mercredi 11 août 2010

Paul Kagamé, l'homme fort du Rwanda, réélu

(Le Monde 11/08/2010)
Paul Kagamé n'a pas eu besoin d'attendre la fin du dépouillement de la présidentielle du lundi 9 août pour célébrer sa victoire. Une victoire écrasante qui lui offre le droit de commencer un nouveau septennat, après seize ans, déjà, passés à la tête du Rwanda. Les résultats définitifs le créditaient, mercredi 11 août, de 93 % des voix, un score fort peu démocratique nourri par les incontestables succès économiques du président, mais qui conforte aussi tous ceux – de plus en plus en plus nombreux à l'étranger ou parmi ses ex-alliés tutsis du Front patriotique rwandais (FPR) – qui critiquent la dérive autocratique de l'ancien rebelle.
UNE DERIVE ANCIENNE
"Au cours des six premiers mois de l'année, Human Rights Watch a documenté une inquiétante combinaison d'intimidation, de harcèlement et autres abus – depuis des assassinats ou arrestations jusqu'aux mesures administratives restrictives – contre des partis d'opposition, des journalistes, des membres de la société civile et autre critiques", écrit l'organisation de défense des droits de l'homme. Une inquiétude partagée par l'administration américaine qui, jusqu'à récemment encore, ménageait ses critiques contre Paul Kagamé.
L'ancien rebelle s'est défendu d'orchestrer ces violences. Il rappelle volontiers que sous son "règne" la peine de mort a été abolie, ou qu'il a fait libérer des milliers de "génocidaires" hutus pour les inclure dans un vaste programme de réconciliation nationale. Pourtant, depuis que ce Tutsi a pris les rênes d'un pays ravagé, il a démontré que le partage du pouvoir n'était pas sa principale qualité. C'était en 1994, au lendemain de sa victoire militaire contre le régime hutu qui venait d'organiser les cents jours du génocide.
DISCIPLINE DE FER
Avant le déclenchement du "crime des crimes" de 1994, la vie de Paul Kagamé avait déjà été placée sous le signe funeste des violences interethniques. Né en 1957 à Gitarama (centre du pays) dans une famille de sang royal, il n'a que 4 ans lorsqu'il doit fuir son pays en proie à un déferlement de violences anti-tutsi. Son enfance, il la passera dans un camp de réfugiés rwandais en Ouganda voisin. C'est là qu'il rencontre Yoweri Museveni avec lequel il se lie jusqu'à faire partie, en 1981, de la poignée de membres fondateurs de la rébellion ougandaise. Celle qui allait porter, les armes à la main, Yoweri Museveni à la présidence du pays (présidence qu'il occupe toujours).
Austère et longiligne, Paul Kagamé s'occupe alors des services de renseignement. Puis en 1990, lorsque le chef de la rébellion rwandaise basée en Ouganda est tué au combat, Paul Kagamé est propulsé à la tête du FPR. Il réorganise alors ses troupes soumises à une discipline de fer. C'est à leur tête qu'il entre victorieusement dans Kigali en 1994. Vice-président, mais véritable homme fort du pays, puis président élu par un Parlement aux ordres en 2000, il a enfin l'opportunité d'accomplir ce qu'il considère comme sa mission : reconstruire son pays, fut-ce au prix de l'assujettissement de la population ou d'aventures militaires dans le riche Congo voisin où se sont réfugiés nombre de génocidaires.
REUSSITE ECONOMIQUE ET POIGNE DE FER
Si le bilan démocratique est sombre, peu contestent la réussite économique. Depuis 2001, la croissance affiche un taux moyen de 6,1 %. En 2009, la Banque mondiale a décerné au Rwanda son titre de meilleur élève. Et, l'ONG Transparency International considère que le pays est le moins corrompu d'Afrique de l'Est, et peut-être de tout le continent noir.
Derrière ces marques de reconnaissance, les opposants dénoncent la mainmise d'une poignée de dignitaires du FPR sur tous les leviers économiques et politiques du pays. C'est en partie pour cette raison qu'une partie de l'élite du parti, écartée de ce grand partage, contesterait aujourd'hui les méthodes de Paul Kagamé. Mais sa réélection à la présidence a montré que l'ancien rebelle n'est pas décidé à passer la main.

Christophe Châtelot
pour Le Monde.fr
11.08.10
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