mercredi 11 août 2010

Les masques de Paul Kagame

(Sud Ouest 11/08/2010)
Qui est Paul Kagame ? Réélu pour sept ans avec un score stalinien, le longiligne président du Rwanda, surgi d'Ouganda en 1994 avec sa milice tutsie, s'est bâti l'image du pacificateur d'une nation amputée par le génocide d'un million de ses citoyens. À Kigali, la carte d'identité ne mentionne plus ni Hutus ni Tutsis. Et c'est à la justice coutumière - les tribunaux gacaca - qu'a été confiée la charge de faire revivre ensemble bourreaux et victimes au petit pays des mille collines, où la densité humaine interdit d'ignorer son voisin.
Le pardon des crimes relève du secret des âmes. Mais la stabilité retrouvée est un fait objectif dont Kagame tire les bénéfices. Chouchou des Anglo-Saxons et des bailleurs de fonds, transfuge de la francophonie passé au Commonwealth et à l'anglais scolaire, oasis pour investisseurs si on le compare à son immense voisin failli d'ex-Zaïre, le Rwanda d'après-génocide fait même figure de petit « dragon » africain : capable de nourrir ses enfants, il s'occupe même d'améliorer l'emballage des denrées agricoles qu'il parvient à exporter. En plus, la corruption y serait négligeable, indices internationaux à l'appui : à Kigali, un policier ne rançonne pas l'automobiliste fautif, il se borne à lui faire faire des pompes sur le bitume.
Mais derrière la vitrine du plébiscite et des allées bien peignées de Kigali, l'arrière-cour pue. La campagne électorale a été émaillée d'assassinats politiques mal dissimulés en crimes de droit commun. Chef des Forces démocratiques unifiées (FDU) et interdite d'élection, Victoire Ingabire témoigne des violences physiques et intimidations infligées à ses partisans. Elle n'est pas la seule.
Cruel quand il servait dans les services ougandais, sans scrupules quand il prit les commandes de l'Armée populaire rwandaise puis celles du FPR, impitoyable avec ses opposants hutus pourchassés dans les forêts du Congo, Paul Kagame reste un combattant sous le costume civil. Il doit désormais faire face aux défections de compagnons d'armes des débuts dont l'un, le général Nyamwasa, a failli être assassiné à Johannesburg le 19 juin.
Échappera-t-il à la dérive clanique de son prédécesseur, Juvénal Habyarimana ? Kagame affirme que le Rwanda forme « un seul peuple ». Mais entre pacification et réconciliation, un chemin escarpé reste à parcourir.

éditorial
11 août 2010 09h09
Par Christophe Lucet
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