mercredi 3 mars 2010

Togo - Une élection présidentielle à haut risque au Togo

(La Croix 03/03/2010)
Porté au pouvoir par l’armée en 2005, Faure Gnassingbé sollicite un deuxième mandat le 4 mars face à une opposition qui craint d’être à nouveau vaincue par la fraude et la violence
«Faurcément Faure », proclament les banderoles de campagne au Togo. « Faure avance inexorablement vers un plébiscite », prédit le Rassemblement du peuple togolais (RPT), fondé par Gnassingbé Eyadéma, qui régna sans partage sur le Togo de 1967 à 2005.
De fait, c’est « forcément » son fils et successeur, Faure Gnassingbé, qui sera proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 4 mars. Une victoire annoncée facilitée par le scrutin à un tour, qui donne la victoire au mieux placé, même minoritaire. Ce mode d’élection a récemment permis au fils d’un autre « doyen » de la Françafrique, Ali Bongo, de s’imposer au Gabon.
Au Togo, personne ne s’attend à ce que la fraude soit aussi visible que lors de la dernière présidentielle, en 2005, dont la contestation avait été réprimée par l’armée au prix de 400 à 500 morts selon l’ONU. Les recettes à l’ordre du jour sont moins voyantes : un gonflage des listes électorales, une commission électorale dirigée, ainsi que ses déclinaisons locales, par des proches du régime, ou encore l’invalidation d’un candidat susceptible de capter des voix dans les fiefs du RPT, Kofi Yamgnane.
La possibilité de fraudes électorales
Écarté par la Cour constitutionnelle, l’ancien ministre et député français a officiellement fait les frais d’une « confusion sur (son) identité » en raison d’une erreur sur sa date de naissance. Loin de s’avouer vaincu, l’ancien maire de Saint-Coulitz, dans le Finistère, est devenu le porte-parole du Front républicain pour l’alternance et le changement, qui agrège quatre petites formations politiques au parti d’opposition historique, l’Union des forces de changement (UFC).
Âgé de 73 ans, son leader historique, Gilchrist Olympio a cédé la place à Jean-Pierre Fabre, 57 ans. Descendant d’un colon français, ce métis à la large carrure et au verbe tranchant a été accueilli aux cris d’« Obama, Obama » par 15 000 militants lors du dernier meeting de campagne de l’UFC, au soir du mardi 2 mars à Lomé.
Dénonçant la « mauvaise gestion » et les « détournements » imputés au clan Gnassingbé, l’opposant a d’avance évoqué la possibilité de fraudes électorales : « Je ne sais pas par quelle magie ils (le parti au pouvoir) vont gagner, j’attends de voir », a-t-il lancé.
Au même moment, Faure Gnassingbé terminait sa campagne par un meeting dans le fief paternel de Kara, au nord du pays. Une fois encore, le président sortant a appelé « tous les candidats » à se « préparer à respecter le choix du peuple », c’est-à-dire à « ne pas contester (son verdict) par des actes de violence ou par des revendications stériles et inutiles ».
Le nord votera pour "Faure", le sud pour l'UFC
« On n’a pas nécessairement besoin d’être président pour contribuer au développement du pays », a lancé Faure Gnassingbé. Maigre consolation pour Gilchrist Olympio qui, après avoir vu son père, premier président du Togo indépendant, assassiné par Gnassingbé Eyadéma, s’est vu « voler » par ce dernier sa victoire à la présidentielle de 1998.
Il fait peu de doute que le nord du Togo votera pour « Faure », qui « a beaucoup donné pendant la campagne », remarque un religieux. Mais il est tout aussi certain que le Sud, plus peuplé, votera massivement pour l’UFC, malgré la présence de candidats ayant une implantation locale, comme les anciens premiers ministres Yawovi Agboyibo, candidat du Comité d’action pour le renouveau, et Agbéyomé Kodjo, ancien baron du régime Eyadéma.
Reconnaissant lui-même que le scrutin de 2005 fut « épouvantable », Faure Gnassingbé s’est efforcé de donner, au cours des cinq dernières années, des gages de démocratisation et de réconciliation nationale. Mais à l’exception de l’abolition de la peine de mort en 2009, les initiatives ne furent généralement qu’amorcées.
« Des institutions ont certes été mises en place, comme la Cour constitutionnelle, la Cour des Comptes et la Commission nationale des droits de l’homme, mais elles restent très critiquées », remarquaient des organisations de la société civile dans un rapport publié en février. Annoncée en 2007 et instaurée en 2009, une Commission vérité, justice et réconciliation a été aussitôt mise en veilleuse pour ne pas perturber la période préélectorale.
"Beaucoup de Togolais nostalgiques de l'ère Eyadéma"
À ce jour, l’impunité reste totale concernant les crimes commis en 2005 comme pour ceux – nombreux – imputés au régime Eyadéma. La présidence du jeune Faure ne fut pas exempte de coups de force, comme l’arrestation de ses demi-frères Kpatcha, ancien ministre de la défense, et Essolizam, détenus sans jugement depuis avril 2009. Il y eut aussi des morts suspectes, à l’image de celle, en 2008, d’Atsutsè Kokouvi Agbobli, ancien ministre et dirigeant d’un parti d’opposition, retrouvé « suicidé » sur une plage, le visage tuméfié.
« Aussi surprenant que cela puisse paraître, beaucoup de Togolais sont nostalgiques de l’ère Eyadéma, s’étonne un cadre togolais. Lui au moins roulait sur des avenues lisses et balayées. Son fils traverse une capitale sale et pleine de nids-de-poule, et ça semble lui être égal. »
Parrainé par l’ancien commissaire européen au développement Louis Michel, Faure Gnassingbé est parvenu à renouer avec l’Union européenne et les institutions financières internationales. Avec la France officielle, les relations sont peu cordiales – le Togo a expulsé en juillet 2009 le deuxième conseiller de l’ambassade à Lomé, accusé d’avoir « sympathisé ouvertement » avec Kofi Yamgnane.
Cela n’a pas empêché la France de former et d’équiper – sur financement européen – la police et la gendarmerie togolaises en vue de la « sécurisation du processus électoral ». Une force spéciale de 6 000 hommes a été créée, dirigée par le lieutenant-colonel Yark Damehane, commandant de la gendarmerie nationale. Un officier que l’opposition accuse d’exactions lors de la répression de 2005.

Laurent D’ERSU
© Copyright La Croix

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire