mardi 10 août 2010

Congo - Le chemin d’avenir : conjuration de la honte

(Congopage 10/08/2010)
En 1958, la Loi Gaston Defferre propose une alternative aux colonies : ou rester dans la Communauté Française ou prendre l’indépendance. Tous les territoires de l’Empire, à l’exception de la Guinée de Sékou Touré, disent « oui » au referendum. Deux ans plus tard, volte-face : les colonies réclament l’indépendance. Le Congo reçoit la sienne le 15 août 1960, le jour de l’Assomption de la Vierge Marie. De Gaulle dépêche son ministre de la Culture, André Malraux, proclamer l’événement, place de l’Hôtel de ville de Brazzaville sous les regards en feu de l’Abbé Fulbert Youlou, de Jacques Opangault et de Stéphane Tchitchellé.
Le temps béni des colonies
Où en sommes-nous cinquante ans plus tard ? Jamais les anciens pays de l’empire colonial n’ont été aussi soumis à la France que depuis qu’ils sont indépendants. Comble des paradoxes, la génération de 58 regrette la période précoloniale. Selon certains observateurs si un referendum était organisé aujourd’hui, le pourcentage de ceux qui regrettent la période coloniale serait important. Doit-on confirmer ce que les révisionnistes appellent « aspects positifs de la colonisation ? ». En tout cas quand on voit le mode de gestion calamiteux de ceux qui s’apprêtent à célébrer le cinquantenaire, il y a de quoi susciter des passions passéistes chez ceux qui ont vécu la période pourtant douloureuse de l’empire colonial, au point de regretter l’inacceptable.
Retournement acrobatique
Le Congo, sous l’étau d’une des dictatures les plus tenaces du continent noir, est sûrement le seul à avoir mal géré ses cinquante ans de liberté, au point de donner naissance à une situation inédite susceptible d’en faire un cas d’école de la sociologie politique. L’une des modalités de la dictature congolaise c’est de faire croire à la doxa que ce qu’elle croit douloureux est, en fait, glorieux. Cette représentation optimiste d’une réalité négative, c’est ce que Goffman désigne par « retournement stigmatique ». Tout marche mal, mais le discours officiel se donne un mal fou pour vous dire que tout va bien. A 12 jours de la célébration du cinquantenaire (J-15) le discours procède à des retournements stigmatiques d’un genre audacieux, notamment lorsque les chevronnés de la célébration du cinquantenaire mettent en quarantaine le capital d’échecs accumulés par le régime tandis que, subrepticement, toute honte bue, on se prépare à la parade festive.
Saupoudrage
Un très beau cas typique de détournement de stigmate honteux en stigmate heureux est illustré par les travaux de réfection du Bd des Armées (devenu Bd Alfred Raoul), où la propagande vante les nouveaux lampadaires servant au décor théâtral des futures festivités du 15 août. « On se croirait en métropole » dit un interviewé (ou plutôt on le lui fait dire) fasciné par les poteaux électriques. Etant donné les retards d’Imboulou, personne ne dit quelle source va alimenter le réseau de la ville. Pourtant l’hypothèse de la lumière à venir donne un air rayonnant à ce citoyen lambda auquel la (dé)raison ne fait même plus prendre conscience de l’incongruité selon laquelle sans source d’énergie, point d’énergie.
Nihilisme triomphant
Voilà un pays sans eau potable, sans électricité, privé de routes, sans parc immobilier à loyer modéré, sans infrastructures scolaires, démunis d’institutions bancaires. Par un savant retournement stigmatique, la machine idéologique ne vante pas moins une usine d’épuration d’eau (djiri), une usine hydroélectrique (hypothétique Imboulou), l’aménagement d’une route (N1 Pointe-Noire/Brazzaville), la création du meilleur complexe universitaire d’Afrique (Kintélé), la construction de 1000 villas HLM (Kintélé) tous aussi fantomatiques qu’un rêve diurne. Quant au système économique, ici encore, retournement stratégique acrobatique, l’envolée du prix du pétrole et des bénéfices générés et empochés par nos malins sorciers, fait dire, sans bénéfice du doute, que la croissance est désormais « à deux chiffres », ce qui pour les apôtres du chemin d’avenir est un indicateur de bonne santé car ici les illusions ne sont jamais perdues pour tout le monde, surtout par ceux qui veulent mettre tout le monde en boîte. Brazzaville, disent fièrement les bâtisseurs, a des allures d’un vaste chantier alors que la chose aurait dû les inquiéter à deux semaines du cinquantenaire. Doué de raison cartésienne, le politique avisé aurait dit « nous sommes en retard ». Mais ici, détournement programmatique oblige, on argue que le bâtisseur infatigable bosse tellement d’arrache-pied qu’il arrache-tout et que, par conséquent, cette vision apocalyptique devrait « arracher » (selon le terme argotique).
L’homme des masses et la nasse
L’autosatisfaction qui est aussi l’une des caractéristiques de la démagogie est mobilisée a contrario dans le retournement stigmatique, notamment à Boundji où la municipalisation accélérée a laissé en plan des immeubles censés abriter la préfecture locale tandis qu’ à Pointe-Noire, à côté de l’hôpital de Loandjili où se dressent les ruines d’un vieux bâtiment, le retournement stigmatique présente le « bâtisseur infatigable » comme doté d’une vision subliminale puisque, usant d’une métaphore aquatique, ledit bâtisseur parvient à voir la nasse (le bâtiment inachevé qui raye le tableau) située derrière les autres nasses poissonneuses, ce qui suppose qu’il a une vision d’aigle et une intelligence de dauphin. Sassou est omniscient et omnipotent. Oublié l’échec de l’opérateur économique chargé des travaux du bâtiment annexe, vive la vigilance intellectuelle du chef auquel le vice caché n’a pas pu échapper. (cf. notre article à ce propos)
Femmes infâmes
En dépit du bilan catastrophique, tout est matière à festoyer comme le veut la stratégie de l’inversion stigmatique. La rhétorique idéologique s’alimente tout azimut de la stratégie du retournement des stigmates négatifs. Le nul s’annule et le négatif devient « nul et non avéré ». Ainsi l’URFC qui, de notoriété publique, a contribué copieusement à l’aliénation de la femme voit ses quarante cinq ans d’existence concélébrés avec pompes par celles qui sont les propres sujets de cette aliénation (les Thérèse Gamassa, et autres Céline Eckomba). Invitée d’honneur de la première dame du Congo : la première dame de Côte d’Ivoire, Simone Gagbo représentée par une conseillère, c’est-à-dire boudant l’invitation faite par une homologue (Antoinette Sassou) ; ce qui n’empêche pas le déshonneur d’avoir vu son invitation déclinée se transformer en point d’honneur ainsi que le montre le sourire (jaune ?) de l’amphitryon retransmis par Télé-Congo. TELECONGO : organe de presse qui comme chacun sait à fait du Congo un pays sans télé libre de tout contrôle idéologique par le régime.
Danses pleines, panses vides
Sur le même registre de l’ineffable acrobatique, on se livre à des résurrections des vieilles danses urbaines des années 1960 comme ce à quoi se livre la municipalité de Poto-Poto au bar dancing Faignond. Si on danse maintenant les danses de l’époque, c’est que l’époque actuelle se prête aussi à la danse, cela par un savant retournement stigmatique du passé. Et, s’il vous plaît, cette société de la danse, c’est-à-dire de la joie, trouve comme cadre d’expression, Poto-Poto (entendez l’une des Brazzavilles Noires georgebalandienne la plus salle de de la globalité urbaine). Pendant ce qtemps, les couples de danseurs, d’un physique maigrichon, se la jouent sur le registre de la grandeur perdue du Congo, splendeurs et misères de courtisanes d’une époque à jamais révolue. Une autre particularité des dictateurs depuis les Grecs et les Romains c’est de donner des jeux et des danses au peuple, à défaut de lui remplir la panse. Brazzaville, ville sans eau, sans électricité patauge dans la misère, mais on veut montrer que la joie règne, les gens dansent, Poto-Poto, melting-pot, est une ville où il y a la vie. Ici encore, il s’agit d’une procédure rituelle d’interaction : le renversement stigmatique illustré par une gestion heureuse d’une situation cruellement malheureuse.
honte à plus soif
Honteux, le propre des sociétés salement pauvres est d’inverser l’ordre des choses en donnant aux choses la qualité qu’elles n’ont pas. On a vu des pauvres faire passer leur environnement hérissé d’herbes pour un respect écologique de l’environnement. Le problème avec le Congo de la Nouvelle Espérance et du Chemin d’Avenir, c’est que la notion de la honte n’existe plus. Elle est à jamais effacée.
Poste et riposte
Peut-être que si cette notion de la honte subsistait dans les us et coutumes des marcheurs du Chemin d’Avenir, cela eut suscité une « stratégie de la riposte » afin de laver l’affront de l’échec des cinquante ans d’indépendance, afin que l’honneur soit sauf. Malheureusement, pour ces « amaboul » (fous en arabe) « soni ésila bango » (honorables castrés auxquels la honte est un sentiment étranger, en lingala).

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