mercredi 11 août 2010

La Guinée demeura-t-elle un cas en Afrique ?

(Neoleadership 11/08/2010)
On a en effet parlé de cas guinéen en Afrique à propos de notre pays. La Transition, inaugurée en janvier 2010 et l'élection présidentielle qui devait en découler, avaient semblé sonner la fin de la mise à l'index de la Guinée pour laisser entrevoir un espoir pour l'avenir. C'est ce que les Guinéens dans leur ensemble et les pays étrangers qui s'intéressent à notre pays avaient cru. Il semble que c'était sans compter avec la culture politique qui s'est incrustée dans les mentalités des acteurs politiques et même de ceux qui semblaient avoir compris le sens du mot démocratie dans son acception courante.
La bataille politique comporte certes des périodes rudes mais quand les arrière-pensées visant des intérêts individualistes viennent à supplanter les grands idéaux nationaux que chacun des grands leaders se complait à lancer à profusion, on ne peut qu'éprouver qu'un sentiment de pessimisme pour l'avenir commun guinéen.
De fait, rarement un second tour d'élection prévu et organiquement préparé par la loi (c'est sciemment que j'utilise cette tautologie), n'aura comporté autant d'incertitudes sur sa tenue. On parle du 19 septembre 2010, mais les incertitudes demeurent toujours et rien n'est encore sûr. La tendance que revêt la campagne de ce second tour me semble avoir tourné à la division manifeste du pays en bons ou en mauvais citoyens, c'est selon le bord où l'on se place. Cette division risque d'être plus profonde que jamais. Formuler ce genre d'opinion, en ce moment en Guinée, ne rencontrera que scepticisme de certains acteurs principaux. Notre pays est plus que d'autres, celui où, l'avis qui ne va pas dans le sens qu'on souhaite entendre, est aussitôt balayé d'un revers de main.
Chacun des deux camps du second tour, Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo, mais,dans mon esprit, il s'agit surtout de leurs militants activistes et extrémistes, ne sont pas prêts à écouter autres choses si ce n'est de leur dire que c'est leur camp qui va l'emporter. C'est le comportement moyennement observé de tout militant de base et de partout. Mais ce qu'il faut éviter dans un pays aussi fragile que la Guinée, ce sont les menaces et les foudres d'exclusion, les stigmatisations ethnocentristes, car il va falloir se retrouver après l'élection présidentielle, pour construire le pays ensemble.
C'est à Alpha Condé et à Cellou Dalein Diallo de convaincre leur camp qu'aucune ethnie guinéenne ne constitue en tant que telle un péril pour la Guinée. J'ai la conviction qu'en dehors des fantasmes, il n'y a pas de péril peul autant qu'il n'y a pas de péril malinké pour ne citer que ces deux ethnies des deux candidats en lice.
Si l'on me rétorque que c'est l'ignorance de la réalité sociologique qui me fait écrire cela, je rétorque que ceux qui croient connaître cette réalité, espèrent-ils, qu'en rejetant des compatriotes guinéens, ils aboutiraient à une Guinée apaisée, unie et prête pour un développement solidaire?
Ceux qui parlent de front républicain, comme par mimétismes des réalités d'autres ailleurs, sont ceux qui dressent des pipeaux pour le peuple guinéen. On parle de front républicain quand un danger extérieur ou un fascisme menacent un pays. Les deux candidats guinéens sont certes des adversaires politiques mais pas des ennemis. Une preuve de cette affirmation, est que le gotha du PUP de feu Lansana Conté s'est partagé en rejoignant le RPG d'Alpha Condé et l'UFDG de Cellou Dalein Diallo. Ce choix est leur droit dans une démocratie. Mais cette stratégie du PUP m'est apparue comme pas du tout bête : comme il y aura de toutes les façons un Président élu, son gouvernement qui avait obtenu le ralliement de certains membres du PUP aura du mal à critiquer les mœurs politiques du temps de Conté (gouvernements et Assemblée nationale).
L'ironie du sort des invectives des uns et des autres est que finalement on retrouve des deux côtés ceux qu'on vouait aux gémonies comme des voleurs et des pilleurs de l'économie guinéenne et donc comme responsable de la mise à genoux du pays sous la magistrature de Lansana Conté. C'est compte tenu d'ailleurs de la complexité de cette question en Guinée que je rappelle ce que j'avais écrit dans l'article intitulé Voici venu le temps des campagnes.
Je disais: «Un autre problème sur lequel fulmine la rage vengeresse de certains est constitué par des accusations de corruption et de pillage économique de l'État par ses serviteurs sous Lansana Conté. C'est un vaste problème qui aurait dû être rationnellement traité pendant la période transitoire depuis janvier 2009. Bien qu'on ait parlé d'audits … les opérations n'ont été loin.
Faut-il alors faire de cette question un thème central de campagne? Ma réponse va surprendre plus d'un : je dis non et je m'explique. Le système de corruption et pillage des biens publics de notre pays a commencé dès la Première République malgré son apparente rigueur, avec l'approbation tacite sinon l'encouragement inconscient de toute la société...etc ».
Compte tenu de l'ampleur de ce phénomène de corruption, j'ajoutais que pour la cohésion nationale, il fallait trouver un autre cadre de règlement de cette question que la campagne. Bizarre! Oui, mais c'est l'État guinéen qui est bizarre. Nous voilà face à cette réalité avec la floraison des alliances que personne ne récuse si ce n'est pas pour s'attirer l'alliance de ceux qu'on désignait comme des prédateurs économiques ou autres.
Les extrémistes autour des deux candidats forment donc dès ce second tour, les ferments de l'échec de la politique d'unité nationale du Président élu. Dans cette optique, pourquoi, le Président du RPG admet-il, dans le cadre d'une démocratie que certains de ses partisans clouent au pilori l'alliance de l'UFR de Sidya Touré, de la NGR d'Abé Sylla et d'autres acteurs avec l'UFDG de Cellou Dalein Diallo ? Ne sont-ils pas des Guinéens pour décider de leur alliance avec un autre parti guinéen? De même, pourquoi, le Président de l'UFDG admet-il dans le cadre d'une démocratie que certains de ses partisans clouent au pilori l'alliance du PEDN de Lansana Kouyaté, du RDR de Papa Koly Kourouma, du DRIG de Jean-Marc Telliano et d'autres acteurs avec le RPG d'Alpha Condé? Ne sont-ils pas des Guinéens pour décider de leur alliance avec un autre parti guinéen?
Autant ces vérités primaires sur la démocratie ne seront pas acceptées par tous à commencer par les leaders autant la Guinée demeurera encore loin de ce qu'on peut appeler une démocratie élémentaire. Mais à voir l'allure des choses, certains hommes paraissent disposés à se satisfaire de cette situation même si elle ne doit mener nulle part. Mais qu'on n'oublie pas qu'avec l'évolution des mentalités plus exigeantes que par le passé des jeunes générations de Guinéens, personne ne pourra, à présent, gouverner la Guinée en ne s'appuyant que sur une partie de la population. Le vieux schéma vermoulu de l'enfant de la région ou de l'ethnie au pouvoir signifiant les problèmes résolus pour les congénères ne tiendra plus devant ces exigences.
Toutes ces perspectives doivent plaider en faveur de la formule de gouvernement d'unité nationale. Cela suppose de la part des leaders politiques de faire arrêter dès maintenant les stigmatisations des uns et des autres. Quand on se réfère aux victimes tombées au cours des 50 années passées, il apparaît que ces victimes de l'État sauvage en place, appartiennent aux quatre régions guinéennes. Avec les pics de répression sauvage en 1971 à la suite de l'agression portugaise de 1970, la guerre contre les Peuls en 1977, le "wo fatara" lancé contre les officiers et cadres civils malinkés en 1985, les répressions de janvier-février 2007, les massacres massifs de manifestants aux mains nues en septembre 2009 et où quelques leaders politiques ont failli perdre la vie, quel groupement de Guinéens n'a pas connu le malheur ?
Seule une Conférence nationale de réconciliation entre l'État guinéen et les citoyens à organiser après la mise en place d'institutions républicaines dignes de ce nom, pourra se pencher sur ce lourd passé. Pour en arriver là, il faut que cette élection se déroule sans animosité. Nous n'avons pas d'ennemis en face.
Les responsables de la Transition ont le devoir national de travailler dans ce sens dans le cadre d'une impartialité de traitement des deux candidats. Il doivent savoir que le contexte de rumeurs qui prévaut dans le pays est propice à toutes sortes d'accusation de partialité. Du moment qu'il existe une Cellule technique de Suivi et d'Évaluation du processus électoral dans un cadre conjoint (Ministère de l'Aménagement du Territoire et des Affaires Politiques: matap, Commission Electorale Nationale Indépendante: ceni), le Premier Ministre Jean-Marie Doré , Chef du gouvernement, devrait, enfin, éviter certaines déclarations ambiguës, son ministre du MATAP étant en relation avec le Président de la CENI sur ces questions.
L'échec de cette élection ou même si elle aboutit, l'échec de la nouvelle équipe au pouvoir sera catastrophique pour le pays. En effet, les délais de grâce que les Guinéens accorderont à un pouvoir mal élu ne seront pas longs, s'il n'est pas à fondement d'unité nationale. C'est maintenant qu'il faut donner des gages de ce fondement d'unité en évitant les imprécations d'exclusion. L'épée de Damoclès qu'est l'Armée guinéenne, réformée ou pas, est toujours une réalité de la vie politique guinéenne, tapie dans l'ombre.
On espère que tout le monde a conscience de ce fait d'autant plus qu'une intervention armée venant de l'Extérieur pour rétablir la situation, doit être une option à envisager de moins en moins par les Africains. On a vu, en Guinée, que les dramatiques évènements de septembre 2009, n'ont pas été suivis, hors des menaces verbales, d'effets dissuasifs pour les criminels de cette barbarie. Certains de nos centurions peuvent donc être confortés dans leur position d'impunité. C'est encore une fois pour cette raison que par delà les habituelles invectives de campagnes électorales, les élites guinéennes dans leur ensemble et à tous niveaux, doivent s'investir dans la modération de leurs entourages car la Guinée est une barque pour tous les Guinéens. Il faut éviter des initiatives du type front républicain qui est un front d'exclusion.
Les résistants français utilisaient une émission radiophonique, pendant la Seconde Guerre Mondiale (1939-1945) intitulée « Les Français parlent aux Français », je vais tenter de paraphraser ces mots en écrivant « Les Guinéens doivent parler aux Guinéens ». C'est ainsi que nous aurons la société guinéenne que chacun appelle de ses vœux.
Alors pour les deux candidats en course, je souhaite que le Tout-Puissant Allah aide les Guinéens à choisir le meilleur pour notre pays.

Ansoumane Doré, (Dijon, France)
Pour www.nlsguinee.com
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