lundi 1 mars 2010

Elections au Togo : J-5

(Le Courant Info 01/03/2010)
Jeudi, les togolais seront appelés aux urnes pour les élections présidentielles. Ils auront le droit, en théorie, à un vote « libre et transparent. » Tour d’horizon d’un scrutin qui s’annonce agité et inquiétant, avec la menace d’affrontements qui pèse sur les résultats.
C’est un scrutin à haut risque qui va se tenir jeudi prochain au Togo. Initialement prévue ce 28 février, l’élection présidentielle a été reportée au jeudi 4 mars. Un changement de date annoncé par un décret du parti au pouvoir, le Rassemblement pour le Peuple Togolais (RPT), à la demande de l’opposition togolaise. Si ce report a quelque chose d’encourageant pour le processus démocratique du pays, il n’en reste pas moins symbolique et ne remplit pas son objectif : rassurer les autres partis politiques de la bonne tenue du vote.
Car les doutes sont grands quant à l’organisation de cette élection présidentielle. D’autant plus que tout le pays s’accorde à dire qu’il faut éviter le scénario de 2005. A cette époque, suite à la mort d’Eyadéma Gnassingbé, l’homme qui avait présidé le pays d’une main de fer pendant plus de 38 ans, des élections ont eu lieu sous la pression de la communauté internationale. Le peuple a alors eu le choix entre Bob Kitané, représentant unique de l’opposition, et le fils du défunt président, Faure Gnassingbé. Ce dernier, donné pourtant largement perdant selon son concurrent direct, est annoncé vainqueur par le gouvernement. Un résultat contesté par des milliers de manifestants, réprimés à leur tour par l’armée, ce qui causa entre 100 et 800 victimes selon les sources.
Faure Gnassingbé a déclaré plusieurs fois publiquement vouloir éviter les violences et prôné « une nouvelle avancée qualitative dans la voie de la réconciliation et de l’unité. » Il faut dire que dans l’optique où ces élections se dérouleraient dans le calme, le président togolais a ici un moyen en or pour justifier son titre et sa politique, plutôt encourageante, qu’il mène depuis cinq ans maintenant. En remportant ce scrutin de manière transparente, il pourrait ainsi consolider la confiance que l’Union Européenne lui a accordée il y a peu, en mettant un terme, notamment, à plusieurs années d’embargo. Mais malgré tout, ces beaux-discours et ces quelques actes encourageants sont entachés par les récentes déclarations de Foli-Bazi Katari, Ministre du Travail, pour qui le résultat importe peu : « Le RPT confisquera le pouvoir, et ne le cèdera pas. » Une peine que l’homme n’aura peut-être pas à se donner, vu la façon dont l’opposition togolaise s’est préparée pour cette élection présidentielle.
Une opposition divisée
Est-ce que tout est couru d’avance ? La question se pose, en effet, et parmi la population togolaise rare sont ceux qui sont satisfaits et confiants sur les chances de l’opposition. Certains pensent que tout cela est une mascarade, et qu’il n’est pas utile de gaspiller de l’argent dans des élections qui n’en sont pas. D’autres, un peu moins pessimistes, considèrent l’attitude de l’opposition tout simplement inappropriée vue l’importance du scrutin. Et pour cause, avec le rejet de la candidature de Kofi Yamgnane et la publication définitive de la liste des candidats, c’est bel et bien six partis différents de l’opposition qui se sont présentés contre Faure Gnassingbé. Une preuve de l’incapacité de cette dernière à s’entendre, alors que l’objectif est clair : renverser le RPT. Un objectif qui s’éloigne, puisque le scrutin est à un seul tour.
Au-delà du problème de cohésion dont souffre l’opposition togolaise, il y a aussi un problème de « priorités » qui revient souvent dans la bouche du peuple togolais. En effet, là où Faure Gnassingbé a lancé sa pré-campagne depuis l’été dernier en menant des opérations de séduction à travers tout le pays, l’opposition, elle, s’est contentée de faire des demandes en vue de ces élections par le biais de Blaise Compaoré, le président burkinabé et médiateur dans la crise togolaise. Au tableau des demandes, une révision complète des listes électorales, un changement du mode de scrutin ainsi qu’un report de plusieurs mois de ces élections. Si la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) du Togo a bel et bien entrepris cette révision, les autres demandes n’ont, elles, pas abouti. Des sujets polémiques sur lesquels l’opposition s’est bien trop attardée. Au lieu de réclamer ce qu’elle ne pouvait avoir en si peu de temps, elle aurait dû faire avec la réalité du terrain afin de mieux entrer en campagne. Cette non-application des opposants tend même une perche aux pros RPT, qui estiment que le scrutin de cette année sera libre et transparent uniquement si l’opposition veut être de « bonne foi ».
Un scrutin « inéquitable »
Personne ne semble dire pour le moment si ce scrutin tiendra sa promesse d’être « transparent », comme l’a pourtant affirmé le président sortant à Washington. L’Union Européenne a grandement financé ce dernier, et envoyé 120 observateurs sur le terrain pour contrôler la bonne marche de l’entreprise. Mais tout, absolument tout, fait débat. Outre les problèmes évoqués par l’opposition, la révision des listes électorales présente des anomalies, comme l’avoue la CENI elle même. Ce sont ces mêmes anomalies qui ont conduit le déplacement de l’élection de quelques jours. Une décision « insuffisante » qui a conduit trois candidats à se retirer provisoirement de la campagne présidentielle, avant de faire marche arrière.
L’opposition a aussi réclamé un scrutin sans possibilité de vote par anticipation. Or, dès demain, tous les agents de sécurité qui vont encadrer le vote jeudi iront aux urnes. De quoi inquiéter, puisque leur nombre n’a pas encore été communiqué et leurs bulletins ne seront ouverts que le jour du scrutin général. Dans tous les cas, si la transparence et la liberté de ce vote sont en question, il n’en est pas de même pour l’équité de le campagne.
Dès le premier jour de la campagne, Lomé, la capitale, était retapissée à l’effigie de Faure Gnassingbé. Seul le candidat et homme d’affaires Nicolas Lawson se voyait représenter sur quelques affiches, mais dans une moindre mesure face à son adversaire. Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat sur les moyens mis en œuvre par le président du RPT pour sa campagne. Légalement, au Togo, un homme politique peut dépenser 50 000 000 Francs CFA pour une campagne présidentielle. Un montant que le président du RPT aurait déjà dépassé, usant de ses moyens illimités. Ce dernier n’hésite pas à utiliser l’armée pour promouvoir sa candidature. Dans les villes, ce sont plus de 50 camionnettes qui sillonnent les routes à son effigie, tandis qu’il se déplace essentiellement en hélicoptère. L’opposition, déjà en retard pour les raisons évoquées plus haut, doit maintenant redoubler d’efforts pour se vendre vu le temps qui lui reste.
Une once d’espoir
Pourtant hors course, Kofi Yamgnane a réuni tous les candidats de l’opposition à Paris pour tenter une ultime fois de trouver l’unité. Si la réunion a encore montré un conflit entre égos surdimensionnés, elle a quand même permis de voir la naissance du FRAC, le Front Républicain pour l’Alternance et le Changement. Une sorte de consensus entre opposants qui soutiennent la candidature de Jean-Pierre Fabre, l’homme de l’UFC (Union des Forces pour le Changement) avec comme porte-parole M.Yamgnane. Un pas en avant, qui vient consolider les forces de l’UFC qui reste à ce jour le principal opposant historique du RPT.
A l’heure actuelle, une surprise n’est donc pas à exclure jeudi. De là à prévoir si elle sera bonne, ou dramatique, il est encore trop tôt.
Jérémy Maccaud
dimanche 28 février 2010, par Viviane Le Guen
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