mardi 10 août 2010

Gabon - Cinquantenaire de l’indépendance du Gabon: J-7: « On m'appelait le ministre collégien », Paul Malékou (Témoignage)

(Gabonews 10/08/2010)
Libreville, 10 août (GABONEWS) - Ensemble bleu-pétrole sur un corps vif, la tête presque dégarnie mais le regard frétillant, Paul Malékou, septuagénaire, ancien membre des gouvernements Léon Mba et Omar Bongo Ondimba, retrace « son » histoire qui se confond avec celle de la République Gabonaise proclamée le 17 août 1960 et déclare: « on m’appelait le ministre collégien », eu égard à sa taille et surtout son entrée « surprenante », à 25 ans, dans l’équipe gouvernementale.
« J'ETAIS MARQUE AU FER ROUGE »
Paul Malékou, né le 17 novembre 1938, à Fougamou (Ngounié), fortement marqué par l’activité politique qui précède l’accession du Gabon à la souveraineté internationale, met le cap sur Paris (France) où il s'inscrit, de 1959 à 1963, à la Faculté de Droit et Sciences Economiques et y prépare une licence.
Militant à la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire (FEANF), section gabonaise, il avoue : « j’étais marqué au fer rouge. J’étais communiste et lisais toute la littérature y afférente et surtout Chine Nouvelle, censurée au Gabon ».
A l’époque des prémisses de l’indépendance, les étudiants devaient se « ranger quelque part », concède l'ancien activiste, engoncé dans un salon tout cuir, teinté de vert, à sa résidence bâtie sur une des collines qui surplombent la banlieue-est de Libreville.
A 25 ans, Paul a suffisamment pris de la hauteur. Le président Léon Mba en est conscient. Lui qui est en butte avec une bonne partie de la classe politique, fragilisé par les antagonismes illustrés par le coup d’Etat de février 64 et mue par la volonté de cristalliser autour de sa personne le plus grand nombre. Le premier président de la République joue alors la carte du « rafraichissement » du champ. Aussi, s’intéressent-ils, entre autres, à la diaspora…estudiantine.
« Un jour, le chef de l’Etat dépêche à Paris des commissaires de police (Léon Mébiame et Théodore Nkouawou). Les deux hommes débarquent à l’université, devant ma salle de cours … en compagnie du recteur. Ce dernier demanda qui était l’étudiant Paul Malékou. « C’est moi ! Répondis-je ». Parvenus à l’extérieur de l’établissement, les officiers gabonais me firent part du but de leur mission parisienne: me ramener à Libreville où le président Léon Mba m’attendait ».
Tel un polar, les « émissaires » n’en dirent pas plus, se rappelle P. Malékou, qui, sous bonne escorte, finit par rallier la capitale gabonaise.
Dans l’attente de l’audience présidentielle, l’étudiant s’interroge sur le sens et les contours de cet appel. La réponse s’obtient quelques jours plus tard à la faveur d’une convocation à se rendre, à 7H30 précises, devant les grilles du Palais, un lundi, retient –il.
Face à la garde constituée d’éléments issus de la communauté « Saras » venus du Tchad et de Centrafrique, le jeune homme s’impatiente quand arrive, à pied, le directeur de Cabinet, Albert Bernard Bongo, logé au centre-ville, qui m’« invita à le suivre, à son bureau », indique-t-il.
"MONSIEUR BONGO ME CONSEILLA D'ACCEPTER TOUT CE QUE LE PRESIDENT LEON MBA ME DIRA"
« Sur place, bien informé sur les raisons de ma présence à Libreville, Monsieur Bongo me conseilla d’accepter tout ce que le président Léon Mba me dira. Sur ce, le chef de l’Etat fît son entrée à son cabinet de travail où je fus, aussitôt, introduit en compagnie de son plus proche collaborateur », raconte-il.
« Sans détours, Léon Mba déclara: ‘’Je vous ai fait venir pour vous confier des responsabilités. Certes, vous n’avez pas achevé vos études, mais votre niveau est acceptable pour apporter pierre à la construction nationale. Il ne suffit pas de s’agiter en France, comme vous le faites. Il est temps que vous preniez vos responsabilités. Ce soir, je procéderai à un remaniement ministériel et vous aurez la charge d’un Ministère », se remémore Paul Malékou, surpris par la démarche présidentielle.
« Sans m’en tenir aux conseils d’Albert Bernard Bongo, j’ai repoussé l’offre. Monsieur le Président, je n’ai que 25 ans. Qui plus est, je suis communiste, opposant, votre opposant. Je ne peux donc accepter d’autant plus que les membres de ma famille politique me taxeront de traitre. Permettez-moi de prendre des conseils auprès de mes proches », précise-t-il.
Mais, le président Mba est un homme pressé de rétablir l’autorité de l’Etat, de remettre le Gabon au travail après les évènements de 1964 .Il ne laisse, à Paul Malékou, au « désormais ministre » aucune chance de prendre langue avec son entourage.
« Immédiatement, je fus conduis chez Padonou, un tailleur, fournisseur de l’Etat, pour refaire ma garde robe. Le soir venu, ma nomination au poste de ministre du Travail a été officialisée », se souvient-il.
Cette ouverture en direction d’un bord autre que le Bloc Démocratique Gabonais (BDG, au pouvoir) permit à Léon Mba de disposer d’un gouvernement composé notamment d’une douzaine de technocrates et lui donna un motif supplémentaire pour s’affranchir de la politique politicienne, l’un des freins au développement, avance M. Malékou.
Membre du corps des Inspecteurs du Travail, P. Malékou va s’en tenir à « tout ce qui peut améliorer le sort de ses concitoyens ». A ce titre, il participe à la création de la Caisse Gabonaise de Prévoyance Sociale(CGPS). « Si les Gabonais ont droit à la retraite, c’est grâce à nous », lance-t-il.
Il se souvient, comme hier, de ce « premier Conseil des ministres où Léon Mba était préoccupé par la question du passage du régime parlementaire au régime présidentiel en tentant d'obtenir les avis des uns et des autres » ou encore quand « j’ai assuré à trois (3) reprises l’intérim de la présidence de la République entre 1966 et le 2 décembre 1967, lorsque le vice-président du gouvernement, Paul -Marie Yembit, était parti et au moment où le vice –président de la République, Albert Bernard Bongo, se rendait fréquemment, à Paris, au chevet du président Léon Mba, malade ».
Des regrets, il en exprime: « J’ai organisé les obsèques du président Léon Mba et curieusement, je ne figure sur aucune photo ».
Très vite, il ouvre une porte qui le ramène aux années 60. « On m’appelait le ministre collégien vu mon âge et ma petite taille, c’est vrai. Mais, je rattrapais ce grappe en faisant montre de compétences et de sérieux même dans mes comportements privés », insiste l’un des membres du cercle, très fermé, des premiers cadres formés en France, au niveau du supérieur.
« On avait les attributs de la fonction et surtout nous étions instruits par le président de la République qui préconisait, par exemple, qu’il fallait prendre la voie terrestre que l’avion pour nous rendre à l’intérieur du pays. La route avait l’avantage de la proximité avec les populations ».
Paul Malékou renforce le trait : « Je suis à l’origine de la dénomination de ‘’Lycée Technique Albert Bernard Bongo tandis que celle de ‘’Lycée Léon Mba’’ revient à Jean Marc Eko ».
Et que dire du parcours 1967-2010 ?
Doté d’une pensée solide, l’ancien ministre de feu Léon Mba, tout en soulignant qu’« on se fréquentait mieux que lors du parti unique », s’inscrit dans la logique imprimée par Albert Bernard Bongo, successeur du père de l’indépendance, le 2 décembre 1967 et initiateur, un an plus tard (12 mars 1968) du monopartisme, présenté comme le « creuset de l’unité nationale ».
COMPREHENSION DU PASSE
Ministre dans différents gouvernements, il occupera ensuite les fonctions de directeur général de l’ASECNA, à Dakar, et à son retour au bercail, on le signale à la Cour Constitutionnelle.
Dans cette haute juridiction, il se sent gagner par le poids de l’âge et décide de se retirer.
Il prend l’engagement d’expliquer au président Bongo les raisons de ce qui apparait comme une démission. Le chef de l’Etat n’a pas « apprécié » la méthode de ce grand commis de l’Etat, croit-il savoir.
« Voyez-vous, au Gabon, on ne démissionne pas », conseille l’ « ancien sage de la Cour Constitutionnelle », qui, selon lui, traversera le « désert » avant d’atterrir à la présidence du Conseil d’administration de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), ses anciennes amours et d’y demeurer jusqu’ en 2009.
Retraité, néanmoins engagé, M. Malékou, témoin de son temps, s’est employé, a-t-il indiqué, pendant la rencontre que nous avons eue, à favoriser la « compréhension du passé et de mettre l’accent sur le vouloir « vivre ensemble » des Gabonais qui célèbrent le 17 août 2010, le cinquantenaire de l’indépendance.

GN/RA/10
Écrit par Rodrigue ASSEYI Mardi, 10 Août 2010 09:25
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