lundi 1 mars 2010

Niger - L’uranium, la Chine et Al-Qaida: le Niger au cœur de terribles enjeux

(Le Temps.ch 01/03/2010)
Frédéric Giraut, professeur en géographie politique à l’Université de Genève, et Mansour El Hadji Moutari, directeur Niger de l’Entraide protestante suisse, mettent en perspective le récent coup d’Etat
Le Niger, régulièrement considéré comme le pays le plus pauvre du monde en termes d’indice de développement humain, est aussi aujourd’hui un haut lieu des enjeux géopolitiques sahariens.
Une longue série de coups d’Etat a marqué ce pays. On peut spéculer sur la forme que prendra le dernier en date: retour rapide à la démocratie, ce qu’espère une bonne partie de la population et la communauté internationale dont les protestations sont de pure forme, ou tentative du chef des militaires putschistes de s’accrocher au pouvoir, une fois celui-ci acquis. Quoi qu’il en soit, ce coup met fin à une situation de dérive du régime, devenu anticonstitutionnel, du président Mamadou Tandja: à partir de juillet 2009, celui-ci avait dissous le Parlement et la Cour constitutionnelle, modifié la constitution à son avantage et organisé des élections sans opposition.
Pour avoir cassé un processus de démocratisation et mis en péril un début de dynamique positive de développement, ce régime, malgré ses appuis dans la chefferie coutumière, avait fait le désespoir d’une grande majorité de la population. Il avait suscité, avec plus ou moins de véhémence, une condamnation de la part de la communauté internationale. Une condamnation claire, assortie de mesures de rétorsions économiques, de la part des Etats-Unis, de l’Union européenne, de l’Union Africaine et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) dont notamment ses influents membres anglophones, le Nigeria et le Ghana. Avant ce coup d’Etat, la CEDEAO assurait d’ailleurs une médiation avec l’opposition et mettait le régime sous pression, ce qui a assurément joué dans le basculement de l’armée.
En revanche, la condamnation de la France avait été nettement moins claire. Quant à la Chine, elle avait apporté un franc soutien au régime.
Le jeu géopolitique autour du régime défunt doit bien sûr se lire à l’aune des intérêts économiques et géostratégiques. En l’occurrence, le Niger, pays pauvre parmi les pauvres, est aussi un important producteur d’uranium. Il est le principal fournisseur de la France. Le secteur de l’énergie nucléaire occupe une place importante dans la stratégie d’exportation de la France. Son approvisionnement occupe une place stratégique dans le dispositif économique et la machine à conquérir des marchés que constitue Areva, la société française exploitant historiquement le principal gisement nigérien.
Ces dernières années, Areva a obtenu non seulement le maintien de son site de production établi mais également la principale concession sur un second gisement prometteur, qu’elle convoitait. Le régime de Tandja avait, semble-t-il, fait monter les enchères avec le nouveau prétendant chinois. Finalement, la Chine avait obtenu des permis sur une zone de production plus incertaine et sur les gisements pétrolifères de l’extrême Est.
Ce résultat apparaissait comme positif pour la compagnie française, quand bien même le régime avait orchestré, et à plusieurs reprises, des tensions avec Areva et la France, les accusant de soutenir une rébellion touarègue, puis en rappelant que seuls les «amis chinois» étaient bienvenus dans l’est pétrolier. Au final, la France et la Chine semblaient satisfaites de la vague de permis et de concessions distribuées ces dernières années. Tout changement de régime pouvait les remettre en cause, comme ce fut le cas au Tchad il y a quelques années avec les concessions pétrolières. Le spectre tchadien, voire vénézuélien ou bolivien, pouvait donc peser sur la succession du président Tandja et son maintien au pouvoir.
L’intérêt de la communauté internationale pour le Niger ne se résume cependant pas aux seuls enjeux miniers. Des questions de sécurité internationale se jouent également dans le Sahara, zone transfrontalière très difficile à contrôler. La nébuleuse Al-Qaida profiterait de la situation chaotique qui prévaut dans ses zones algérienne, malienne et nigérienne. Cette région constitue le terreau du banditisme et des trafics en tout genre transitant en direction de l’Afrique du Nord (cigarettes et alcool) et surtout vers l’Europe (migrants et drogues). Un terreau dans lequel des commanditaires trouveraient facilement des exécutants pour des opérations d’enlèvement.
Pour l’instant, les quelques cas survenus au Niger ont touché les zones proches de la frontière malienne, sans impliquer, semble-t-il, les groupes armés politiques et les bandits des régions du massif de l’Aïr, qui ont été au cœur de la dernière rébellion. Mais cette menace diffuse accapare les services de sécurité internationaux. Elle compromet le redémarrage du tourisme.
Tout se tient donc au Niger: géopolitique internationale, nationale et régionale sont intimement liées avec une cristallisation sur la région saharienne. Il faut encore ajouter à cela la très difficile «soudure» qui s’annonce (le temps compris entre la fin des réserves de la saison précédente et l’attente des prochaines récoltes) suite à une récolte désastreuse en 2009: le déficit est de 25% de la production habituelle, selon le Programme alimentaire mondial. Quant aux pâturages, cruciaux pour ce pays, ils sont très abîmés. Le spectre de la précédente famine de 2005, longtemps niée par le pouvoir en place, plane également. La crise est donc multiforme, les enjeux géopolitiques sont considérables et les attentes de bonne gouvernance sont profondes suite au dernier coup d’Etat.
Frédéric Giraut
© Copyright Le Temps.ch

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire