photo sinon c’est moi qui le pend. […] Tu veux qu’on te donne un coup sur l’appareil ? Moi on ne me prend pas en photo comme ça", peste l’officier.
« Moi je couvrais l’événement » lui répond simplement Didier Ledoux. Le militaire français presse alors les soldats togolais qui l’entourent d’embarquer le journaliste avant de menacer :
« Tu le mets en taule, si… Tu sais qui je suis ? Je suis le conseiller du chef d’Etat major de l’armée de terre. Est-ce que tu veux que j’appelle le RCGP pour foutre un peu d’ordre là-dedans ?"
Le journaliste raconte par ailleurs que les forces togolaises l’ont « bousculé ». Didier Ledoux évoque mercredi sa « frustration » à l’idée d’avoir vu « un officier français se comporter exactement comme les forces togolaises avec les journalistes au quotidien ».
Letondot au Togo
Ce militaire au Togo s’est conduit comme « Tintin au Congo ». Plein de morgue et d’assurance, il tutoie, commande ,ordonne aux gendarmes, menace de représailles les journalistes. En un mot comme en cent, ne lui manquait plus que la chicotte pour que l’on se retrouve, 50 ans après l’indépendance du Togo, au « bon temps » des colonies.
Certes, « Monsieur le colonel » comme l’appelle si poliment Didier Ledoux s’est excusé de ses propos et le journaliste a accepté ses excuses dans les locaux mêmes de l’ambassade de France et devant le Chargé d’Affaires. Il n’en reste pas moins que les phrases prononcées par le militaire français, demeurent inacceptables. En trois jours, cette vidéo a été visionnée par plus de 225 000 internautes.
Cette vidéo a été tournée par un autre journaliste Noel Kokou TADEGNON correspondant de Reuters TV, qui a d’ailleurs jugé plus judicieux, de la mettre sur son site Facebook plutôt que de l’envoyer à son agence, la dite vidéo a ensuite, grâce à un ami, atterri sur You Tube.
Le petit colonel a-t-il mesuré les effets dévastateurs de son intervention ? Sans doute pas ! Dans un entretien accordé au site internet de l’Express.fr, il s’explique en toute ingénuité « J’ai remarqué qu’un photographe me prenait en train de commander aux gendarmes, et je savais que cela allait être mal interprété. C’est pour cela que j’ai demandé au reporter d’effacer sa photo. » La solution choisie a été pire que le mal.
Pour la petite histoire
Admettons les explications de Monsieur Letondot. En ce 10 août, Lomé est en pleine manifestation alors que l’UFC (Union des forces de changement) tient son congrès extraordinaire. Le sieur Letondot en uniforme, au volant de sa voiture, s’en va payer ses impôts. Dans quelques semaines, il rentre en France et tient à remplir ses obligations fiscales avant de quitter le Togo.
Pris à parti par des jeunes manifestants qui caillassent sa voiture, il s’adresse aux gendarmes lorsqu’il aperçoit un reporter en train de le photographier. Comme il est au Togo et pas en France, il lui semble tout naturel d’aller menacer le journaliste pour qu’il efface la photo, de faire détruire au besoin son appareil par les gendarmes, au nom de son « droit à l’image ».
Pour le journaliste Didier Ledoux, la présence d’un colonel français en uniforme en train de donner des ordres aux gendarmes togolais lors d’une importante manifestation de rue, c’est l’occasion d’une photo qu’il ne faut pas rater. Il ne la rate pas. Pas un seul journaliste au monde n’aurait fait autrement.
L’attitude de l’armée française en Afrique n’en sort pas grandie.
Pour les thuriféraires du colonel qui sur internet volent à son secours, le droit à l’image et à la protection de sa vie privée, lui donne toutes les excuses. C’est oublier un peu vite que ce droit à l’image ne s’exerce qu’après la publication d’une photo et pas avant. Les « peoples » le savent bien même si certains comme le colonel ont la mauvaise habitude de s’en prendre aux journalistes. C’est le cas par exemple de l’époux de la princesse Caroline de Monaco, Ernst August. L’irascible altesse a en 1999 dû débourser 15 000 marks – 7 500 euros – de dommages et intérêts pour avoir asséné plusieurs coups de parapluie sur le crâne d’un cadreur qui avait eut l’audace de le filmer.
Dans cette affaire, ce n’est pas la photo qui n’a d’ailleurs pas été publiée par le journal « Liberté », qui fait son intérêt mais bien les propos tenus dans la vidéo par le militaire. Les autorités françaises, le Quai d’Orsay comme la Défense les ont fortement condamnés.
C’était le moins qu’elles pouvaient faire. Il n’en reste pas moins que le mal est fait. L’attitude de l’armée française en Afrique n’en sort pas grandie. Cet officier semble avoir oublié ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire. Gageons que sa carrière ne sera pas pour autant interrompue et qu’il gagnera ses galons de « colonel plein », il est moins sûr en revanche qu’il remette un jour les pieds en Afrique.

Bernard Derty
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