samedi 14 août 2010

Tchad -Le président veut-il plus d'argent ou moins de soldats français ?

(Courrier International 14/08/2010)
A l'occasion du 50e anniversaire de l'indépendance du Tchad, le 11 août, son président, Idriss Déby, a demandé une contrepartie financière à la présence du dispositif militaire français Epervier en place depuis 1986. Le quotidien burkinabé Le Pays s'interroge sur les raisons de cette décision "soudaine et audacieuse".
Le président tchadien Idriss Déby, N'Djamena, 22 juillet 2010
Sans doute est-ce un acte de courage ; mais faut-il vraiment prendre le président tchadien Idriss Déby au sérieux lorsqu'il remet en cause la présence militaire française dans son pays ? Selon le chef de l'Etat tchadien, l'opération Epervier [mise en place en 1986] ne joue plus son rôle. Par conséquent, il exige désormais de la France le versement d'une contrepartie financière à son pays, si elle tient à y maintenir une présence militaire. En réponse, ses bienfaiteurs de l'Hexagone se disent "prêts à examiner" cette demande de N'Djamena.
La décision tchadienne étonne par sa soudaineté mais aussi par son audace. Déby, qui doit la survie de son régime aux Français, serait-il devenu si sûr de ses arrières qu'il peut se permettre d'exiger leur départ ? Le dispositif Epervier serait-il subitement devenu inutile ou anachronique ? L'armée française, qui est puissamment armée et royalement installée sur le sol tchadien - notamment à l'aéroport de N'Djamena -, peut-elle vraiment plier bagages ?
Fait curieux également : l'approbation des Français. Comme si de rien n'était, ou comme si l'on avait déjà accordé ses violons. Nul n'ignore en effet que le Tchad a toujours constitué un point d'appui important pour l'armée française. Et, puisque celle-ci a de tout temps nourri des ambitions géostratégiques réelles dans la région, il y a de quoi s'interroger sur les perspectives qui s'annoncent pour les deux camps. Quoi qu'il en soit, si Paris entend rester et payer, c'est qu'il y a des intérêts. Et ceux-ci ne peuvent cesser d'être hégémoniques, c'est-à-dire opposés à ceux du peuple tchadien. Mais pourquoi une telle prise de position dans la foulée du cinquantenaire de l'indépendance du Tchad ? Simple coup de bluff ? Effet d'annonce ? Chantage ou ardent désir de voir partir ceux qui symbolisent aujourd'hui la survivance du néocolonialisme ? La soudaine prise de décision de Déby traduirait-elle une déception ou un agacement ?
On sait que le chef de l'Etat tchadien a fait la part belle aux Chinois en matière d'exploitation du pétrole. Il peut donc se permettre certaines hardiesses au risque d'accentuer le dépit de ses amis occidentaux. Déby voudrait-il alors plus d'argent ou moins de soldats français ? Par ailleurs, il s'est réconcilié avec son voisin ennemi de toujours : le président Omar El-Béchir du Soudan. Cela est d'autant plus encourageant pour Déby qu'il sait que son homologue de Khartoum tenterait difficilement à nouveau de lui nuire. En effet, le président El-Béchir a intérêt à soigner davantage son image et à s'attirer la sympathie des dirigeants des pays membres de l'Union africaine (UA). Parce que la Cour pénale internationale (CPI) fait planer au-dessus de sa tête une épée de Damoclès. Les retrouvailles soudano-tchadiennes ont eu pour conséquence l'amorce de négociations, suivies du retour à N'Djamena des forces rebelles. Un autre "ouf" de soulagement pour Déby, car les rebelles harcelaient continuellement les troupes tchadiennes en prenant appui sur le contrefort soudanais.
Par ailleurs, Déby sait que Sarkozy entend réviser la présence militaire française en Afrique. Des dispositions ont d'ailleurs été prises en ce sens au Sénégal. A Paris, on se préoccupe d'abord et avant tout de réduire les dépenses publiques pour mieux soigner le déficit français. En tant qu'ami, donc en tant que bénéficiaire du soutien et des largesses de la France, le chef de l'Etat tchadien n'ignore pas que, pour des raisons budgétaires, le président Sarkozy envisage très sérieusement le départ du dispositif "Epervier". Il pourrait vouloir prendre les devants et reprendre à son compte un éventuel départ des soldats français. Mais pourquoi ce tohu-bohu ?
D'une part, l'occupant actuel de l'Elysée est en baisse dans les sondages. En vue de l'élection présidentielle de 2012, il prendra donc soin de ne pas compromettre ses chances. Il voudra éviter, entre autres, de se laisser distraire par des joutes oratoires, lancées depuis le continent africain, à propos de promesses non tenues. Car, en plus de Déby, il se trouvera certainement d'autres leaders, issus notamment de la société civile africaine, pour s'en prendre à ses visées néocolonialistes. D'autre part, ne dit-on pas que l'occasion fait le larron ? Idriss Déby veut peut-être faire d'une pierre deux coups : faire taire les critiques à son endroit, tout en espérerant revêtir le manteau de héros de la croisade anticolonialiste. Cela le rapprochera inévitablement de certains courants fermement opposés à la présence de telles forces, comme le camp Kadhafi de Libye. Avec un tel changement de cap, Khadhafi sera d'autant plus attentif et généreux que le président tchadien aura aussi fait preuve de leadership à la tête de la CEN-SAD. Certes, on peut ne pas aimer Idriss Déby ; mais sa décision relève d'un certain pragmatisme. Pour l'heure, elle arrange tous ceux qui dénoncent depuis longtemps la présence de forces étrangères en Afrique et qui rêvent de les bouter hors du continent. Dans cette perspective, la position du chef de l'Etat tchadien aura au moins l'avantage de clarifier la mission des forces françaises dans la région ; car celle-ci apparaît fort nébuleuse aux yeux des Africains. 

Lassané 
Le Pays
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