lundi 16 août 2010

Gabon - Cinquantenaire : La gestation et la naissance de la nation gabonaise

(Gabon Eco 16/08/2010)
La commémoration du cinquantenaire de l’indépendance du Gabon, ce 17 août, est l’occasion de revisiter l’histoire de la cohabitation pacifique entre les différentes ethnies du Gabon. Une conscience nationale s’est véritablement formée qui ne traduit qu’une seule et même réalité : la nation gabonaise est en pleine vitalité. Portrait synthétique d’une dame jeune de 50 ans et toujours drapée de vert, jaune et bleu.
Le débat sur l’existence d’une nation gabonaise ne s’installe que lorsqu’on veut présenter chaque ethnie comme une entité “nationale”. Si on peut parler de nation Punu, de nation Kota ou de nation Nzébi, il ne faut toutefois pas se perdre en conjecture car aucune de ces supposées nations ne remplira complètement les critères idéologiques, politiques ou philosophiques de la définition moderne et complète d’une nation. Ces micro-nations, intellectuellement controversées, cessent toutes d’exister face à la supra-nation aujourd’hui appelée Gabon.
D’ailleurs, les historiens reconnaissent à la multiplicité des ethnies cohabitant au Gabon une appartenance commune à la grande famille linguistique des Bantou qui pendant des siècles a peu à peu envahi de nombreuses régions de l’Afrique orientale et centrale. Cette famille linguistique Bantou englobe quelque trois cents langues différentes apparentées. Autrement dit, les Bantous recouvrent des populations très variées, ayant adopté ou adapté à la leur, une langue formée par un petit noyau originellement homogène
On situe au XIème siècle l’arrivée au Gabon, par vagues successives, des peuples Bantou. Les M’Pongwé du groupe Myéné auraient été suivis des Bakelé, des Okandé, des Bakota et des Bakwelé au Nord, tandis qu’au Sud ce sont les Eshira, les Bapunu et les Balumbu. Au XVIIIe siècle affluent au Sud-Est toutes les ethnies formant actuellement le groupe M’Bedé comprenant les Bateké. En même temps que les Bateké, depuis la rive gauche de l’Ogooué jusqu’au massif central, se sont juxtaposés de nombreux groupes et groupuscules appartenant aux Banjabi, aux Batsangui, aux Aduma, etc. Au XIXe siècle survient au Nord-Est la dernière vague d’immigration. Celle des Fang qui s’implantent solidement dans le Woleu-Ntem, l’Ogooué-Ivindo, l’Estuaire tout en descendant vers l’océan par le Moyen-Ogooué.
On peut aisément deviner qu’entre toutes ces ethnies du Gabon, il y a eu des dissensions ou des alliances qui ont influencé leur implantation ici ou là. Cette multiplicité n’implique toutefois pas l’existence d’une importante disparité.
Les populations du Gabon ont des points communs : la prépondérance accordée au clan et à l’ethnie par rapport à l’individu qui, seul, n’aurait pratiquement pas de raison d’être et ne pourrait survivre. En fait ce sentiment très fort d’appartenance à une communauté, loin de représenter un danger pour l’unité gabonaise, a favorisé au contraire un transfert affectif de la famille à la tribu et de la tribu à la nation. Deux facteurs ont favorisé ce transfert du groupe ethnique vers la nation gabonaise : la similitude des croyances fondamentales et une organisation politique équilibrée qui a contrecarré la tendance au repli ethnique. En effet, si le Bwiti est d’origine Tsogho ou Apindji, il est aujourd’hui indiscutable qu’il est devenu le rite traditionnel de tous les Gabonais, chaque ethnie l’ayant accommodé à ses petites particularités. La religion chrétienne imposée par la colonisation a également fini par homogénéiser les croyances fondamentales des gabonais.
Par ailleurs, l’effort de modernisation du pays, aussi bien par la puissance coloniale que par l’Etat gabonais indépendant, a eu un impact considérable sur les mœurs qui a sérieusement entamé le poids des traditions. Toutefois, la nation gabonaise continue d’entretenir la diversité de son patrimoine culturel traditionnel et malgré la prépondérance du christianisme ou la percée de l’Islam, les cultes et rites traditionnels sont loin de disparaître.
Naissance de la nation Gabonaise
Le sentiment d’appartenir à une nation tient en ce que tous les citoyens de celle-ci se reconnaissent à travers un même destin ou une histoire commune. A cet effet, il est bon de rappeler que l’histoire de la nation gabonaise ne commence vraiment qu’avec la colonisation. Nous ferons l’économie de la découverte du Gabon par les navigateurs portugais et de toute la période précédant la colonisation française. Lorsque celle-ci se fut solidement établie, le Gabon fut administré sous une entité alors appelé Afrique Equatoriale française (AEF). Et, comme pour les autres colonies de l’AEF, le premier âge colonial fut celui des grandes compagnies concessionnaires exploitant l’ivoire, le caoutchouc et le bois d’ébène. Les différentes peuplades du Gabon d’alors contribuaient toutes, certes à différents niveaux d’implication, à ces commerces et exploitations. On signalera que, par un système d’affectation ou de déplacement des personnels indigènes, l’administration coloniale procédait à de véritables chassés-croisés à travers le territoire. Les Gabonais de toutes les régions ont ainsi subi un brassage qui a davantage renforcé la cohabitation interethnique. Il n’est donc pas étonnant que Léon Mba, le premier président du Gabon, ou Pierre-Louis Agondjo Okawé, premier avocat gabonais, parlaient de nombreuses langues vernaculaires.
Le choix de Brazzaville (Congo) comme capitale de l’AEF fit naître un certain sentiment de rancœur qui s’accrut lorsque les Gabonais, producteurs du bois d’okoumé, se rendirent compte que leur pays était la vache à lait de la fédération. Ces rapports de rivalité avec le Congo ont nourri le nationalisme gabonais pour lequel l’indépendance a d’abord signifié la libération de la tutelle brazzavilloise.
La Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans l’histoire du Gabon. Comme en 1914, de nombreux Gabonais furent enrôlés dans l’armée française. En contrepartie de leur contribution, ils espéraient que le régime colonial serait assoupli. Après la guerre, deux personnalités politiques s’affirmèrent comme indépendantistes : Jean-Hilaire Aubame, député au Parlement français, et Léon M’Ba, maire de Libreville et fondateur du Bloc Démocratique Gabonais (BDG). Le statut du Gabon évolua, avec la création de l’Union française en 1946 et la loi-cadre de 1956. Le référendum de 1958 sur la Communauté française reçut 92% de «oui» et, le 17 août 1960, le Gabon accéda à l’indépendance et devint une république autonome.
La communauté de destin qui constitue souvent le socle d’une nation est bien établie pour le cas du Gabon, si l’on s’en tient du moins à l’histoire de son peuplement, de sa colonisation et de sa décolonisation.
L’édification de la nation Gabonaise après l’indépendance
Sociologiquement, une nation existe dès lors que des êtres humains estiment en former une. Ils se prêtent des traits communs, historiques, culturels, ethniques, linguistiques ou religieux et sur cette base se perçoivent comme une nation. Il est indéniable que la majorité des Gabonais considèrent appartenir à une nation et dès lors le Gabon est indiscutablement une nation au sens juridique du terme, c’est-à-dire un État indépendant ayant son propre siège aux Nations Unies.
Dès les toutes premières années post-indépendance l’hymne national, “La Concorde”, est ressassé aussi bien dans les écoles primaires qu’à la radio. Ses thèmes contribuent à asseoir l’idée d’un seul peuple. Notez :
« Uni dans la Concorde et la fraternité
« Eveille toi Gabon, une aurore se lève,
« Encourage l’ardeur qui vibre et nous soulève !
« C’est enfin notre essor vers la félicité.
« C’est enfin notre essor vers la félicité
(…)
« Afin qu’aux yeux du monde et des nations amies
« Le Gabon immortel reste digne d’envie,
« Oublions nos querelles, ensemble bâtissons
« L’édifice nouveau auquel tous nous rêvons.
Léon Mba, père de l’indépendance du Gabon, aime alors à répéter “Gabon d’abord”. Ce qui devient un leitmotiv national que l’on inscrit même sur certains édifices publics. Ce slogan était alors à prendre comme une invite à tous les Gabonais de transcender les petites considérations personnelles, familiales, ethniques ou régionales au bénéfice de la nation nouvellement née, le Gabon.
Le président Bongo qui succède à Léon Mba, père de l’indépendance, s’en tient aux mêmes principes: privilégier l’intérêt de la Nation et consolider l’unité nationale.
Les années Bongo Ondimba ont façonné l’homme gabonais d’une certaine façon. La politique de l’unité nationale et du dialogue prônée par le président Bongo a rendu ses compatriotes plus conviviaux les uns envers les autres et consolidé l’idée d’appartenance à une même nation. «Quant un gabonais va à la chasse, tout le village partage le gibier». Ces mots magiques du président Omar Bongo Ondimba, ressassés jadis par la radio et la télévision nationale, en guise de générique des actualités, sont à jamais incrustés dans l’inconscient des gabonais.
Le pétrole coule alors à flots et l’idéologie gabonaise est influencée par la santé de son économie. La rente forestière, minière et surtout pétrolière a donné au pays d’importants moyens financiers qui attirent une immigration venue d’Afrique de l’Ouest et qui contribue à asseoir un sentiment de supériorité du Gabonais par rapport aux autres nationalités d’Afrique noire.
Le pétrole permet alors de financer la construction du Transgabonais. Ce chemin de fer reliant Libreville à Franceville visait deux objectifs : Ne plus acheminer, par le téléphérique, les minerais du Gabon vers le port de Pointe-Noire au Congo mais aussi devenir un instrument d’intégration territoriale, être le ciment de l’unité nationale.
La nation gabonaise aujourd’hui
Aujourd’hui, la nation gabonaise est un ensemble de personnes et d’institutions diverses regroupées dans un espace de 267 670 km2. Elle comptait 1.517.685 âmes en 2003 desquels il faut soustraire environ 15% d’étrangers.
L’étranger a d’ailleurs toujours été le révélateur des nationalités. On entend souvent dire, «ces étrangers qui viennent s’enrichir chez nous» ou alors «est-ce que vous voyez les Gabonais chez vous ? » Ces déclarations, certes à caractère xénophobe, permettent d’affirmer qu’il existe une conscience nationale gabonaise. Car, pour paraphraser le philosophe, “autrui qui est différent de moi, me révèle à moi-même”.
D’ailleurs, de nombreux jeunes gabonais, interrogés sur leur “Gabonitude”, ont affirmé qu’ils n’ont vraiment ressenti leur appartenance à la nation gabonaise qu’en vivant à l’étranger. En effet, lorsqu’on est loin du pays, l’idée d’appartenance ethnique s’estompe totalement pour faire place à la l’idée de nationalité : on s’émeut des musiques d’origine gabonaise même si on ne les appréciait que très peu lorsqu’on vivait au pays ; on se surprend à préférer la fréquentation des compatriotes gabonais sans égard à leur ethnie ou classe sociale et l’ambassade devient un peu comme le foyer paternel où l’on sait qu’on peut se replier si tout venait à s’écrouler.
84% de la population du Gabon est urbaine. Ce qui fait du Gabonais un africain atypique. Si la femme Congolaise affectionne le port du pagne, la Camerounaise le port de la robe dite Kabagondo, la Gabonaise est, toutes proportions gardées, la femme la plus occidentalisée d’Afrique noire. Son look est fait de pantalons, de robes et de jupes, le pagne ne servant vraiment que lors des décès. Un consultant international n’avait pas hésité à affirmer, au regard du nombre de femmes qui conduisent à Libreville, que la Gabonaise est la femme la plus automobiliste d’Afrique.
«Etre Gabonais aujourd’hui c’est avant tout se sentir différent des autres nationalités d’Afrique et du monde», affirme Timothée Memey, journaliste à Africa N°1. «Etre gabonais c’est avoir introjecté les limites du territoire national au-delà desquels je ne suis plus gabonais. Autrement dit, c’est se sentir chez soi à Oyem, à Lambaréné ou à Mékambo», ajoute notre journaliste.
L’ancrage à un village, une ville ou même une ethnie devient de plus en plus superflu. Ce qui se traduit par la prolifération des mariages interethniques au sein des jeunes générations. Durant l’ère coloniale et aux premières années de l’indépendance, les mariages interethniques étaient des faits rarissimes. Aujourd’hui, non seulement ces mariages ne suscitent plus de débats mais ils se sont totalement normalisés. «De quelle ethnie es-tu ? » n’est plus la question incontournable que pose un dragueur gabonais à une gabonaise.
L’unité nationale tant prônée par le président Omar Bongo Ondimba, fonctionne, mais c’est une construction de tous les jours. Car des poches de résistances existent qui font par exemple qu’un ministre ne recrute que les ressortissants de son village ou ne contribue qu’au développement de sa contrée. On sait toutefois que cette sorte de repli ethnique ou provincial observé auprès de certains hommes politiques gabonais, n’est sous-tendue que par des visées purement électoralistes.
Le destin du pays n’est plus aux mains de la puissance coloniale, encore moins néo-coloniale. Le Gabon est souverain, il se bat pour améliorer sa partition dans le concert des nations. Le gouvernement gabonais adopte délibérément ses options de développement. Il affirme ainsi sa responsabilité et ainsi qu’on l’a souvent entendu lors des campagnes électorales, les erreurs sont assumées par les nationaux et non plus attribuées à la malveillance d’une puissance tiers. On voit des jeunes gabonais se mettre ensemble pour créer et se battre sur le terrain entrepreneurial contre les entreprises de l’ancienne puissance coloniale.
Les délimitations territoriales établies par la colonisation ont créé un espace géographique dénommé Gabon. Au cours du peuplement pré-colonial de cet espace, les peuples de l’actuel Gabon n’ont enregistré que très peu de conflits. Sans doute l’appartenance à la grande famille linguistique Bantou y était-elle pour quelque chose.
En cinquante ans d’indépendance, ce pays a su se construire une identité nationale forte, caractérisée par sa modernité, sa force économique et sa stabilité socio-politique. C’est que les notions et principes de “Dialogue”, de “Tolérance” et de “Paix”, portés par la devise de l’ancien parti unique, le PDG, se sont ancrées dans la conscience collective des Gabonais. Quelque soient leurs origines ethniques, les Gabonais dialoguent entre eux, ils tolèrent les excès des autres afin de les aider à progresser, ils vivent dans la paix et s’attellent à préserver cette paix.

Publié le 14-08-2010 Source : Gaboneco Auteur : François Ndjimbi
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